ТОП просматриваемых книг сайта:
Le crime de l'Opéra 1. Fortuné du Boisgobey
Читать онлайн.Название Le crime de l'Opéra 1
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Combien de minutes se passèrent avant qu’il revînt à lui? Il n’en sut jamais rien; mais quand il reprit ses sens, il vit qu’il était étendu sur le trottoir de la rue du Colysée et que son agresseur avait disparu.
Il se releva péniblement, il se tâta, et en constatant avec une vive satisfaction qu’il n’était pas blessé, il constata aussi qu’on lui avait enlevé son portefeuille, un portefeuille bien garni, car il contenait les dix billets de mille francs gagnés au baccarat, et deux autres qu’il y avait mis avant d’aller chez Julia.
Au moment de l’attaque, il avait pensé vaguement à Prébord dont le souvenir le poursuivait, mais maintenant il ne pouvait plus se dissimuler qu’il s’était bêtement laissé dévaliser par un voleur, peut-être par l’homme qui l’avait suivi, en contrefaisant l’ivrogne, jusqu’à l’entrée de la rue de Ponthieu, et qui, en le voyant revenir seul, s’était embusqué pour l’attendre.
L’aventure était humiliante, et Darcy résolut de ne pas s’en vanter au Cercle où il s’était si souvent moqué des poltrons qui ne savaient pas se défendre dans la rue.
Il ne se souciait pas non plus de porter plainte, car, pour raconter exactement l’affaire, il aurait fallu parler de sa promenade nocturne avec mademoiselle Lestérel.
Et, après mûre réflexion, il conclut qu’il ferait sagement de se taire, et de se résigner à une perte d’argent, qui lui était d’autant moins sensible que la majeure partie de la somme volée avait été conquise par lui sur le tapis vert.
Il était vexé, et il se disait que, s’il avait accepté l’offre du général Simancas qui lui proposait de le reconduire en voiture, il aurait évité cette sotte mésaventure. Et pourtant, il ne regrettait pas d’être parti à pied, puisqu’il avait rencontré, protégé et escorté une personne qui lui était beaucoup plus chère que son portefeuille.
Bientôt même le souvenir de ce charmant voyage en la douce compagnie de Berthe Lestérel chassa les fâcheuses impressions, et l’amoureux rentra chez lui consolé, quoique fort meurtri.
Il occupait au rez-de-chaussée d’une belle maison de la rue Montaigne un grand appartement avec écurie et remise, et même avec jardin, car sa vie de garçon était montée sur un pied des plus respectables. Le futur attaché au parquet avait un valet de chambre, un cocher, une cuisinière, quatre chevaux et trois voitures, le train d’un homme qui a cent mille francs de revenu, ou qui mange le fonds de quarante mille.
Et ce dernier cas était celui de Gaston Darcy.
Ses domestiques ne l’attendaient jamais passé minuit, et il put, sans avoir à subir leurs soins et leurs questions respectueuses, bassiner son cou endolori. Deux mains robustes y avaient imprimé en noir la marque de leurs doigts, et sa cravate y avait laissé un sillon rouge qui lui remit en mémoire la fin tragique du comte Golymine.
Il se coucha, mais il eut beaucoup de peine à s’endormir. Les bizarres événements de cette soirée, si bien et si mal remplie, lui revenaient à l’esprit, et il était aussi très préoccupé de ce qu’il ferait le lendemain. Il avait décidé d’aller voir son oncle pour lui annoncer sa conversion, et il avait bien envie de ne pas tenir compte des scrupules de mademoiselle Lestérel qui jugeait plus convenable de ne pas le présenter à sa sœur. Il méditait même de se transporter vers trois heures rue Caumartin, et de se trouver là, comme par hasard, au moment où la jeune fille viendrait faire visite à cette sœur qui l’avait retenue si tard.
Les amoureux s’ingénient à combiner des plans pour rencontrer l’objet aimé, et Gaston décidément était amoureux, mais il était aussi très fatigué, et la fatigue finit par amener le sommeil.
Il dormit neuf heures sans débrider, et, quand il ouvrit les yeux, vers midi, la première chose qu’il aperçut sur le guéridon placé près de son lit, ce fut une lettre que son valet de chambre y avait posée sans le réveiller, une lettre dont il reconnut le format, l’écriture, et même le parfum, une lettre qui sentait Julia.
– Bon! dit-il en s’étirant, je sais ce que c’est… des reproches, des propositions de paix, et probablement la carte à payer. J’ai bien envie de ne pas lire ce mémoire. Puis se ravisant:
– Ah, diable! et le suicide de ce malheureux! Il faut cependant que je sache ce qu’elle en dit.
Il fit sauter le cachet, et il lut:
«Mon cher Gaston, vous ne supposez pas, je l’espère, que je vais me plaindre de vous à vous-même. Vous m’avez quittée au moment où je commençais à vous aimer. Je ne suis ni trop surprise, ni trop désolée de ce dénouement. Nous vivons tous les deux dans un monde où les choses finissent presque toujours ainsi. Quand l’un arrive au diapason, l’autre n’y est plus, et la guitare casse. Vous auriez dû y mettre plus de formes, mais je ne vous en veux pas. Ce n’est pas votre faute, si l’air qui vous charmait depuis un an a tout à coup cessé de vous plaire. Oubliez-le, cet air que nous chantions si bien; devenez magistrat, mariez-vous; c’est tout le mal que je vous souhaite, et je ne vous écrirais pas ce matin, si je ne pensais vous rendre service en vous apprenant ce qui s’est passé chez moi cette nuit.
«Le comte Golymine s’est pendu dans ma bibliothèque, pendu de désespoir, parce que je refusais de le suivre à l’étranger. C’était un fou, n’est-ce pas? On ne se pend pas pour une femme. On la lâche… c’est votre mot, je crois. Que voulez-vous! il y a encore des niais qui s’exaltent jusqu’au suicide inclusivement. Si je vous parle de ce lugubre événement, ce n’est pas pour vous donner des remords ou pour me rendre intéressante. Je veux seulement vous dire que vous ne serez pas mêlé à une si déplorable histoire. Si on savait que vous étiez chez moi pendant que le comte mourait de cette affreuse mort, ce ne serait pas une recommandation auprès du ministre qui va vous attacher au parquet. Rassurez-vous. On ne le saura pas. Je n’ai rien dit de vous aux gens de police qui sont venus faire l’enquête. Seule de tous mes domestiques, Mariette vous a vu, et elle n’en dira rien non plus. Elle se taira comme je me tairai.
«Je ne m’oppose pas à ce que vous récompensiez sa discrétion, mais je vous prie de ne pas me faire l’injure de rémunérer la mienne. C’est assez de m’avoir abandonnée. Je compte que vous ne chercherez pas à m’humilier en me traitant comme une femme de chambre qu’on renvoie sans motifs.
«Je vous dispense même de me répondre, et j’espère que nous ne nous reverrons jamais. Il y a un mort entre nous.
«Adieu. Soyez heureux.»
Cette lettre, signée d’une simple initiale, était d’une écriture fine et singulièrement nette; l’écriture d’une femme qui se possède et qui dédaigne de feindre l’émotion; mais elle troubla quelque peu Gaston.
Il sentait bien que Julia jouait avec lui son va-tout et que, sous ces fiers adieux, se cachait une intention de renouer. Il devinait la suprême tentative d’une femme qui connaît le faible de son amant, et qui essaie de le reconquérir par le dédain, par le désintéressement, par une savante mise en scène de tous les sentiments élevés. Il ne s’y laissait pas prendre, et il était fermement résolu à en rester là; mais il ne pouvait s’empêcher de reconnaître que Julia lui rendait un service signalé en gardant le silence.
– Me voilà maintenant son obligé, murmura-t-il, et du diable si je sais comment je m’y prendrai pour cesser de l’être. Je vais envoyer un royal pourboire à Mariette, c’est très bien; mais le chèque à Julia me serait retourné, c’est clair. Par quoi le remplacer? Ma foi! par de bons procédés. Je dirai partout que madame d’Orcival est la plus charmante femme de Paris, et la meilleure; qu’elle a de l’esprit jusqu’au bout de ses ongles roses, et du cœur à revendre. Je le crierai sur les toits. Et puis, elle a cent raisons pour se consoler. Elle est riche, et la mort de ce Polonais va la mettre à la mode. Pour poser une femme, un suicide vaut mieux que trois duels. Pauvre Golymine! Je ne l’estimais guère, mais je le plains… et je plains Julia aussi, après tout. Seulement, je n’y puis rien.
Sur cette conclusion, Darcy sonna son