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plus à déménager. Nous rehaussâmes les ridelles de la remorque avec le cadre de notre lit et nous nous mîmes à charger. Tout ce qui ne rentrait plus dans la remorque, nous l’entreposions sur la galerie du toit, gardant l’intérieur du combi vide afin de dormir dedans, comptant trois jours pour le trajet. J’inspectai une dernière fois toutes les pièces de la maison pour être sûr que tout était vide. Cette fois-ci tout était vraiment vide, contrairement au moment où nous avions emménagé. Tout avait l’air triste. Je réalisais que chaque chambre sentait différemment et je voyais, comme des images extraites d’un film, des souvenirs du temps passé dans cette maison défiler devant mon œil interne. Quelques larmes me montèrent aux yeux… Je traversais une dernière fois l’étable. Ça sentait encore un peu nos chèvres. Est-ce qu’elles allaient être bien ? Un dernier tour autour de la maison. « Adieu ! Il faut partir ! Merci, mon lieu si familier de nous avoir hébergés pendant quelque temps ! Bénédiction à ceux qui vont vivre ici après nous ! ». Mon regard s’arrêta sur l’épigraphe que j’avais peinte au-dessus de la porte. Quand nous habitions encore dans la « maison des fleurs », les gens me demandaient parfois si je pourrais leur peindre quelque chose sur leur maison. Quelqu’un me donna un pochoir afin de lui faire une inscription. Je l’avais aussi utilisé pour nous :

      Cette maison est la mienne, mais elle n’est pas à moi.

      Elle n’appartiendra pas non plus à celui qui viendra après moi.

      Celui qui y habitait avant est sorti les pieds devant -

      Alors dis-moi, à qui appartient cette maison ?

      Presque tous les voisins, avec lesquels il avait fallu beaucoup de temps pour tisser des liens, étaient au bord du chemin et nous faisaient signe. Pour la première fois je me sentais appartenir à cet endroit ! Mais tant pis ! Une page de notre livre de la vie était en train d’être tournée. Nous montâmes à bord, la première vitesse, et c’était parti ! Nous nous arrêtâmes brièvement chez Martin. Il prit une photo de notre « roulotte de gitans », comme il appelait note attelage.

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      D’abord nous avançâmes au pas, pris dans les éternels bouchons le long du Lac de Constance. Puis à travers la Forêt Noire avec ses virages, vers la frontière française. Là, on nous demanda de nous garer sur le côté. « Les papiers, s’il vous plaît ! » « Quels papiers ? Ce n’est que de la camelote ! Pourquoi devrions-nous encore avoir des documents ? » « Dans de cas il faudra les faire ! En tout cas les bureaux sont déjà fermés pour aujourd’hui. Demain à partir de 9 heures ils seront ouverts ! »

      *

      Nous passâmes la nuit sur un parking en chantier entre des poids lourds qui, comme nous, attendaient l’ouverture des bureaux de la douane. Pendant que Doris faisait manger les enfants, je rentrai dans un des bureaux. On me donna un imprimé. Je devais faire une liste de tous nos biens et leur valeur en trois exemplaires ! Et il se pouvait que nous devions encore payer des droits de douane ! J’étais content de ne pas devoir tout décharger. Je m’assis sur un banc et commençai à tout noter de mémoire. Quand la première liste fut pleine, j’en demandai une autre. Le fonctionnaire était horrifié de ma précision. Non, ce n’était pas ce qu’il avait voulu dire. Que dans les grandes lignes, que les objets les plus grands ! Ils nous établirent également une attestation d’entrée sur le territoire qui était nécessaire afin de demander une carte de séjour plus tard à la préfecture du futur domicile. A midi tout était enfin rempli et tamponné. Nous pûmes alors reprendre la route. L’autoroute était encore en construction. En dehors de celle allant de Paris à Marseille en passant par Lyon à travers la vallée du Rhône, il n’y en avait pas d’autre. Quand nous fîmes une pause, une voiture civile s’arrêta avec à son bord des non-civils, qui nous collèrent leur carte sous le nez. Bien sûr, un chargement pareil ne passait pas inaperçu ! Ils voulaient savoir ce que nous transportions. « Des biens de déménagement ! », répondis-je en leur présentant mes listes tamponnées par leurs collègues. Ils ne semblaient pas avoir compté avec ça. La liste dans la main ils firent le tour des véhicules et semblaient satisfaits. Et nous aussi, quand ils eurent enfin disparu !

      Notre but était d’éviter les autoroutes, car lors du premier voyage nous avions constaté qu’aux péages il y avait un mécanisme qui comptait automatiquement les essieux. Avec trois essieux on rentrait dans la catégorie camion ou semi-remorque. A notre grand désarroi, avant Lyon tous les panneaux du trafic des grands axes nous ramenèrent sur l’autoroute. N’ayant pas d’autre choix nous la prîmes. Par chance, elle était gratuite, sans doute pour soulager la ville du trafic longue distance. Mais nous ne l’apprîmes que plus tard ! Nous étions soulagés quand la Méditerranée fut enfin en vue. Après avoir trouvé un endroit pour garer les véhicules, nous retroussâmes les pantalons et courûmes dans l’eau. Les amandiers ornés de leurs fleurs rosées et les genêts jaunes nous indiquaient que nous étions enfin dans le Midi !

      *

      Une fois arrivés sur place, nous montâmes à la maison. Tout se trouvait dans le même état où je l’avais laissé dix jours plus tôt. Les crottes de mouton devant la maison nous prouvaient que quelqu’un avait été là-haut. Le petit champ aussi était labouré. Nous constatâmes que la couche de terre était peu profonde. Elie n’avait quasiment retourné que la couche d’herbe. En dessous on voyait le schiste gris-noir. Les enfants couraient dans tous les sens et découvrirent bientôt le tas de sable. La mère de Martin leur avait fait cadeau d’un set d’ustensiles de bac à sable à notre départ. Ainsi ils attaquèrent le tas. Je leur demandai de ne pas trop éparpiller le sable, car avant d’arriver ici nous l’avions déjà manipulé trois fois ! Mais comme ça on pouvait garder les enfants à l’œil. Nous nous assîmes devant le mur au soleil printanier. Nous repoussâmes le déchargement au lendemain. Les 1300 kilomètres nous avaient bien épuisés. Seuls les enfants débordaient d’énergie après leur longue captivité dans le combi ! Nous étions le 16 avril 1980.

      La première nuit nous dormîmes tous dans la caravane. Puis j’expliquai à Doris comment allumer la motofaucheuse et actionner le treuil. Nous montâmes nos dernières affaires. Lentement tout prenait forme et les pièces devenaient chaleureuses. Surtout, quand la cuisinière fut branchée. Au tout début le tuyau du chauffe-eau qui se trouvait dans la cave traversait le plancher de la cuisine et puis traversait, avec le tuyau de la cuisinière, le mur vers l’extérieur. Mais bientôt je montai une cheminée à l’extérieur de la maison. Ceci était plus sûr et permettait un meilleur tirage. A l’endroit où le tuyau avait traversé le mur, j’enlevais d’autres pierres et créais une autre ouverture.

      Le grenier fut habillé avec du lambris, afin de le rendre plus confortable. Ici les fenêtres étaient utilisables. Mais il manquait les carreaux. J’enlevai la croix et posai une grande vitre à la place des quatre petites. Afin de fermer les fenêtres de l’étage en dessous, nous assemblâmes des cadres au moyen de liteaux et de clous et les habillâmes avec des bâches en plastique. Malgré la latitude méridionale, les nuits pouvaient être très fraîches, et surtout les jours de pluie et de vent !

      *

      La maison était enfin agréable à habiter. Puis nous nous mîmes à sortir le fumier de l’étable pour faire place aux premiers animaux. A la pioche et au crochet fourchu, nous attaquâmes la couche de fumier qui se trouvait à hauteur de genou. Nous le jetâmes en bas du talus, où Doris le reprit afin de l’éparpiller sur le futur jardin. En dessous nous mîmes à nu une surface presque plane taillée dans la roche, avec des rigoles et une évacuation en-dessous du mur. Bien sûr que tout avait souffert du temps passé et du purin ! Avec quelques bétonnières d’un bon mélange, nous remîmes tout à neuf. Nous trouvâmes même quelques colliers de vaches en bois dans le fumier. D’abord nous ne savions pas ce que c’était. Jean-Paul nous expliqua le système, car il avait le même dans son étable en bas. Les ancêtres avaient tressé, avec des lianes de chèvrefeuille – cette plante qui grimpe aux arbres et dont les fleurs blanches le printemps venu diffusent un parfum envoûtant (nous, nous

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