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La main froide. Fortuné du Boisgobey
Читать онлайн.Название La main froide
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Il n’eut pas plutôt pris pied sur la chaussée de la grande avenue des
Champs-Elysées qu’il changea de sentiment sur la soi-disant Jacqueline.
Ce fut un revirement complet.
Dans la voiture, il la trouvait adorable; il croyait à ses serments et aux histoires pleines de réticences qu’elle lui racontait.
Depuis qu’il avait touché terre, elle lui faisait l’effet d’une intrigante et il ne se pardonnait pas de s’être laissé prendre à ses mensonges.
– Non, disait-il entre ses dents, je ne me corrigerai jamais… les yeux d’une jolie fille m’empêcheront toujours d’y voir clair. En voilà une qui s’en va m’attendre à la sortie du Luxembourg et qui me force à monter en fiacre avec elle. Maria, l’apprentie accoucheuse, n’oserait pas en faire autant. Je me laisse emmener et au lieu de profiter de l’occasion, je la prends pour une femme du monde et j’écoute pieusement les balivernes qu’elle me débite sur mon ami Jean… Ah! ce qu’il me blaguerait, s’il me voyait lâché sur l’asphalte, pendant qu’elle se fait conduire chez un amant qui l’attend du côté du rond-point! Elle m’a joué là un bon tour, mais je la repincerai…
Tout en s’objurguant ainsi lui-même, Paul suivait des yeux la voiture.
Il en était descendu à la hauteur du Cirque d’Eté et il s’était avancé jusqu’au coin de l’avenue Matignon. Il la vit s’arrêter un peu plus loin, du côté de la rue Montaigne.
La dame en sortit, paya le cocher et s’engagea, sans se retourner, mais sans trop se presser, dans l’avenue d’Antin.
– Parbleu! je saurai où elle va, grommela Paul Cormier.
Elle m’a fait jurer de ne pas l’interroger, mais elle ne m’a pas défendu de la suivre. Si elle s’en aperçoit, je la rattraperai et nous aurons une petite explication où je ne me gênerai pas pour lui dire son fait. Si elle ne me voit pas, je ne la lâcherai qu’à la porte de la maison où elle entrera.
Et encore! non… je me sens très capable d’y entrer avec elle… il en arrivera ce qu’il pourra.
Paul passait d’un excès à l’autre. Après avoir été trop timide, il devenait trop hardi.
Il eut tôt fait de revoir la dame qui filait rapidement sur le large trottoir de l’avenue d’Antin et comme il était passé maître dans l’art du suivre les femmes, il sut maintenir sa distance, sans se rapprocher jusqu’à attirer son attention.
Il manœuvra si bien qu’au moment où, après avoir tourné court, elle franchit le seuil d’une porte cochère ouverte, il put la rejoindre sous la voûte, sans qu’elle sentît qu’il était presque sur ses talons.
La maison avait l’air d’être un hôtel particulier et la blonde y avait ses entrées,– soit qu’elle l’habitât, soit qu’elle y fût déjà venue souvent— car elle poussa tout droit jusqu’à une tapisserie mobile qui barrait le vestibule et qu’elle écarta avec sa main, cette main qu’elle avait refusée à Paul en le congédiant.
Paul, qui serrait de près sa traîtresse, arriva juste au moment où apparaissait un superbe valet de pied, placé là pour recevoir les visiteurs et pour crier leurs noms.
Ce domestique ne connaissait pas Cormier, mais il connaissait la dame et, comme ils entraient ensemble, il annonça sans hésiter:
– Monsieur le marquis et madame la marquise de Ganges!
Paul avait réussi au-delà de ce qu’il espérait. Il était entré dans la place, avant que la dame se fût aperçue de sa présence. Il venait même d’apprendre son véritable nom qu’elle tenait tant à lui cacher. Mais ces succès inattendus le gênaient énormément.
Il avait deviné sans peine que le valet de pied l’avait pris pour le mari de la femme qu’il avait l’air d’escorter. Il prévoyait donc que cette annonce saugrenue allait faire sourire ceux qui l’avaient entendue et mettre en colère la prétendue Jacqueline, marquise de Ganges.
Il aurait bien voulu battre en retraite, mais il n’était plus temps.
Paul était tombé au beau milieu d’une de ces réunions mondaines que les Anglais appellent: five o’clock tea, et ce thé de cinq heures se tenait dans la cour de l’hôtel, une cour pleine de fleurs et couverte d’un velum en soie, destiné à préserver les invités des ardeurs du soleil printanier.
Il y avait là une douzaine de visiteurs des deux sexes, groupés autour de la maîtresse du logis qui offrait à la ronde des tasses de thé et tous les yeux étaient braqués sur le couple nouveau venu.
Évidemment, un orage allait tomber sur l’intrus qui se permettait de s’introduire ainsi dans un cercle d’intimes où personne ne le connaissait.
A la grande stupéfaction de Paul, cet orage n’éclata pas.
Il y eut des chuchotements, mais pas la moindre manifestation hostile et les regards fixés sur Paul étaient plutôt bienveillants.
La marquise, seule, rougit et lui lança un coup d’œil, chargé de reproches, mais non pas de menaces.
Elle aussi avait deviné la méprise du domestique et le prodigieux fut qu’elle s’abstint de la rectifier.
Se résignait-elle à en subir les conséquences pour éviter une explication qui n’aurait pas tourné à son avantage, si Paul se fût avisé de raconter comment il se trouvait là, après une course en fiacre? Il était tenté de le croire et il ne répugnait pas à se prêter à cette comédie de salon, mais il se demandait comment la dame allait se tirer de la situation qu’elle paraissait disposée à accepter.
Les invités qui la connaissaient devaient connaître aussi son mari et probablement ce mari ne ressemblait guère à Paul Cormier, qui n’avait pas du tout, comme on dit au théâtre, le physique de l’emploi.
Mais les figures n’exprimaient pas d’autre sentiment que la curiosité— une curiosité décente qui n’avait rien de blessant pour celui qui en était l’objet.
On l’observait à la dérobée, comme on observe un monsieur dont on a souvent entendu parler et qu’on n’a jamais vu.
La dame qui donnait ce thé vint droit à Paul Cormier et lui dit gracieusement:
– Soyez le bienvenu chez moi, monsieur le marquis. Cette chère Marcelle ne vous attendait que la semaine prochaine. Je la remercie de ne pas avoir perdu un seul jour pour vous amener ici. Vous êtes arrivé, hier, je pense?
A cette question qu’il aurait dû prévoir, Paul ne sut que répondre et il serait resté bouche bée; mais la blonde aux yeux noirs se chargea d’y répondre.
– Ce matin, par l’orient-express, dit-elle, en regardant fixement son prétendu mari.
– C’est fort aimable à vous et surtout à M. de Ganges d’être venus, reprit la maîtresse de la maison: car il doit être horriblement fatigué après un si long voyage.
Paul se contenta de sourire. C’était le meilleur moyen de ne pas se compromettre; mais il ne pourrait pas toujours se tirer d’affaire avec des sourires et il n’imaginait pas comment finirait la scène.
Elle commençait du reste à l’amuser et il reprenait peu à peu son aplomb, fort dérangé au début.
– Permettez-moi, monsieur le marquis, continua la dame, qui était une fort belle personne, un peu mûre, mais d’aspect agréable; permettez-moi de vous présenter mes amis, après vous avoir présenté à mes amies, qui sont aussi les amies de Marcelle et que vous aurez l’occasion de revoir, puisque vous comptez faire un assez long séjour à Paris.
Cette fois Paul se contenta de s’incliner et les présentations commencèrent.
Ce n’étaient que comtesses et baronnes, marquis et vicomtes, tout un annuaire de la noblesse où le véritable marquis de Ganges