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et très à la mode, venues de Londres. Il se trouva que nous n’avions pas assez de chaises pour tout le monde, et aussitôt M. Thornhill proposa que chaque gentleman s’assît sur les genoux d’une dame. Je m’y opposai catégoriquement, malgré un regard improbateur de ma femme. On envoya donc Moïse emprunter une couple de chaises, et comme nous manquions de dames pour compléter une contredanse, les deux messieurs partirent avec lui, en quête d’une couple de danseuses. Chaises et danseuses furent vite trouvées. Les messieurs revinrent avec les roses filles de mon voisin Flamborough, superbes sous leurs coiffures de nœuds de ruban rouge. Mais on n’avait pas prévu une circonstance malencontreuse: les demoiselles Flamborough avaient, à vrai dire, la réputation d’être les meilleures danseuses de la paroisse et entendaient la gigue et la ronde à la perfection; mais elles n’en étaient pas moins totalement étrangères à la contredanse. Ceci nous déconcerta tout d’abord; cependant, après s’être fait un peu pousser et tirer, elles finirent par aller gaiement. Notre musique se composait de deux violons, d’une flûte et d’un tambourin. La lune brillait, claire. M. Thornhill et ma fille aînée menaient le bal, au grand plaisir des spectateurs: les voisins, en effet, ayant appris ce qui se passait, arrivèrent en troupes autour de nous. Ma fille avait les mouvements si gracieux et si vifs que ma femme ne put s’empêcher de découvrir la vanité de son cœur en m’assurant que, si la fillette s’en acquittait si habilement, c’est qu’elle lui avait emprunté tous ses pas. Les dames de la ville s’évertuaient péniblement à montrer la même aisance, mais sans succès. Elles tournoyaient, s’agitaient, languissaient, se démenaient; rien n’y faisait. Les spectateurs, il est vrai, déclaraient que c’était fort bien; mais le voisin Flamborough fit remarquer que les pieds de miss Livy semblaient tomber avec la musique aussi juste qu’un écho. La danse durait depuis une heure lorsque les deux dames, qui craignaient d’attraper un rhume, proposèrent de cesser le bal. L’une d’elles, à ce qu’il me sembla, exprima ses sentiments à cette occasion d’une façon fort grossière, lorsqu’elle déclara que par le bon Dieu vivant, la sueur lui dégouttait partout.

      En rentrant à la maison, nous trouvâmes un très élégant souper froid que M. Thornhill avait fait apporter avec lui. Cette fois-ci, la conversation fut plus réservée qu’auparavant. Les deux dames rejetèrent tout à fait mes filles dans l’ombre, car elles ne voulurent parler de rien que de la haute vie et des gens qui la mènent, ou d’autres sujets à la mode, tels que tableaux, bon goût, Shakespeare et harmonica. Il est vrai que deux ou trois fois elles nous mortifièrent sensiblement en laissant échapper un juron; mais cela me parut être la marque la plus certaine de leur distinction (j’ai pourtant appris depuis que jurer n’est nullement à la mode). Quoi qu’il en soit, leurs toilettes jetaient comme un voile sur les grossièretés de leur conversation. Mes filles semblaient regarder avec envie leurs talents supérieurs, et l’on attribuait ce qui apparaissait de défectueux en elles à l’excellence même de leur éducation. Mais la condescendance de ces dames était encore plus grande que leurs autres mérites. L’une d’elles déclara que si miss Olivia avait vu un peu plus de monde, cela lui ferait beaucoup de bien. A quoi l’autre ajouta qu’un seul hiver passé à la ville ferait de la petite Sophia une tout autre personne. Ma femme les approuva chaudement l’une et l’autre, ajoutant qu’il n’y avait rien qu’elle désirât plus ardemment que de donner à ses filles l’avantage de se perfectionner à Londres pendant un seul hiver. Je ne pus me retenir de dire là-dessus que leur éducation était déjà plus haute que leur fortune, et qu’un plus grand raffinement de manières ne ferait que rendre leur pauvreté ridicule et leur donner du goût pour des plaisirs qu’elles n’avaient pas le droit de prendre.

      «Et quels plaisirs, s’écria M. Thornhill, ne méritent-elles pas de prendre, celles qui ont en leur pouvoir d’en accorder tant? Pour ma part, ma fortune est assez considérable; amour, liberté et plaisir, voilà mes maximes; mais, Dieu me maudisse! si le don de la moitié de mes biens pouvait faire plaisir à ma charmante Olivia, ce serait à elle; et la seule faveur que je lui demanderais en retour serait d’ajouter ma propre personne au cadeau.» Je n’étais pas tellement étranger au monde que j’ignorasse que c’était là le tour à la mode pour déguiser l’insolence des plus viles propositions, et je fis un effort pour réprimer ma colère. «Monsieur, m’écriai-je, la famille à laquelle vous voulez bien en ce moment faire la faveur de votre compagnie a été élevée avec un sentiment de l’honneur aussi délicat que vous. Toute tentative pour y porter atteinte pourrait être suivie des plus dangereuses conséquences. L’honneur, monsieur, est aujourd’hui la seule chose que nous possédions, et c’est un dernier trésor dont nous devons être particulièrement soigneux.» Je ne tardai pas à être fâché de la chaleur avec laquelle j’avais parlé, lorsque le jeune gentilhomme, me saisissant la main, jura qu’il appréciait mes sentiments, bien qu’il désapprouvât mes soupçons. «Quant à ce que vous venez de me donner à entendre, continua-t-il, je proteste que rien n’était plus éloigné de mon cœur qu’une telle pensée. Non, par tout ce qui peut tenter, la vertu capable de soutenir un siège régulier ne fut jamais de mon goût, et toutes mes amours sont des coups de main.»

      Les deux dames, qui avaient affecté de ne pas s’apercevoir du reste, semblèrent souverainement choquées de ce dernier trait de franchise, et, très discrètement et sérieusement, entamèrent un dialogue sur la vertu. Ma femme, le chapelain, bientôt moi-même, nous nous joignîmes à elles, et à la fin, nous amenâmes le squire à confesser un sentiment de regret sur ses anciens excès. Nous parlâmes des plaisirs de la tempérance et du soleil qui brille dans le cœur qu’aucune faute n’a souillé. J’étais si content, que l’on garda les enfants plus tard que l’heure habituelle, pour les édifier par une si excellente conversation. M. Thornhill alla même plus loin que moi et demanda si je consentais à faire la prière. J’embrassai la proposition avec joie, et la soirée passa ainsi de la manière la plus satisfaisante, jusqu’au moment où la société finit par songer à s’en retourner. Les dames paraissaient ne se séparer qu’à regret de mes filles, pour lesquelles elles avaient conçu une affection particulière, et elles unirent leurs instances pour avoir le plaisir de leur compagnie jusqu’au château. Le squire appuyait la proposition, et ma femme y ajoutait ses sollicitations; les enfants me regardaient, comme si elles désiraient y aller. Dans cet embarras, je donnai deux ou trois excuses que mes filles écartèrent à mesure; de sorte qu’à la fin je dus opposer un refus péremptoire, ce qui nous valut des mines boudeuses et des réponses écourtées pour toute la journée du lendemain.

      CHAPITRE X

La famille s’efforce de faire comme plus riche qu’elle. Misères des pauvres quand ils veulent paraître au-dessus de leur état

      JE commençai dès lors à m’apercevoir que toutes mes longues et pénibles exhortations à la tempérance, à la simplicité et au contentement du cœur avaient perdu toute influence. Les attentions que nous avaient récemment accordées des gens plus riches que nous réveillaient cet orgueil que j’avais endormi, mais non chassé. Nos fenêtres se garnirent de nouveau, comme jadis, d’eaux pour le cou et le visage. On redouta le soleil comme un ennemi de la peau an dehors, et le feu comme un destructeur du teint au dedans. Ma femme fit remarquer que se lever trop matin faisait du mal aux yeux de ses filles et que travailler après le dîner leur rougissait le nez, et elle me convainquit que jamais les mains ne paraissaient si blanches que quand elles ne faisaient rien. Aussi, au lieu de finir les chemises de George, nous les voyions maintenant retaillant sur de nouveaux modèles leurs vieilles gazes et s’escrimant au tambour à broder. Les pauvres demoiselles Flamborough, naguère leurs joyeuses compagnes, étaient mises de côté comme des connaissances vulgaires, et toute la conversation ne roulait que sur la haute vie et ceux qui la mènent, sur les tableaux, le bon goût, Shakespeare et l’harmonica.

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