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Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le Collier de la Reine, Tome II
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Et d'un mouvement plein d'une fierté sauvage, elle jeta sur ses épaules la mante de soie qui reposait près d'elle sur un fauteuil.
– Cet excès même de dédain manifeste en vous un état qui ne peut durer, reprit Philippe; vous ne voulez pas du mot désespoir, Andrée, acceptez le mot dépit.
– Dépit! répliqua la jeune femme, en modifiant son sourire sardonique par un sourire plein de fierté. Vous ne croyez pas, mon frère, que mademoiselle de Taverney soit si peu forte que de céder sa place en ce monde pour un mouvement de dépit. Le dépit, c'est la faiblesse des coquettes ou des sottes. L'œil qui s'est allumé par le dépit se mouille bientôt de pleurs, et l'incendie est éteint. Je n'ai pas de dépit, Philippe. Je voudrais bien que vous me crussiez, et pour cela, il ne s'agirait que de vous interroger vous-même, quand vous avez quelque grief à formuler. Répondez, Philippe, si demain vous vous retiriez à la Trappe, si vous vous faisiez chartreux, comment appelleriez-vous la cause qui vous aurait poussé à cette résolution?
– J'appellerais cette cause un incurable chagrin, ma sœur, dit Philippe avec la douce majesté du malheur.
– À la bonne heure, Philippe, voilà un mot qui me convient et que j'adopte. Soit, c'est donc un incurable chagrin qui me pousse vers la solitude.
– Bien! répondit Philippe, et le frère et la sœur n'auront pas eu de dissemblance dans leur vie. Heureux bien également, ils auront toujours été malheureux au même degré. Cela fait la bonne famille, Andrée.
Andrée crut que Philippe, emporté par son émotion, lui faisait une question nouvelle, et peut-être son cœur inflexible se fût-il brisé sous l'étreinte de l'amitié fraternelle.
Mais Philippe savait par expérience que les grandes âmes se suffisent à elles seules: il n'inquiéta pas celle d'Andrée dans le retranchement qu'elle s'était choisi.
– À quelle heure et quel jour comptez-vous partir? demanda-t-il.
– Demain; aujourd'hui même, s'il était temps encore.
– Ne ferez-vous pas un dernier tour de promenade avec moi dans le parc?
– Non, dit-elle.
Il comprit bien au serrement de main qui accompagna ce refus que la jeune femme refusait seulement une occasion de se laisser attendrir.
– Je serai prêt quand vous me ferez avertir, répliqua-t-il.
Et il lui baisa la main, sans ajouter un mot, qui eût fait déborder l'amertume de leur cœur.
Andrée, après avoir fait les premiers préparatifs, se retira chez elle où elle reçut ce billet de Philippe:
«Vous pouvez voir notre père à cinq heures ce soir. L'adieu est indispensable. Monsieur de Taverney crierait à l'abandon, aux mauvais procédés.»
Elle répondit:
«À cinq heures, je serai chez monsieur de Taverney en habit de voyage. À sept heures nous pouvons être rendus à Saint-Denis. M'accorderez-vous votre soirée?»
Pour toute réponse, Philippe cria par la fenêtre, assez proche de l'appartement d'Andrée pour qu'Andrée pût l'entendre:
– À cinq heures, les chevaux à la chaise.
Chapitre LVI
Un ministre des finances
Nous avons vu que la reine, avant de recevoir Andrée, avait lu un billet de madame de La Motte, et qu'elle avait souri.
Ce billet renfermait seulement ces mots, avec toutes les formules possibles de respect:
«Et Votre Majesté peut être assurée qu'il lui sera fait crédit, et que la marchandise sera livrée de confiance.»
Donc, la reine avait souri, et brûlé le petit billet de Jeanne.
Lorsqu'elle se fut un peu assombrie en la société de mademoiselle de Taverney, madame de Misery vint lui annoncer que monsieur de Calonne attendait l'honneur d'être admis auprès d'elle.
Il n'est pas hors de propos d'expliquer ce nouveau personnage au lecteur. L'histoire le lui a assez fait connaître, mais le roman, qui dessine moins exactement les perspectives et les grands traits, donne peut-être un détail plus satisfaisant à l'imagination.
Monsieur de Calonne était un homme d'esprit, d'infiniment d'esprit même, qui, sortant de cette génération de la dernière moitié du siècle, peu habituée aux larmes, bien que raisonneuse, avait pris son parti du malheur suspendu sur la France, mêlait son intérêt à l'intérêt commun, disait comme Louis XV: «Après nous la fin du monde»; et cherchait partout des fleurs pour parer son dernier jour.
Il savait les affaires, était homme de cour. Tout ce qu'il y eut de femmes illustres par leur esprit, leur richesse et leur beauté, il l'avait cultivé par des hommages pareils à ceux que l'abeille rend aux plantes chargées d'arômes et de sucs.
C'était alors le résumé de toutes les connaissances que la conversation de sept à huit hommes et de dix à douze femmes. Monsieur de Calonne avait pu compter avec d'Alembert, raisonner avec Diderot, railler avec Voltaire, rêver avec Rousseau. Enfin il avait été assez fort pour rire au nez de la popularité de monsieur Necker.
Monsieur Necker le sage et le profond, dont le compte-rendu avait paru éclairer toute la France; Calonne l'ayant bien observé sur toutes ses faces, avait fini par le rendre ridicule, aux yeux même de ceux qui le craignaient le plus, et la reine et le roi, que ce nom faisait tressaillir, ne s'étaient accoutumés qu'en tremblant à l'entendre bafouer par un homme d'état élégant, de bonne humeur, qui, pour répondre à tant de beaux chiffres, se contentait de dire: «À quoi bon prouver qu'on ne peut rien prouver.»
En effet, Necker n'avait prouvé qu'une chose, l'impossibilité où il se trouvait de continuer à gérer les finances. Monsieur de Calonne, lui, les accepta comme un fardeau trop léger pour ses épaules, et dès les premiers moments on peut dire qu'il plia sous le faix.
Que voulait monsieur Necker? Des réformes. Ces réformes partielles épouvantaient tous les esprits. Peu de gens y gagnaient, et ceux qui y gagnaient y gagnaient peu de chose; beaucoup, au contraire, y perdaient et y perdaient trop. Quand Necker voulait opérer une juste répartition de l'impôt, quand il entendait frapper les terres de la noblesse et les revenus du clergé, Necker indiquait brutalement une révolution possible. Il fractionnait la nation et l'affaiblissait d'avance quand il eût fallu concentrer toutes ses forces pour l'amener à un résultat général de rénovation.
Ce but, Necker le signalait et le rendait impossible à atteindre, par cela seulement qu'il le signalait. Parler d'une réforme d'abus à ceux qui ne veulent point que ces abus soient réformés, n'est-ce pas s'exposer à l'opposition des intéressés? Faut-il prévenir l'ennemi de l'heure à laquelle on donnera l'assaut à une place?
C'est ce que Calonne avait compris, plus réellement ami de la nation, en cela, que le Genevois Necker, plus ami, disons-nous, quant aux faits accomplis, car, au lieu de prévenir un mal inévitable, Galonne accélérait l'invasion du fléau.
Son plan était hardi, gigantesque, sûr; il s'agissait d'entraîner en deux ans vers la banqueroute le roi et la noblesse, qui l'eussent retardée de dix ans; puis la banqueroute étant faite, de dire: «Maintenant, riches, payez pour les pauvres, car ils ont faim et dévoreront ceux qui ne les nourriront pas.»
Comment le roi ne vit-il pas tout d'abord les conséquences de ce plan ou ce plan lui-même? Comment lui, qui avait frémi de rage en lisant le compte-rendu, ne frissonna-t-il pas en devinant son ministre? Comment ne choisit-il pas entre les deux systèmes, et préféra-t-il se laisser aller à l'aventure? C'est le seul compte réel que Louis XVI, homme politique, ait à régler avec la postérité. C'était ce fameux principe auquel s'oppose toujours quiconque n'a pas assez de puissance pour couper le mal alors qu'il est invétéré.
Mais pour que le bandeau se soit épaissi de la sorte aux yeux du roi; pour