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Aline et Valcour, tome 2. Marquis de Sade
Читать онлайн.Название Aline et Valcour, tome 2
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Marquis de Sade
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Le Comte m'écouta avec toute l'honnêteté, avec tout l'intérêt que je devais attendre d'un homme de ce caractère.... Votre situation est affreuse, me dit-il; si vous étiez en état de recevoir un conseil sage, je vous donnerais celui de retourner en France, de faire votre paix avec vos parens, et de leur apprendre le malheur épouvantable qui vous est arrivé.—Et le puis-je, Monsieur, lui dis-je; puis-je exister où ne sera pas ma Léonore! Il faut que je la retrouve, ou que je meure.—Eh bien! me dit le Comte, je vais faire pour vous tout ce que je pourrai … peut-être plus que ne devrait me le permettre ma place.... Avez-vous un portrait de Léonore?—En voici un assez ressemblant, autant au moins qu'il est possible à l'art d'atteindre à ce que la nature a de plus parfait.—Donnez-le moi: demain matin à cette même heure, je vous dirai si votre femme est dans le serrail. Le Sultan m'honore de ses bontés: je lui peindrai le désespoir d'un homme de ma nation; il me dira s'il possède ou non cette femme; mais réfléchissez-y bien, peut-être allez-vous accroître votre malheur: s'il l'a, je ne vous réponds pas qu'il me la rende.... Juste ciel! elle serait dans ces murs, et je ne pourrais l'en arracher.... Oh! Monsieur, que me dites-vous? peut-être aimerai-je mieux l'incertitude.—Choisissez.—Agissez, Monsieur, puisque vous voulez bien vous intéresser à mes malheurs; agissez: et si le Sultan possède Léonore, s'il se refuse à me la rendre, j'irai mourir de douleur aux pieds des murs de son serrail; vous lui ferez savoir ce que lui coûte sa conquête; vous lui direz qu'il ne l'achète qu'aux dépends de la vie d'un infortuné.
Le Comte me serra la main, partagea ma douleur, la respecta et la servit, bien différent en cela de ces ministres ordinaires, qui, tout bouffis d'une vaine gloire, accordent à peine à un homme le tems de peindre ses malheurs, le repoussent avec dureté, et comptent au rang de leurs momens perdus ceux que la bienséance les oblige à prêter l'oreille aux malheureux.
Gens en place, voilà votre portrait: vous croyez nous en imposer en alléguant sans cesse une multitude d'affaires, pour prouver l'impossibilité de vous voir et de vous parler; ces détours, trop absurdes, trop usés, pour en imposer encore, ne sont bons qu'à vous faire mépriser; ils ne servent qu'à faire médire de la nation, qu'à dégrader son gouvernement. O France! tu t'éclaireras un jour, je l'espère: l'énergie de tes citoyens brisera bientôt le sceptre du despotisme et de la tyrannie, et foulant à tes pieds les scélérats qui servent l'un et l'autre, tu sentiras qu'un peuple libre par la nature et par son génie, ne doit être gouverné que par lui-même4.
Dès le même soir, le Comte de Fierval me fit dire qu'il avait à me parler, j'y courus.—Vous pouvez, me dit-il, être parfaitement sûr que Léonore n'est point au serrail; elle n'est même point à Constantinople. Les horreurs qu'on a mis à Venise sur le compte de cette Cour n'existent plus: depuis des siècles on ne fait point ici le métier de corsaire; un peu plus de réflexion m'aurait fait vous le dire, si j'eusse été occupé d'autre chose, quand vous m'en avez parlé, que du plaisir de vous être utile. A supposer que Venise ne vous en a point imposé sur le fait, et que réellement Léonore ait été enlevée par des barques déguisées, ces barques appartiennent aux États Barbaresques, qui se permettent quelquefois ce genre de piraterie; ce n'est donc que là qu'il vous sera possible d'apprendre quelque chose. Voilà le portrait que vous m'avez confié; je ne vous retiens pas plus long-tems dans cette Capitale.—Si vos parens faisaient des recherches, si l'on m'envoyait quelques ordres, je serais obligé de changer la satisfaction réelle que je viens d'éprouver en vous servant, contre la douleur de vous faire peut-être arrêter.... Eloignez-vous.... Si vous poursuivez vos recherches, dirigez-les sur les cotes d'Afrique.... Si vous voulez mieux faire, retournez en France, il sera toujours plus avantageux pour vous de faire la paix avec vos parens, que de continuer à les aigrir par une plus longue absence.
Je remerciai sincèrement le Comte, et la fin de son discours m'ayant fait sentir qu'il serait plus prudent à moi de lui déguiser mes projets, que de lui en faire part … que peut-être même il désirait que j'agisse ainsi; je le quittai, le comblant des marques de ma reconnaissance, et l'assurant que j'allais réfléchir à l'un ou l'autre des plans que son honnêteté me conseillait.
Je n'avais ni payé, ni congédié ma felouque; je fis venir le patron, je lui demandai s'il était en état de me conduire à Tunis. «Assurément, me dit-il, à Alger, à Maroc, sur toute la côte d'Afrique, votre Excellence n'a qu'à parler». Trop heureux dans mon malheur de trouver un tel secours; j'embrassai ce marinier de toute mon âme.—O brave homme! lui dis-je avec transport … ou il faut que nous périssions ensemble, ou il faut que nous retrouvions Léonore.
Il ne fut pourtant pas possible de partir, ni le lendemain, ni le jour d'après: nous étions dans une saison où ces parages sont incertains; le tems était affreux: nous attendîmes. Je crus inutile de paraître davantage chez le Ministre de France.... Que lui dire? Peut-être même le servais-je en n'y reparaissant plus. Le ciel s'éclaircit enfin, et nous nous mîmes en mer; mais ce calme n'était que trompeur: la mer ressemble à la fortune, il ne faut jamais se défier autant d'elle, que quand elle nous rit le plus.
A peine eûmes-nous quitté l'Archipel, qu'un vent impétueux troublant la manoeuvre des rames, nous contraignit à faire de la voile; la légèreté du bâtiment le rendit bientôt le jouet de la tempête, et nous fûmes trop heureux de toucher Malte le lendemain sans accident. Nous entrâmes sous le fort Saint-Elme dans le bassin de la Valette, ville bâtie par le Commandeur de ce nom en 1566. Si j'avais pu penser à autre chose qu'à Léonore, j'aurais sans doute remarqué la beauté des fortifications de cette place, que l'art et la nature rendent absolument imprenables. Mais je ne m'occupai qu'à prendre vite une logement dans la ville, en attendant que nous en puissions repartir avec plus de promptitude encore, et cela devenant impossible pour le même soir, je me résolus à passer la nuit dans le cabaret où nous étions.
Il était environ neuf heures du soir, et j'allais essayer de trouver quelques instans de repos, lorsque j'entendis beaucoup de bruit dans la chambre à coté de la mienne. Les deux pièces n'étant séparées que par quelques planches mal jointes, il me fut aisé de tout voir et de tout entendre. J'écoute … j'observe … quel singulier spectacle s'offre à mes regards! trois hommes qui me paraissent Vénitiens, placèrent dans cette chambre une grande caisse couverte de toile cirée; dès que ce meuble est apporté, celui qui paraît être le chef, s'enferme seul, lève la toile qui couvre la caisse, et je vois une bière.—O malheureux! s'écrie cet homme, je suis perdu; elle est morte … elle n'a plus de mouvement.... Ce personnage est-il fou, me dis-je à moi-même.... Eh quoi! il s'étonne qu'il y ait un mort dans ce cercueil!… Mais pourquoi ce meuble funèbre, continue-je. Quelle apparence qu'il fût là, s'il ne contenait un mort! et mes réflexions font place à la plus grande surprise, quand je vois celui qui avait parlé, ouvrir la bière, et en retirer dans ses bras le corps d'une femme; comme elle était habillée, je reconnus bientôt qu'elle n'était qu'en syncope, et qu'elle avait sûrement été mise en vie dans ce cercueil. Ah! Je le savais bien, continua le personnage, je le savais bien qu'elle ne résisterait pas là-dedans à la tempête; quel besoin de la laisser dans cette position, dès que nos étions sûrs de n'être pas suivi.... O juste ciel!;… et pendant ce tems-là, il déposait cette femme sur un lit; il lui tâtait le poulx,.et s'apercevant sans doute qu'il avait encore du mouvement, il sauta de joie.—Jour heureux! s'écria-t-il, elle n'est qu'évanouie!… Fille charmante, je ne serai point privé des plaisirs que j'attends de toi; je te sommerai de ta parole, tu seras ma femme, et mes peines ne seront pas perdues.... Cet homme sortit en même-tems d'une petite caisse des flacons, des lancettes, et se préparait à donner toutes sortes de secours à cette infortunée, dont la situation où elle avait été placée m'avait toujours empêché de distinguer les traits.
J'en étais là de mon examen, très-curieux de découvrir la suite de cette aventure, lorsque le patron de ma felouque entra brusquement dans ma chambre.—Excellence, me dit-il, ne vous couchez pas, la lune
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Il ne faut pas s'étonner si de tels principes, manifestés dès long-tems par notre auteur, le faisaient gémir à la Bastille, où la révolution le trouva. (