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Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le Collier de la Reine, Tome II
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Avez-vous conscience de vos torts envers moi, de votre crime envers… le roi?
– Mon Dieu! murmura l'infortuné.
– Car, vous l'oubliez trop facilement, messieurs les gentilshommes, le roi est l'époux de cette femme que vous insultez tous en levant les yeux sur elle; le roi est le père de votre maître futur, mon dauphin. Le roi, c'est un homme plus grand et meilleur que vous tous, un homme que je vénère et que j'aime.
– Oh! murmura Charny en poussant un sourd gémissement, et pour se soutenir, il fut obligé d'appuyer une de ses mains sur le parquet.
Son cri traversa le cœur de la reine. Elle lut dans le regard éteint du jeune homme qu'il venait d'être frappé à mort, si elle ne tirait promptement de la blessure le trait qu'elle y avait enfoncé.
C'est pourquoi, miséricordieuse et douce, elle s'effraya de la pâleur et de la faiblesse du coupable, et fut près un moment d'appeler au secours.
Mais elle réfléchit que le docteur, qu'Andrée, interpréteraient mal cette pamoison du malade. Elle le releva de ses mains.
– Parlons, dit-elle, moi en reine, vous en homme. Le docteur Louis a essayé de vous guérir; cette blessure, qui n'était rien, empire par les extravagances de votre cerveau. Quand sera-t – elle guérie, cette blessure? Quand cesserez-vous de donner au bon docteur le spectacle scandaleux d'une folie qui l'inquiète? Quand partirez-vous du château?
– Madame, balbutia Charny, Votre Majesté me chasse… Je pars, je pars.
Et il fit un mouvement si violent pour partir, que, lancé hors de son équilibre, il vint tomber en chancelant dans les bras de la reine qui lui barrait le passage.
À peine eut-il senti le contact de cette poitrine brûlante qui le retenait, à peine eut-il plié sous l'étreinte involontaire du bras qui le portait, que sa raison l'abandonna entièrement, sa bouche s'ouvrit pour laisser passer un souffle dévorant qui n'était point une parole et n'osait être un baiser.
La reine elle-même, brûlée par ce contact, fléchie par cette faiblesse, n'eut pas le temps de pousser le corps inanimé sur son fauteuil, et elle voulut s'enfuir; mais la tête de Charny était retombée en arrière. Elle battait le bois du fauteuil, une légère nuance rosée colorait l'écume de ses lèvres, une goutte rose et tiède était tombée de son front sur la main de Marie-Antoinette.
– Oh! tant mieux, murmura-t-il, tant mieux! je meurs tué par vous.
La reine oublia tout. Elle revint, saisit Charny dans ses bras, le releva, pressa sa tête morte sur son sein, appuya une main glacée sur le cœur du jeune homme.
L'amour fit un miracle, Charny ressuscita. Il ouvrit les yeux, la vision disparut. La femme s'épouvantait d'avoir laissé un souvenir là où elle ne croyait donner qu'un dernier adieu.
Elle fit trois pas vers la porte avec une telle précipitation, que Charny eut à peine le temps de saisir le bas de sa robe en s'écriant:
– Madame, au nom de tout le respect que j'ai pour Dieu, moins grand que le respect que j'ai pour vous…
– Adieu! adieu! dit la reine.
– Madame! oh! pardonnez-moi!
– Je vous pardonne, monsieur de Charny.
– Madame, un dernier regard!
– Monsieur de Charny, fit la reine en tremblant d'émotion et de colère, si vous n'êtes pas le dernier des hommes, ce soir, demain vous serez mort ou parti du château.
Une reine prie quand elle commande en ces termes. Charny, joignant les mains avec ivresse, se traîna agenouillé jusqu'aux pieds de Marie-Antoinette.
Celle-ci avait déjà ouvert la porte pour fuir plus vite le danger.
Andrée, dont les yeux dévoraient cette porte depuis le commencement de l'entretien, vit ce jeune homme prosterné, la reine défaillante; elle vit les yeux de celui-ci resplendir d'espoir et d'orgueil, les regards de celle-là pencher éteints vers le sol.
Frappée au cœur, désespérée, gonflée de haine et de mépris, elle ne courba point la tête. Quand elle vit revenir la reine, il lui sembla que Dieu avait trop donné à cette femme, en lui donnant comme superflu un trône et la beauté, puisqu'il venait de lui donner cette demi-heure avec monsieur de Charny.
Le docteur, lui, voyait trop de choses pour en remarquer aucune.
Tout entier au succès de la négociation entamée par la reine, il se contenta de dire:
– Eh bien, madame?
La reine prit une minute pour se remettre et retrouver sa voix étouffée par les battements de son cœur.
– Que fera-t-il? répéta le docteur.
– Il partira, murmura la reine.
Et, sans faire attention à Andrée, qui fronçait le sourcil, et à Louis, qui se frottait les mains, elle traversa d'un pas rapide le corridor de la galerie, s'enveloppa machinalement de sa mante à ruche de dentelle, et rentra dans son appartement.
Andrée serra la main du docteur, qui courait retrouver son malade; puis, d'un pas solennel comme celui d'une ombre, elle retourna dans son logis à elle, la tête baissée, l'œil fixe et la pensée absente.
Elle n'avait pas même songé à demander les ordres de la reine. Pour une nature comme celle d'Andrée, la reine n'est rien: la rivale est tout.
Charny, remis aux soins de Louis, ne parut plus être le même homme que la veille.
Fort jusqu'à l'exagération, hardi jusqu'à la fanfaronnade, il adressa au bon docteur des questions si pressées, si énergiques, au sujet de sa prochaine convalescence, sur le régime à suivre, sur les moyens de transport, que Louis crut à une rechute plus dangereuse, produite par une manie d'un autre ordre.
Charny le détrompa bientôt; il ressemblait à ces fers rougis au feu dont la teinte s'affaiblit à l'œil à mesure que la chaleur diminue d'intensité. Le fer est noir et ne parle plus à la vue, mais il est encore assez brûlant pour dévorer tout ce qu'on lui présentera.
Louis vit le jeune homme reprendre son calme et sa logique des bons jours. Charny fut réellement si raisonnable qu'il se crut obligé d'expliquer au médecin le brusque changement de sa résolution.
– La reine, dit-il, m'a plus guéri en me faisant honte, que votre science, cher docteur, ne l'eût fait avec d'excellents remèdes; me prendre par l'amour-propre, voyez-vous, c'est me dompter comme on dompte un cheval avec un mors.
– Tant mieux, tant mieux, murmurait le docteur.
– Oui, je me souviens qu'un Espagnol, ils sont assez vantards, me disait un jour pour me prouver sa force de volonté, qu'il lui avait suffi, dans un duel où il était blessé, de vouloir retenir son sang, pour que le sang ne coulât pas et ne réjouît pas l'œil de l'adversaire. J'ai ri de cet Espagnol, cependant je suis un peu comme lui; si ma fièvre, si ce délire que vous me reprochez voulaient reparaître, je les chasserais, je gage, en disant: délire et fièvre, vous ne reparaîtrez plus.
– Nous avons des exemples de ce phénomène, dit gravement le docteur. Toutefois, permettez-moi de vous féliciter. Vous voilà guéri moralement?
– Oh! oui.
– Eh bien! vous ne tarderez pas à voir tout le rapport qu'il y a entre le moral et le physique de l'homme. C'est une belle théorie que je rédigerais en livre si j'avais le temps. Sain d'esprit, vous serez sain de corps en huit jours.
– Cher docteur, merci.
– Et pour commencer vous allez donc partir?
– Quand il vous plaira. Tout de suite.
– Attendons ce soir. Modérons-nous. Procéder par les extrêmes, c'est risquer toujours.
– Attendons au soir, docteur.
– Irez-vous loin?
– Au