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La main froide. Fortuné du Boisgobey
Читать онлайн.Название La main froide
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Fortuné du Boisgobey
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Paul Cormier, qui la lorgnait inutilement, commençait à se lasser de ce manège improductif, lorsque Mirande, s’arrêtant tout à coup, lui dit:
– Ah! ça, qu’est-ce que tu as donc à te retourner à chaque instant? J’en ai assez de te traîner comme un cheval rétif qu’on mène par la figure et qui tire au renard.
– Une femme adorable, mon cher! murmura Cormier, en serrant le bras de son ami.
– Où donc?… cette liseuse, là-bas, au pied d’une statue?… Elle n’est pas mal, mais ce n’est pas la peine de risquer d’attraper un torticolis pour la contempler… aborde-la carrément.
– Tu ne vois donc pas que c’est une femme du monde?… une vraie.
– Décidément, tu es encore plus jobard que je ne pensais.
– C’est toi qui a la manie de prendre toutes les femmes pour des drôlesses. Celle-là est seule en ce moment, mais elle attend quelqu’un… son mari très probablement.
– Allons donc! elle attend quelqu’un, oui… seulement elle ne sait pas qui… toi, si le cœur t’en dit… ou moi, si je voulais, mais, moi, je ne veux pas. Elle me déplaît, ta princesse, avec son air en-dessous. Et puis, ce soir, j’offre à dîner à deux ou trois jolies filles qui s’amusent bon jeu, bon argent, au lieu de faire les pimbêches: Maria, l’élève de la Maternité et Georgette, une petite actrice des Nouveautés, gaie comme un pinson. Lâche ta femme honnête. Je t’invite. Nous aurons en plus Véra, la Russe… externe à la Pitié.
– Une nihiliste!… merci!… ton apprentie accoucheuse et ta figurante ne me tentent pas non plus. Du reste, tu sais bien qu’aujourd’hui, dimanche, je dîne chez ma mère.
– Blagueur, va!… dis donc plutôt que tu as envie de suivre ta marquise de carton. Faut-il que tu sois naïf!… ça, une grande dame?… une horizontale, tout au plus… et de petite marque, mon pauvre Paul. Je m’y connais.
– Tu crois t’y connaître et tu n’y entends rien.
– Ah! c’est comme ça!… tu prétends m’en remontrer!… eh! bien, je vais te donner une leçon. Tu vas voir comment on s’y prend pour faire connaissance avec une princesse qui vient chercher fortune à la musique du Luxembourg.
Et, dégageant son bras, Mirande alla droit à la liseuse.
Paul essaya de le retenir. Il n’y réussit pas et il resta, planté sur ses jambes, au milieu de la terrasse, et fort embarrassé de sa contenance, pendant qu’à dix pas de lui, le beau Mirande s’asseyait sans façon sur une des chaises restées libres à côté de la dame.
Cette fois, elle leva la tête et elle se montra dans toute sa radieuse beauté.
C’était une blonde aux yeux noirs, une blonde qui avait le teint mat et chaud d’une Espagnole de Séville avec la physionomie intelligente et vive d’une Parisienne de Paris.
Pas du tout intimidée, d’ailleurs.
– Pardon, madame, commença Mirande en retroussant sa moustache, vous devez vous ennuyer toute seule et je me suis dit…
Il n’acheva pas sa phrase. La dame le regardait fixement et ses yeux n’exprimaient que le dédain, mais un dédain si calme et si fier qu’il s’arrêta net.
Les grosses galanteries qu’il allait débiter lui restèrent dans le gosier. Et alors se joua une scène muette qui ravit d’aise l’ami Paul.
Déconcerté par ce regard froid et par ce silence hautain, Mirande ôta son chapeau qu’il avait, d’un geste conquérant, enfoncé sur sa tête avant de s’emparer de la chaise vacante, alors qu’il croyait à une victoire facile.
Se découvrir poliment, ce n’était pas assez pour réparer sa première inconvenance et la dame continuait à le dévisager, sans lui adresser la parole.
Il se décida à se lever et il cherchait un mot pour se tirer le moins mal possible de la sotte situation où il s’était mis, lorsqu’il vit debout, devant lui, un monsieur, vêtu de noir, qui s’était approché sans qu’il l’entendît venir.
– Enfin! s’écria-t-il, tout heureux de consoler son amour-propre en cherchant noise à quelqu’un; enfin je trouve à qui parler!
Jean de Mirande s’était bien aperçu que la blonde inconnue le trouvait ridicule; et il était d’autant plus vexé que Paul Cormier assistait de loin à sa défaite. Paul Cormier qu’il comptait éblouir en faisant, au pied levé, la conquête d’une femme jeune, jolie et parfaitement distinguée, quoi qu’il en eût dit, avant de l’aborder.
Et pour se relever aux yeux de son ami de cet échec humiliant, il n’avait rien imaginé de mieux que d’apostropher un monsieur, père, frère ou mari, très probablement, de cette grande mondaine, fourvoyée au Luxembourg.
Ce personnage qui venait de surgir tout à coup, comme un diable jaillit d’une boîte à surprise, montrait un visage complètement rasé, sauf une paire de favoris, coupés au niveau de l’oreille et portait à la boutonnière de sa longue redingote un mince ruban rouge.
Il avait tout à fait l’air d’un officier en demi-solde, un de ces types de grognards licenciés comme on en voyait du temps de la Restauration et comme on en voit encore dans les dessins de Charlet.
Grands traits qui semblaient avoir été taillés à coups de hache, regard dur, physionomie chagrine.
Au lieu d’interpeller Mirande qui s’y attendait et se préparait à répliquer vertement, l’homme vêtu de noir vint, sans dire un mot, se placer entre l’étudiant et la liseuse qui ne lisait plus.
Mirande crut que ce protecteur muet allait s’asseoir, afin d’établir par cette prise de possession son droit de défendre la belle inconnue, mais le protecteur resta debout, fronçant le sourcil, pinçant les lèvres et opposant sa large poitrine à toute tentative d’occupation.
– Monsieur, dit Jean, un peu déconcerté par ce sang-froid je viens d’aborder cavalièrement madame qui, je le suppose, vous tient de près. Si vous n’êtes pas content, je suis à vos ordres et je vous laisse le choix des armes. Vous pouvez m’envoyer vos témoins demain matin… Jean de Mirande, boulevard Saint-Germain, 119. Je les attendrai jusqu’à midi.
– Je n’ai que faire de votre adresse, répondit sèchement le monsieur.
Passez votre chemin.
– Alors, vous ne voulez pas vous aligner? Très bien!… je me suis trompé. Je vous prenais pour un ancien militaire à cause de ce bout de ruban.
Je m’aperçois que j’ai affaire à un bourgeois, décoré par l’intermédiaire de l’agence Limouzin. Puisque vous ne vous battez pas, je n’ai plus rien à vous dire. Gardez bien madame votre épouse et au plaisir de ne jamais vous revoir.
Après avoir lâché cette dernière impertinence, Mirande pirouetta sur ses talons avec la désinvolture d’un marquis d’autrefois et s’en alla rejoindre Paul Cormier.
Il était resté à distance, cet excellent Paul, et assez embarrassé de sa situation.
De la place où il semblait avoir pris racine au milieu de la terrasse, il n’entendait pas les paroles agressives que lançait Jean, mais il suivait de l’œil ses mouvements. Il comprenait très bien que son incorrigible ami cherchait querelle au défenseur de la dame blonde, et il ne fut pas peu surpris de le voir battre en retraite.
– Eh bien! lui demanda-t-il, sans pouvoir s’empêcher de sourire, as-tu réussi?
– Mon cher, répliqua sèchement Mirande, je sais tombé sur une rouée qui me l’a faite à la pose. Pour lui montrer que je n’étais pas sa dupe, j’ai proposé la botte à cet escogriffe qui lui sert de garde du corps. Il a cané.
– Il a cependant l’air d’un ancien officier.
– Lui!