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La corde au cou. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La corde au cou
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Manuel Folgat. Je vais vous l'envoyer…
Deux heures après, en effet, le protégé de maître Chapelain franchissait le seuil de l'hôtel de Boiscoran.
C'était un homme de trente à trente-deux ans, très brun, avec de grands yeux bien ouverts, et dont toute la physionomie respirait l'intelligence et l'énergie.
Il plut au marquis, lequel, après lui avoir exposé ce qu'il savait de la situation de Jacques, entreprit de lui faire connaître le terrain sur lequel il allait manœuvrer, lui disant quels alliés et quels adversaires il rencontrerait à Sauveterre, lui recommandant surtout de se fier à M. Séneschal, un vieil ami de la famille, personnage influent et le plus retors de tous ces diplomates de sous-préfecture, qui rendraient des points à Machiavel.
– Tout ce qu'il est humainement possible de faire sera fait, monsieur, dit l'avocat.
Et le soir même, à huit heures quinze minutes, la marquise de Boiscoran et Manuel Folgat prenaient place dans un coupé du chemin de fer d'Orléans.
2. Le chemin de fer qui relie Sauveterre à la ligne d'Orléans doit une légitime célébrité…
Le chemin de fer qui relie Sauveterre à la ligne d'Orléans doit une légitime célébrité à une série de courbes absolument inutiles, mais qui sont comme un défi au bon sens et qui seraient le théâtre d'accidents quotidiens si l'on s'avisait de marcher à une vitesse de plus de huit ou dix kilomètres à l'heure. La gare, toujours pour la plus grande commodité de messieurs les voyageurs, aété bâtie à une bonne demi-lieue de la ville, sur l'emplacement des jardins de M. Thibault, le premier banquier de l'arrondissement. On y arrive par une jolie route jalonnée d'auberges et de cabarets, lesquels, les jours de marché, s'emplissent de paysans qui, le verre à la main et la bouche pleine de protestations de bonne foi, cherchent à se voler à qui mieux mieux.
Les jours ordinaires, même, cette route est assez fréquentée, car le chemin de fer est devenu un but de promenade. On y va voir arriver ou partir les trains, dévisager lesétrangers, et aussiépiloguer sur les motifs connus ou secrets qui peuvent déterminer M. Untel ou Mme Unetelle à se mettre en voyage.
Ilétait neuf heures du matin, lorsqu'approcha enfin de Sauveterre le train qui amenait la marquise de Boiscoran et maître Folgat.
La marquiseétait brisée des fatigues et des angoisses de cette nuit passée tout entière à discuter les chances de salut de son fils, et d'autant plus anéantie que maître Folgat s'étaitétudié à ne pas encourager ses espérances. C'est qu'il partageait, sans en avoir rien laissé paraître, les doutes de maître Chapelain. De même que le vieil avoué, le jeune avocat s'était dit qu'on n'arrête pas un homme tel que Jacques de Boiscoran sans les plus fortes raisons, sans avoir en main de ces preuves qui valent presque une certitude. Bientôt le train ralentit sa marche.
– Pourvu, mon Dieu! fit Mme de Boiscoran, pourvu que Denise et monsieur de Chandoré aient eu l'idée d'envoyer une voiture par-devant de nous.
– Pourquoi cela, madame? demanda maître Folgat.
– Pour m'y jeter bien vite, monsieur, pour y dérober à tous les yeux ma douleur et mes larmes…
Le jeune avocat secoua la tête.
– C'est ce que vous vous garderez de faire, madame, dit-il, si j'ai sur vos actions quelque influence…
Elle le regardait d'un air surpris.
– Je veux dire, insista-t-il, qu'il ne faut pas que vous paraissiezéviter les regards. Ce serait une faute immense, peut-être irréparable. Que penserait-on, si l'on vous voyait désolée et en pleurs? On penserait que vousêtes sûre de la culpabilité de votre fils, et ceux qui doutent encore ne douteraient plus. Il vous faut, du premier coup, conquérir l'opinion; car elle est souveraine, madame, dans les petits pays surtout, où chacun vit sous le contrôle immédiat du voisin. L'opinion s'impose à tous et, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, elle poursuit les jurés jusque dans la salle de leurs délibérations…
– C'est vrai, murmurait la marquise, ce n'est que trop vrai…
– Donc, madame, au nom des intérêts les plus sacrés, faites appelà toute votreénergie, refoulez au plus profond de votreâme vos maternelles angoisses, séchez vos larmes et montrez à tous une confiance superbe. Que chacun, en vous apercevant, se dise: non, une mère n'est pas ainsi quand son fils est coupable.
Mme de Boiscoran se redressa.
– Vous avez raison, monsieur, dit-elle, et je vous remercie. Oui, c'est à moi de frapper l'opinion, et autant je souhaitais trouver la gare déserte, autant je désire maintenant qu'elle soit pleine de monde. Je vous ferai voir ce que peut une femme que soutient la pensée de son fils.
La marquise de Boiscoran n'était pas une femmelette. Tirant un peigne de son sac de voyage, elle répara le désordre de sa coiffure; en quelques gestes rapides, elle rétablit l'harmonie de sa toilette; ses traits, grâce à une puissante projection de volonté, reprirent leur sérénité accoutumée; elle contraignit sa bouche à sourire, sans qu'on discernât l'effort, et d'une voix d'un timbre pur et net:
– Regardez-moi, monsieur, dit-elle. Puis-je paraître, maintenant?
Le train s'arrêtait devant les bâtiments de la station. Maître Folgat sauta légèrement à terre, et offrant la main à la marquise pour l'aider à descendre:
– Soyez satisfaite, madame, lui dit-il, votre courage ne sera pas perdu; tout Sauveterre doitêtre là.
C'était plus qu'à moitié vrai. Dès la veille au soir, le bruit s'était répandu – semé par qui? on ne sait – que la «mère de l'assassin», comme on disait déjà charitablement, arriverait par le train de neuf heures, et chacun s'était bien promis à part soi de se trouver, par hasard, à la gare à son arrivée.
C'était uneémotion à ne pas négliger, dans une localité où la conversation vit trois jours sur la dernière robe arborée par la sous-préfète.
De l'impression de Mme de Boiscoran, en se trouvant en face de tant de monde, nul ne s'était inquiété ni soucié. C'est qu'à Sauveterre la curiosité a du moins cette qualité de n'être pas hypocrite. On y est indiscret naïvement et sans la moindre pudeur. On s'y plante carrément devant vous, et les yeux dans vos yeux, on s'efforce de démêler le secret de votre joie ou de votre douleur.
Il est vrai d'ajouter que les espritsétaient fort montés contre Jacques de Boiscoran. S'il n'y eût eu à sa charge que la destruction du Valpinson et les coups de fusil tirés à M. de Claudieuse, ce n'eûtété que peu de chose. Mais l'incendie avait eu des conséquencesépouvantables. Deux hommes y avaient péri, et deux autres y avaientété blessés assez grièvement pour qu'on les crût en danger de mort.
La veille, on avait vu un convoi sinistre traverser la rue Nationale. Dans une charrette, recouverte d'un drap et près de laquelle marchaient deux prêtres, on rapportait les restes carbonisés et n'ayant plus forme humaine de Bolton, le tambour, et du pauvre Guillebault. Dans une voiture qui suivaitétaient les deux blessés, l'un, le gendarme, impassible; l'autre, le fermier, poussant des cris déchirants.
Toute la ville avait pu voir la veuve de Guillebault se rendre chez le maire, portant entre ses bras son dernier enfant et traînant, pendus à ses jupes, les quatre autres, dont l'aîné n'avait pas douze ans.
Attribuant tous ces malheurs à Jacques, les gens le chargeaient de malédictions et songeaient peut-être à les faire remonter en huées jusqu'à sa mère, jusqu'à la marquise de Boiscoran.
– La voilà! la voilà! murmura-t-on dans la foule quand elle parut sur le seuil de la gare, donnant le bras à maître Folgat.
Seulement, on ne dit que cela, tant onétait surpris de l'assurance de son maintien.
Deux courants aussitôt divisèrent l'opinion. Elle a du toupet! pensaient les uns. Et les autres: elle est sûre de l'innocence de son fils.
Elle avait, en tout cas, assez de sang-froid pour discerner l'impression qu'elle produisait, et combien