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Le Vicaire de Wakefield. Oliver Goldsmith
Читать онлайн.Название Le Vicaire de Wakefield
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Oliver Goldsmith
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Parure soudaine qui s’étale aux yeux,
Semblable aux couleurs du ciel au matin,
Non moins brillante, non moins passagère aussi.
Le regard timide, le sein qui se soulève
Tour à tour éveillent ses alarmes:
L’aimable étranger est, de son aveu même, reconnu
Pour une jeune fille dans tous ses charmes.
«Ah! oui; pardonnez à l’étrangère indiscrète,
A la misérable abandonnée, s’écria-t-elle,
A l’importune, dont les pieds impies pénètrent ainsi
Là où le ciel demeure avec vous.
«Mais laisse une part de ta pitié à une jeune fille
Que l’amour a faite errante,
Qui cherche le repos, et qui trouve le désespoir
Pour compagnon de sa route.
«Mon père vivait sur le bord de la Tyne;
C’était un opulent seigneur,
Et toute son opulence était marquée d’avance comme mienne:
Il n’avait d’enfant que moi.
«Pour m’enlever à ses tendres bras,
Des prétendants sans nombre vinrent,
Qui me louaient de charmes supposés,
Et ressentaient ou feignaient la passion.
«A toute heure une foule mercenaire
Rivalisait d’offres les plus riches;
Parmi les autres, le jeune Edwin s’inclinait.
Mais jamais ne parlait d’amour.
«Vêtu d’habits modestes et des plus simples,
Il n’avait ni richesses ni pouvoir;
Sagesse et mérite, voilà tout ce qu’il avait;
Mais c’était aussi tout pour moi.
«Et lorsqu’à mes côtés, dans le val,
Il chantait des lais d’amour,
Son haleine prêtait des parfums à la brise
Et de la musique aux bois.
«La fleur s’ouvrant au jour,
Les rosées distillées du ciel,
Ne pouvaient montrer rien d’assez pur
Pour rivaliser avec son cœur.
«La rosée, la fleur sur l’arbre
Brillent de charmes inconstants:
Leurs charmes, il les avait; mais, malheur à moi!
Moi, j’avais leur constance.
«Sans cesse j’essayais tous les artifices de la coquetterie
Importune et vaine;
Et lorsque sa passion touchait mon cœur,
Je triomphais dans ses peines.
«Enfin, tout accablé de mes mépris,
Il me laissa à mon orgueil,
Et, secrètement, chercha une solitude
Abandonnée, où il mourut.
«Mais mienne est la douleur, et mienne la faute,
Et ma vie doit bien la payer;
Je chercherai la solitude qu’il a cherchée,
Et m’étendrai là où il gît.
«Oui, là, abandonnée, désespérée, cachée,
Je veux me coucher et mourir;
C’est ce que pour moi Edwin a fait,
Et c’est ce que je ferai pour lui.»
«Empêche cela, Ciel!» cria l’Ermite;
Et il la pressait contre son sein.
Étonnée, la belle se retourne en courroux:
C’était Edwin lui-même qui l’embrassait.
«Regarde, Angelina toujours chère,
Mon enchanteresse, regarde et vois
Ici ton Edwin, ton Edwin longtemps perdu,
Rendu à l’amour et à toi.
«Laisse-moi te tenir ainsi sur mon cœur,
Et quitter tout souci.
Ne devons-nous donc plus nous séparer jamais, jamais,
O ma vie, ô seul bien qui soit à moi?
«Non, jamais! à partir de cette heure,
Nous vivrons et nous nous aimerons, fidèles;
Le dernier soupir qui déchirera ton cœur constant
Brisera aussi celui de ton Edwin.»
Pendant la lecture de cette ballade, Sophia semblait mêler un air de tendresse à son approbation. Mais notre tranquillité fut bientôt troublée par le bruit d’un coup de fusil tout près de nous, et, immédiatement après, un homme apparut, traversant violemment la haie pour ramasser le gibier qu’il venait de tuer. Ce chasseur était le chapelain du squire, et il avait abattu un des merles qui nous récréaient si agréablement. Un bruit tellement fort et rapproché avait fait tressaillir mes filles, et je pus remarquer que Sophia, dans son effroi, s’était jetée dans les bras de M. Burchell pour y chercher protection. Le gentleman s’avança et demanda pardon de nous avoir dérangés, affirmant qu’il ignorait que nous fussions si près. Il prit place auprès de ma fille cadette, et, en vrai sportsman, il lui offrit ce qu’il avait tué dans la matinée. Elle allait refuser, mais un coup d’œil discret de sa mère lui fit promptement corriger sa bévue et accepter le présent, non sans quelque répugnance toutefois. Ma femme laissa percer, comme à l’ordinaire, son orgueil, en faisant tout bas la remarque que Sophia avait fait la conquête du chapelain, de même que sa sœur avait fait celle du squire. Je soupçonnais toutefois, et avec plus de probabilité, qu’elle avait placé ses affections sur un autre objet. Le chapelain avait pour commission de nous informer que M. Thornhill avait fait venir de la musique et des rafraîchissements et comptait donner, le soir même, à ces demoiselles un bal au clair de lune, sur la pelouse devant notre porte. «Et je ne puis nier, continua-t-il, que je n’aie intérêt à être le premier à transmettre ce message, car j’espère, pour ma récompense, que miss Sophia me fera l’honneur de m’accepter pour cavalier.» A ceci la jeune fille répliqua qu’elle le ferait volontiers si elle le pouvait honnêtement.
«Mais, poursuivit-elle en regardant M. Burchell, voici un gentleman qui a été mon compagnon dans le travail de la journée, et il convient qu’il en partage les amusements.» M. Burchell la remercia poliment de son intention, mais il céda ses droits au chapelain et ajouta qu’il avait cinq milles à faire dans la soirée, étant invité à un souper de moisson. Son refus me parut un peu extraordinaire; et, d’un autre côté, je ne parvenais pas à concevoir comment une jeune personne aussi sensée que ma fille cadette pouvait ainsi préférer un homme ruiné à quelqu’un dont les espérances étaient beaucoup plus hautes. Mais, de même que les hommes sont les plus capables de distinguer le mérite chez les femmes, de même les dames forment souvent de nous les jugements les plus exacts. Les deux sexes semblent être placés comme en observation vis-à-vis l’un de l’autre et sont doués de capacités différentes appropriées à cet examen mutuel.
CHAPITRE IX