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la quarantième de mon existence. Il vaut mieux être franc–je ne crois pas que les conseils que je vous donnerai, tandis que je serai dans ce pays, concernant les territoires du Canada, auront aucune influence de l'autre côté de la frontière; mais la question peut être envisagée d'un autre point de vue: D'après les clauses 31 et 32 du traité de Manitoba, j'ai droit à certaines terres, dont j'ai été privé directement ou indirectement par le gouvernement du Canada. Nonobstant le fait que je sois devenu citoyen américain, ma réclamation pour ces terres est encore valide; par conséquent, mes intérêts étant les mêmes que les vôtres, j'accepte votre bonne invitation, et j'irai passer quelques mois parmi vous, dans l'espérance qu'à force d'envoyer des pétitions, nous obtiendrons du gouvernement le redressement de tous nos griefs.

      L'élément métis forme une partie considérable de la population du Montana, et si nous comptons les blancs qui, par suite de mariages ou autrement ont intérêt à sauvegarder les privilèges des Métis, il est évident, qu'ils forment une classe puissante. Je suis actuellement occupé à faire leur connaissance, et je suis un de ceux qui aiment à voir régner parmi eux l'union. De plus, j'ai fait des amis et des connaissances parmi lesquels j'aime à vivre. Je vous accompagnerai, mais je reviendrai en septembre.

      J'ai l'honneur d'être, messieurs les délégués,

Votre humble serviteur,LOUIS RIEL.

      Le journal Le Manitoba, qui depuis a obéi à l'ordre d'injurier Riel, écrivait en ce temps là: «On dit que M. Riel revient avec sa famille. Oh! s'il pouvait seulement avoir l'heureuse idée de demeurer constamment parmi nous. Cet homme ne peut faire que du bien à ses concitoyens…»

      Et le 10 août suivant, Sir A. P. Caron, en villégiature à la Rivière-du-Loup, donnait un dîner politique auquel assistaient Sir John A. Macdonald et une dizaine de conservateurs de la province de Québec. Le chef du cabinet y déclara: «que la présence de Riel au Nord-Ouest n'avait rien d'inquiétant pour le gouvernement, que tout au contraire elle favorisait ses vues, et que le chef métis travaillait à concilier les intérêts des populations avec ceux de la couronne, qu'il méritait de la reconnaissance plutôt que du blâme.»

      Le 5 septembre, une grande réunion, dont le Manitoba a rendu compte, se tint à Saint-Laurent, et adopta, sur la proposition de Riel, les propositions suivantes:

      Nous voulons,

      1° La subdivision des territoires du Nord-Ouest en provinces.

      2° Pour les habitants du Nord-Ouest des avantages semblables à ceux qui ont été accordés en 1870 aux habitants du Manitoba.

      3° Une concession de 240 acres de terre aux Métis qui n'ont pas encore reçu de concession.

      4° La concession immédiate par lettre patente des terrains actuellement occupés par les Métis.

      5° La mise en vente, par le gouvernement, de 500,000 acres de terre; le produit de cette vente devant être placé à intérêt pour subvenir aux besoins des Métis pour l'établissement d'hôpitaux, d'orphelinats et d'écoles, ou encore pour fournir aux pauvres gens des charrues ou d'autres instruments agricoles et des semences.

      6° La mise en réserve de 100 cantons (townships) dans des terrains marécageux et qui ne seront probablement peuplés d'ici à longtemps; ces terrains devant être distribués aux enfants des Métis de la prochaine génération et pendant 120 ans, chaque enfant devant recevoir sa part à l'âge de 18 ans.

      7° Une subvention d'au moins 1,000 piastre pour établir un couvent dans les établissements considérables des Métis.

      8° L'amélioration dans les conditions du travail des Sauvages pour les empêcher de mourir de faim, et un plus grand soin de leur personne.

      Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert, le R. P. Fourmond, le R. P. Touze, le R. P. Lecoq, assistaient à cette assemblée, et Mgr Grandin fut vivement prié par les Métis de faire connaître son opinion.

      «Parmi ces propositions, dit Sa Grandeur, il y en a qui touchent de trop près à la politique, celles-là nous sont indifférentes et nous ne voulons nous en mêler aucunement, parce qu'elles n'ont qu'un intérêt douteux pour la population et la religion. Quant aux autres, nous nous en occupons depuis longtemps; et nous nous sommes efforcés de les faire admettre par le gouvernement; nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour obtenir justice; nous avons même obtenu des promesses que nous croyions officielles; aujourd'hui, nous constatons avec regret qu'elles ont été oubliées, nous partageons votre mécontentement et nous n'avons pas manqué de nous plaindre auprès des autorités…»

      Malheureusement, ni ces plaintes, ni les pétitions, ni les autres réunions qui se tinrent pendant l'automne et pendant l'hiver ne purent décider le gouvernement à sortir de son mutisme. La consigne à Ottawa était de ronfler; et chacun sait comment Sir David Macpherson s'en acquittait, à la satisfaction du maître.

      Sir John A. Macdonald avait eu cependant une idée qui est le résumé de toute sa politique. Il avait eu l'idée de ne rien accorder aux Métis, et de les faire taire en achetant leurs chefs.

      C'est ainsi que Schmidt avait été nommé commis au bureau des terres de Prince Albert, Dumas, instructeur des Sauvages, et que des offres avaient été faites à Dumont et Isbester.

      Mais, pendent ce temps-là, on n'aboutissait à rien. Le mécontentement et l'agitation des esprits augmentaient de jour en jour. Des nouvelles spoliations étaient commises par des spéculateurs; et les arpenteurs soulevaient incessamment de nouvelle réclamations.

      Tout était mûr pour la révolte. Nous verrons, plus tard, comment elle se produisit, et qui tira le premier coup de feu. Mais il est dès à présent prouvé que les griefs des Métis étaient fondés;–qu'ils étaient soutenus depuis huit ans par les autorité ecclésiastiques;–que, depuis huit ans, on n'avait pas su leur rendre justice; on n'avait pas même su leur répondre, et que s'il y a jamais eu un soulèvement excusable au monde, c'est celui de pauvres gens que, ayant usé de tous les moyens légaux pour faire valoir leurs droits, ont été constamment trompés, remis au lendemain et, finalement, n'ont rien pu obtenir.

      CHAPITRE III

      LOUIS RIEL–UN MARTYR ET UNE FAMILLE DE PATRIOTES

      On peut apprécier différemment la conduite de Louis Riel en 1871 et en 1885.

      Il y a quelques individus, se disant Canadien-français, qui ne manquent pas une occasion d'insulter les patriotes de 1837.

      Ce sont les mêmes qui n'ont cessé d'insulter Riel.

      D'autres, qui ne sont pas des traîtres, ont hésité, au moment où l'on se battait au Nord-Ouest, et nous comprenons leur hésitation.

      Tout homme, qui a eu le malheur d'être placé par les circonstances à la tête d'un mouvement insurrectionnel, est responsable même de ce qu'il n'a pas voulu faire; il est exposé à être condamné par tous ceux qui mettent le respect de la loi écrite au-dessus du droit naturel et des principes d'humanité foulés aux pieds.

      Mais, dans tous les cas, il y a trois qualités qu'on ne refusera pas à Riel.

      D'abord, c'était un brave. Ses calomniateurs ont essayé, même sur ce point, de ternir sa renommée. Mais la façon dont il est mort, ferme la bouche à la calomnie et rend témoignage de la fermeté de son âme.

      Ensuite, son désintéressement était indéniable; son dévouement à ses frères a été le guide de toute sa vie; et c'est pour eux qu'il est mort. Là encore la calomnie a essayé de l'atteindre. On l'a représenté comme un ambitieux vulgaire. Mais de telles accusations ne résistent pas à l'examen. Riel vivait heureux et tranquille au Montana, lorsque les Métis du Nord-Ouest sont venu réclamer son appui. Il n'avait rien à gagner avec eux, il avait tout à perdre. Il n'a pas hésité un instant devant ce qu'il considérais comme un grand devoir à remplir; un grand devoir qui l'a mené à l'échafaud, mais qui sera peut-être l'origine de l'émancipation d'une race.

      Une troisième qualité qu'on ne saurait contester à Riel, c'est la séduction profonde qu'il exerçait sur tous ceux qui avaient affaire à

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