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Les Contes de nos pères. Paul Feval
Читать онлайн.Название Les Contes de nos pères
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Paul Feval
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
La voix de M. de Graives lui répondit, grave, monotone, résignée ; elle disait :
– De profundis clamavi ad te, Domine ; Domine, exaudi vocem meam !
En même temps, il approcha la mèche de la lampe.
– Armand ! râla Henriette qui pouvait parler à peine ; – hâte-toi, il va nous tuer !
Mais la porte, robuste barrière, ne cédait point encore, et M. le marquis de Graives prétendait mourir à propos. Il lui fallait la vue de l’ennemi pour sanctionner le dernier acte de sa vie. Ce n’était point un suicide qu’il voulait commettre ; les âmes héroïques comme était la sienne ne savent point subroger leur main à la main de Dieu, pour hâter une mort convoitée. Elles attendent, parce qu’elles sont fortes pour souffrir aussi bien que pour oser. S’il voulait mourir, c’était en chrétien et en soldat : s’il ne laissait pas le soin de son trépas aux balles républicaines, c’est qu’il croyait devoir, en mourant, anéantir le dépôt qu’il ne pouvait plus défendre.
Il ne se hâta donc point, et, retenant la mèche suspendue au-dessus de la lampe, il continua sa funèbre prière :
– Fiant aures tuæ intendentes in vocem deprecationis meæ.
– Armand ! Armand ! criait la pauvre Henriette.
Les coups redoublaient, et M. de Thélouars répondait :
– Me voici ! une minute encore, et je suis près de toi !
Une minute !… Henriette se sentait devenir folle. Tantôt elle priait Dieu, tantôt elle se traînait aux pieds du vieillard qui ne l’entendait pas et ne voulait point la voir.
Un dernier coup de levier fit sauter un fragment de la porte. M. de Graives mit la mèche sur la lampe en disant :
– Si iniquitatem observaveris…
Une autre planche tomba. – Le vieillard interrompit sa prière, et dit avec enthousiasme :
– Mon Dieu, prenez nos âmes !
Mais, au moment où la mèche s’enflammait, un éclair illumina la cachette, un coup de pistolet se fit entendre du côté de la meurtrière, et la lampe vola en éclats.
– Il y a temps pour tout ! dit au même instant la joyeuse voix de Janet ; le De profundis n’est pas de saison.
Personne ne l’entendait dans la cachette, car Henriette, succombant enfin aux émotions poignantes qui l’accablaient depuis douze heures, gisait sur le sol, privée de sentiment.
Janet Legoff, cependant, faisait tous ses efforts pour voir ce qui se passait à l’intérieur de la cellule, où ne régnait plus qu’un sombre demi-jour. Nous voudrions bien dire au lecteur qu’il se trouvait là par l’effet d’un profond calcul, mais pourquoi altérer la vérité ? Janet était un enfant. Impatient de voir le travail de ses compagnons traîner en longueur, il avait voulu, le premier de tous, porter à sa jeune maîtresse un signal de salut. Or, il était alerte et audacieux ; de branche en branche, il parvint jusqu’à la meurtrière, à l’ouverture de laquelle il se cramponna.
Il arriva au moment où le vieillard commençait le troisième verset de l’hymne mortuaire, et d’un coup d’œil il devina tout. Prendre un de ses pistolets, viser la lampe, fut l’affaire d’une seconde. – Le résultat prouva qu’il avait bien visé.
Quand la lampe fut éteinte, Janet ne vit plus rien d’abord, et il s’effraya.
– Dépêchez-vous ! cria-t-il, comme si ses compagnons eussent pu l’entendre ; – qui sait quelle imagination va venir au vieux monsieur, maintenant !
Par le fait, en voyant la lampe s’éteindre, M. le marquis de Graives entra dans une violente fureur. Il se hâta, autant que ses vieilles jambes le lui permirent, vers la cavité d’où il avait retiré naguère le baril de poudre, et y prit un pistolet qu’il dirigea d’instinct vers la meurtrière. Mais il se ravisa bientôt.
– Je n’en ai qu’un, pensa-t-il : avec quoi mettrai-je le feu au baril, si je perds ce coup !
Il revint donc vers la table, résolu à en finir, – ce qu’il eût sans doute exécuté si Janet, dont les veux s’habituaient à l’obscurité, ne lui eût brisé son arme dans la main d’un second coup de pistolet.
– Bien touché ! cria l’enfant qui poussa un long cri de joie.
M. de Graives lui répondit par un gémissement de profond désespoir. Il se laissa tomber sur son siége, et demeura plongé dans l’abattement le plus complet.
Par bonheur, il n’y resta pas longtemps. Quelques secondes après, les royalistes jetaient la porte en dedans, et Mme de Thélouars était dans les bras de son mari, remerciant Dieu, élevant avec transport son enfant sauvé jusqu’à la bouche d’Armand, et se demandant si douze heures d’angoisses n’étaient pas assez payées par cet instant d’inexprimable joie.
Quant à M. le marquis de Graives, il ne perdit pas tout de suite sa mauvaise humeur, et fit à ses fils, qui lui volaient son martyre, un accueil assez froid. Néanmoins, lorsqu’on lui eut rendu son cornet acoustique, et qu’on lui eut fait comprendre comment Janet Legoff l’avait empêché d’accomplir son funèbre dessein, il jeta un regard attendri vers un coin du grand salon de Graives où M. de Thélouars tenait sa femme pressée contre son cœur.
– C’eût été dommage ! murmura-t-il ; et, après tout, le dépôt est sauvé… Qu’on m’amène ce jeune drôle !
Janet arriva, le rouge au front et le chapeau de paille à la main.
– Tu aimes donc bien ta maîtresse ? lui dit M. de Graives d’un ton sévère.
– Ça, c’est la vérité, monsieur le marquis.
– Et si j’avais été, par hasard, entre ton pistolet et la lampe ?
– Dame ! monsieur le marquis.
– Qu’aurais-tu fait ?
– M’est avis que je vous aurais dit : Rangez-vous !
– Je suis sourd, je n’aurais pas entendu.
– C’est tout de même vrai, murmura Janet.
– Eh bien, demanda encore M. de Graives, qu’aurais-tu fait ?
– Dame ! monsieur le marquis, la pauvre jeune dame était là, par terre ; et le petit monsieur pleurait…
– Enfin, qu’aurais-tu fait ?
Janet Legoff releva tout à coup son regard, et dit d’une voix basse, mais ferme :
– Sauf votre respect, monsieur le marquis, m’est avis que je vous aurais tué.
Les bonnes gens de Cournon disent, aux veillées, que le vieux seigneur sourit, et qu’il fit don au Petit Gars d’une belle paire de pistolets.
Toujours est-il que ce fut là le premier exploit de Janet Legoff. Plus tard, il fit mieux encore. Son nom, qui devint célèbre dans les grandes landes de l’Ille-et-Vilaine, et dans les forêts du pays de Rieux, reviendra sans doute plus d’une fois sous notre plume, car il y a maints drames romanesques ou terribles dans la vie guerrière du Petit Gars, telle que la racontent les bonnes gens de la paroisse de Cournon, en rôtissant leurs châtaignes sous la cendre.
LE VAL-AUX-FÉES
De Pontréan à Guichen, il y a une lieue de Bretagne, c’est-à-dire un myriamètre et davantage. Le paysage est beau tout le long de la route : à droite, dans la direction de Maure, s’étendent, à perte de vue, d’immenses forêts d’ajoncs que parsèment de vastes clairières, où le sol, rocheux et complétement brûlé, ne peut pas même nourrir la stérile végétation des landes. À gauche, c’est un pêle-mêle de petites collines, groupées tumultueusement et séparées par de microscopiques vallées, où le pommier trapu élève à