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Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey
Читать онлайн.Название Le crime de l'Opéra 1
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Mon cher, j’en ai long à t’apprendre, dit Darcy, en conduisant Nointel dans un coin propice aux confidences.
– Est-ce que par hasard tu te serais décidé à en finir avec madame d’Orcival?
– C’est fait.
– Bah! depuis quand?
– Depuis ce soir. Mais ce n’est pas tout. Le Polonais qui avait été son amant autrefois s’est pendu chez elle.
– Je sais cela. Simancas et Saint-Galmier viennent de me l’apprendre. Je les ai rencontrés dans l’escalier. Est-ce que tu regrettes le Polonais?
– Non, mais vois jusqu’où va ma déveine. Je me rends chez Julia à dix heures, bien résolu à rompre, et j’ai rompu en effet. Pendant que j’étais là, ce Golymine arrive…
– Tu le mets à la porte.
– Eh! non, je ne l’avais pas vu. Julia m’a laissé dans le boudoir pendant qu’elle le recevait dans le salon. C’est elle qui l’a mis à la porte… malheureusement, car il lui a joué le tour d’aller se pendre dans la bibliothèque. Je suis parti sans me douter de rien, et c’est ici seulement que je viens d’apprendre ce qui s’est passé. Cet imbécile de Lolif a su l’histoire par hasard, et il l’a racontée à tout le cercle… il la raconte encore.
– Sait-il que tu étais chez madame d’Orcival?
– Non, car il n’aurait pas manqué de le dire. Mais on le saura. En admettant même que Julia se taise, sa femme de chambre parlera.
– Diable! c’est fâcheux. Si tu ne t’étais pas mis en tête d’être magistrat, il n’y aurait que demi-mal. Mais ton oncle, le juge, sera furieux. Ça t’apprendra à mieux choisir tes maîtresses.
– Il est bien temps de me faire de la morale. C’est un conseil que je te demande, et non pas un sermon.
– Eh bien, mon cher, je te conseille de faire à ton oncle des aveux complets. Il sera charmé d’apprendre que tu n’es plus avec Julia, et il se chargera d’empêcher qu’il soit question de toi dans les procès-verbaux.
– Tu as raison. J’irai le voir demain.
– Et je te conseille aussi de te marier le plus tôt possible. Te voilà guéri pour un temps des belles petites. Mais gare aux rechutes! Si tu tiens à les éviter, épouse.
– Qui?
– Madame Cambry, parbleu! Il ne tient qu’à toi, à ce qu’on prétend, et tu ne serais pas à plaindre. Elle est veuve, c’est vrai, veuve à vingt-quatre ans; mais elle est charmante, et elle jouit d’ores et déjà de soixante mille livres de rente. Tu seras parfaitement heureux et tu auras beaucoup d’enfants, comme dans les contes de fées. Je leur apprendrai à monter à cheval… tu donneras d’excellents dîners… auxquels tu m’inviteras… et si tu persistes à vouloir être magistrat, tu deviendras à tout le moins premier président ou procureur général.
– Ce serait parfait. Mais il y a un petit inconvénient: c’est que je ne me sens pas la moindre inclination pour la dame.
– Alors, Gaston, mon ami, tu aimes ailleurs.
– Tu oublies que je viens de quitter Julia.
– C’est précisément parce que tu l’as quittée, et quittée sans motif, que je suis sûr de ne pas me tromper sur ton cas. Je te connais, mon garçon. La nature t’a gratifié d’un cœur qui ne s’accommode pas des interrègnes. La place n’est jamais vacante. Voyons! de qui es-tu amoureux? Serait-ce de la triomphante marquise de Barancos? Elle en vaut bien la peine. C’est une veuve aussi, celle-là, mais une veuve dix fois millionnaire.
– Je la trouve superbe, mais je ne suis pas plus épris d’elle que je ne le suis de la Vénus de Milo.
– C’est donc une autre. Je suis sûr de mon diagnostic.
– Tu es plus habile que moi, car, en conscience, je ne pourrais pas te jurer que je suis amoureux, ni que je ne le suis pas. Je n’en sais rien moi-même. Il y a, quelque part, une personne qui me plaît beaucoup. Je l’aimerai peut-être, mais je crois que je ne l’aime pas encore. En attendant que le mal se déclare, j’annoncerai demain à mon oncle que je suis décidé à devenir un homme sérieux, et je le prierai de presser ma nomination d’attaché au parquet.
Le capitaine n’insista plus. Il poussait l’amitié jusqu’à la discrétion, et il avait compris que Gaston voulait se taire sur ses nouvelles amours.
À ce moment, du reste, le tête-à-tête des deux intimes fut interrompu par le grand Prébord et quelques autres qui en avaient assez des bavardages de Lolif, et qui vinrent proposer à Darcy une partie de baccarat.
Darcy avait eu le temps de se remettre des émotions que lui avait causées le récit du suicide de Golymine, et il envisageait avec plus de sang-froid les suites que pouvait avoir pour lui cette bizarre aventure. Il se disait qu’après tout, il n’avait rien à se reprocher, et que Julia n’avait pas grand intérêt à le compromettre. Il se proposait, d’ailleurs, de récompenser le silence de la dame en augmentant le chiffre du cadeau d’adieu qu’il lui destinait, et il comptait bien ne pas oublier la femme de chambre. Il était donc à peu près rassuré, et fort des louables résolutions qu’il venait de prendre, l’aspirant magistrat se trouvait assez disposé à tenter encore une fois la fortune avant de renoncer définitivement au jeu.
Peut-être aussi n’était-il pas fâché de quitter Nointel pour échapper à une prolongation d’interrogatoire sur ses affaires de cœur.
Le capitaine, qui était un Mentor fort indulgent, ne chercha point à retenir son ami, et Gaston suivit les joueurs dans le salon écarté où on célébrait chaque nuit le culte du baccarat.
La partie fut chaude, et Darcy eut un bonheur insolent. À trois heures, il gagnait dix mille francs, juste la somme qu’il destinait à madame d’Orcival, et il prit le sage parti de se retirer en emportant cet honnête bénéfice.
Quelques combattants avaient déjà déserté le champ de bataille, faute de munitions, entre autres le beau Prébord, qui était parti de très mauvaise humeur.
Darcy reçut sans se fâcher les brocards que lui lancèrent les vaincus, et sortit en même temps que M. Simancas qui était revenu assister au combat, après avoir fait un tour sur le boulevard avec son ami Saint-Galmier.
Le docteur était allé se coucher, mais le général, affligé de cruelles insomnies, aimait à veiller très tard, et le baccarat était sa distraction favorite. Il n’y jouait pas, mais il prenait un plaisir extrême à suivre le jeu.
Nointel rentrait régulièrement chez lui à une heure du matin, et il avait quitté le cercle depuis longtemps, lorsque Gaston descendit l’escalier en compagnie du Péruvien qui le complimentait sur son triomphe.
Ce général d’outre-mer ne s’en tint pas là. Par une transition adroite, il en vint à parler de madame d’Orcival, à la plaindre de se trouver mêlée à une affaire désagréable, à plaindre Darcy d’avoir rompu avec une si belle personne, et à blâmer la conduite du Polonais qui avait eu l’indélicatesse de se pendre chez elle.
Il en dit tant que Gaston finit par s’apercevoir qu’il cherchait à tirer de lui des renseignements sur le caractère et les habitudes de Julia. Cette prétention lui parut indiscrète, et comme d’ailleurs le personnage lui déplaisait, il coupa court à l’entretien, en prenant congé de M. Simancas dès qu’ils eurent passé la porte de la maison du cercle.
Mais l’étranger ne se découragea point.
– Vous n’avez pas votre coupé, dit-il après avoir examiné rapidement les voitures qui stationnaient le long du trottoir. Nous demeurons tous les deux dans le quartier