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sans perdre une seconde. Or, avant d'arrêter une ligne de conduite, j'aurais besoin de connaître exactement les faits.

      – Malheureusement, nous ne savons rien, répondit M. de Chandoré. Rien, sinon que Jacques est au secret.

      – Eh bien! nous nous informerons. Vous connaissez sans doute les magistrats de Sauveterre?

      – Fort peu, à l'exception du procureur de la République…

      – Et le juge chargé de l'instruction?

      L'aînée des demoiselles de Lavarande se dressa.

      – Celui-là! s'écria-t-elle, monsieur Galpin-Daveline est un monstre d'hypocrisie et d'ingratitude! Il se disait l'ami de Jacques. Et, en effet, Jacques l'aimait assez pour nous avoir décidées, ma sœur et moi, à accorder à ce petit juge la main d'une de nos cousines, une Lavarande… Pauvre enfant! Quand elle a connu l'affreuse vérité: «Ô mon Dieu! s'est-elleécriée, soyez béni de m'avoirépargné la honte d'être la femme d'un tel homme!»

      – Et en effet, ajouta l'autre vieille demoiselle, si tout Sauveterre croit Jacques coupable, c'est que chacun se dit: c'est un ami qui est son juge…

      Maître Folgat hochait la tête.

      – Il me faudrait des renseignements plus précis, dit-il. Monsieur de Boiscoran m'avait parlé du maire de la ville, monsieur Séneschal.

      M. de Chandoré sauta sur son chapeau.

      – En effet! s'écria-t-il, celui-là est notre ami, et si quelqu'un est bien informé, c'est lui! Allons le trouver. Venez…

      Certainement M. Séneschalétait l'ami des Chandoré, et aussi des Lavarande, et pareillement des Boiscoran. Si avoué que l'on soit, ce ne peut-être sans s'attacher aux gens que, vingt années durant, on est leur confident et leur conseil.

      Bien après avoir vendu sa charge, M. Séneschalétait encore le seulà avoir l'absolue confiance de ses anciens clients. Jamais ils n'eussent pris une détermination grave sans avoir son avis. Ils s'adressaient à son successeur, mais ils le consultaient avant. Les services, d'ailleurs, étaient réciproques. La clientèle de grand-père Chandoré et de l'oncle de Jacques n'avait pasété sans attirer plus d'un paysan processif en l'étude de maître Séneschal. Leur appui ne lui avait pasété inutile, lorsque, pris du vertigo [2] de l'ambition, il s'était «sacrifié à son pays»en sollicitant la place de maire et le mandat de conseiller général.

      Aussi, ce digne et excellent hommeétait-il consterné, lorsqu'au matin de l'incendie du Valpinson, il rentra à Sauveterre. Ilétait si blême et si défait que sa femme en fut toute saisie.

      – Seigneur Dieu! Auguste! s'écria-t-elle, que t'est-il arrivé?

      Augusteétait le prénom de M. Séneschal.

      – Il arrive quelque chose d'affreux! répondit-il d'un accent si tragique que Mme Séneschal en frémit.

      Il est vrai que Mme Séneschal frémissait aisément. C'était une femme de quarante-huit à cinquante ans, très brune, courte, dodue, et dont la poitrine mettait à de rudesépreuves les corsages que lui confectionnaient ses couturières, les demoiselles Méchinet, les sœurs du greffier.

      Jeune, elle avait eu la beauté du diable. Elle gardait en vieillissant des joues enluminées comme une image d' Épinal, une forêt de cheveux noirs bien plantés et des dents admirables. Pourtant elle n'était pas heureuse. Sa vie s'était consumée à souhaiter un enfant et elle n'en avait pas eu. «Ce qui doit, disait-elle, paraître inexplicable aux personnes qui nous connaissent, monsieur Séneschal et moi; lui qui aété un des beaux hommes de Sauveterre, et moi qui ai toujours joui d'une santé exceptionnelle.»

      Et tout de suite, qu'on fût ou non de son intimité, elle entrait à ce sujet dans les détails les plus délicats, disant ses déceptions et celles de son mari, les pèlerinages qu'elle avait faits, le nom des médecins qu'ils avaient consultés, et combien de mois elle avait passés au bord de la mer, vivant presque exclusivement de poisson qu'elle n'aimait point. Rien n'avait réussi; et ses espérances s'évanouissant avec les années, elle s'était résignée, et l'amertume de ses regrets s'était changée en une sorte de mélancolie sentimentale qu'elle nourrissait de romans et de poésies. Elle avait une larme au service de toutes les infortunes, et quelques paroles de consolation pour toutes les douleurs. Sa charité était proverbiale. Jamais une pauvre femme en couches ne s'était inutilement adressée à son cœur.

      Ce qui ne l'empêchait pas d'être une maîtresse femme qu'ilétait malaisé de duper, menant sa maison au doigt et à l'œil, dirigeant une lessive ou réglant un dîner comme pas une dame de Sauveterre.

      C'est donc en sanglotant qu'elleécouta le récit que lui fit son mari desévénements de la nuit. Et lorsqu'il eut achevé:

      – Cette pauvre Denise, dit-elle, est capable d'en mourir. À ta place, j'irais bien vite chez monsieur de Chandoré, lui apprendre avec tous les ménagements convenables cette funeste nouvelle.

      – C'est ce dont je me garderai bien! s'écria M. Séneschal, et même je te défends expressément d'y aller…

      C'est qu'il n'était pas un héros de stoïcisme et que, s'il se fûtécouté, il eût pris le chemin de fer et se fût enfui à cent lieues, pour n'être pas témoin de la douleur de grand-père Chandoré et de tantes Lavarande, du désespoir de Denise, surtout, qu'il affectionnait particulièrement, et dont, depuis tant d'années, il soignait et arrondissait la dot avec autant de sollicitude que si elle eûtété sa fille.

      C'est qu'aussi il ne savait plus que croire, et qu'influencé par l'assurance de M. Galpin-Daveline, désorienté par le déchaînement de l'opinion, il en arrivait à se demander si Jacques, véritablement, n'avait pas commis les crimes dont on l'accusait.

      Ses occupations, par bonheur, devaientêtre, ce jour-là, trop nombreuses pour lui laisser le loisir de la réflexion. Il avait à assurer le transport des restes informes du tambour Bolton et du pauvre Guillebault. Il dut recevoir la mère de l'un et la femme de l'autre, écouter leurs lamentations et essayer de les consoler; promettre à la première une petite pension, affirmer à la seconde qu'il ferait obtenir à l'aîné de ses garçons une bourse entière au collège de Sauveterre ou au petit séminaire de Pons.

      Il lui avait fallu, de plus, donner des ordres pour qu'on rapportât, avec toutes les précautions nécessaires, les blessés de l'incendie, le gendarme et le paysan.

      Il s'était, aussitôt après, mis en quête d'une maison pour le comte et la comtesse de Claudieuse, et ne l'avait pas trouvée sans peine.

      Enfin, une bonne partie de son après-midi avaitété prise par une violente discussion avec le docteur Seignebos. Le docteur, au nom, prétendait-il, de la science outragée, au nom de la justice et de l'humanité, réclamait l'arrestation immédiate de Cocoleu, ce misérable dont le témoignage inconscient avaitété la base de la prévention. Il exigeait, jurait-il, en frappant du poing sur la table, que cet idiotépileptique fût conduit à l'hôpital et séquestré, par mesure administrative, pourêtre ultérieurement soumis à l'examen des hommes de l'art.

      Longtemps le maire avait résisté à ces prétentions, qui lui paraissaient exorbitantes, mais M. Seignebos avait parlé si haut et si ferme qu'à la fin il avait expédié deux gendarmes à Bréchy, avec l'ordre de ramener Cocoleu.

      Ilsétaient revenus quelques heures plus tard, les mains vides. L'idiot avait disparu. Personne, dans le pays, n'avait pu leur donner de ses nouvelles.

      – Et vous trouvez cela naturel! s'étaitécrié le docteur Seignebos, dont les yeuxétincelaient sous ses lunettes d'or. Moi, j'y vois la preuve irrécusable du complot organisé pour perdre monsieur de Boiscoran.

      – Mais, sacrebleu! soyez donc tranquille, avait répondu M. Séneschal, agacé, Cocoleu n'est pas perdu, on le retrouvera.

      Le médecin s'étaitéloigné sans insister, mais avant de rentrer chez lui, ilétait monté au cercle, et là, en présence de plus de vingt personnes, il avait dit avoir acquis la preuve que Jacques de Boiscoranétait victime de ses opinions

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<p>2</p>

Caprice, fantaisie.