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elle ne double son exis en ce que pour perdre aussi-tôt la sienne: aussi, n'y a-t-il sortes de précautions que ne prennent ces femmes pour empêcher la propagation, ou pour la détruire. Tu t'étonnais hier de leur quantité, et néanmoins sur ce nombre immense à peine y en a-t-il quatre cent en état de servir chaque jour. Enfermées avec exactitude dans une maison particulière tout le tems de leurs infirmités, reléguées, punies, condamnées à mort pour la moindre chose,… immolées aux Dieux, leur nombre diminue à chaque moment; est-ce trop de ce qui reste pour le service des jardins, du palais, et des plaisirs du souverain?»—Eh quoi! dis-je, parce qu'une femme accomplit la loi de la nature, elle deviendra de cet instant impropre au service des jardins de son maître? Il est déjà, ce me semble assez cruel de l'y faire travailler, sans la juger indigne de ce fatiguant emploi, parce qu'elle subit le sort qu'attache le ciel à son humanité.—«Cela est pourtant: l'Empereur ne voudrait pas qu'en cet état les mains mêmes d'une femme touchassent une feuille de ses arbres.»—Malheur à une nation assez esclave de ses préjugés pour penser ainsi; elle doit être fort près de sa ruine.—« Aussi y touche-t-elle, et tel étendu que soit le royaume, il ne contient pas aujourd'hui trente mille âmes. Miné de par-tout par le vice et la corruption, il va s'écrouler de lui-même, et les Jagas en seront bientôt maîtres; Tributaires aujourd'hui, demain ils seront vainqueurs; il ne leur manque qu'un chef pour opérer cette révolution.»—Voilà donc le vice dangereux, et la corruption des moeurs pernicieuse?—Non pas généralement, je ne l'accorde que relativement à l'individu ou à la nation, je le nie dans le plan général. Ces inconvéniens sont nuls dans les grands desseins de la nature; et qu'importe à ses loix qu'un empire soit plus ou moins puissant, qu'il s'agrandisse par ses vertus, ou se détruise par sa corruption; cette vicissitude est une des premières loix de cette main qui nous gouverne; les vices qui l'occasionnent sont donc nécessaires. La nature ne crée que pour corrompre: or, si elle ne se corrompt que par des vices, voilà le vice une de ses loix. Les crimes des tyrans de Rome, si funestes aux particuliers, n'étaient que les moyens dont se servait la nature pour opérer la chute de l'empire; voilà donc les conventions sociales opposées à celles de la nature; voilà donc ce que l'homme punit, utile aux loix du grand tout; voilà donc ce qui détruit l'homme, essentiel au plan général. Vois en grand, mon ami, ne rapetisse jamais tes idées; souviens-toi que tout sert à la nature, et qu'il n'y a pas sur la terre une seule modification dont elle ne retire un profit réel.—Eh quoi! la plus mauvaise de toutes les actions la servirait donc autant que la meilleure?—Assurément: l'homme vraiment sage doit voir du même oeil; il doit être convaincu de l'indifférence de l'un ou l'autre de ces modes, et n'adopter que celui des deux qui convient le mieux à sa conservation ou à ses intérêts; et telle est la différence essentielle qui se trouve entre les vues de la nature et celles du particulier, que la première gagne presque toujours à ce qui nuit à l'autre; que le vice devient utile à l'une, pendant que l'autre y trouve souvent sa ruine; l'homme fait donc mal, si tu veux, en se livrant à la dépravation de ses moeurs ou a la perversité de ses inclinations; mais le mal qu'il fait n'est que relatif au climat sous lequel il vit: juges-le d'après l'ordre général, il n'a fait qu'en accomplir les loix; juges-le d'après lui-même, tu verras qu'il s'est délecté.—Ce système anéantit toutes les vertus.—Mais la vertu n'est que relative, encore une fois, c'est une vérité dont il faut se convaincre avant de faire un pas sous les portiques du lycée: voilà pourquoi je te disais hier, que je ne serais pas à Lisbonne ce que je ferais ici; il est faux qu'il y ait d'autres vertus que celles de convention, toutes sont locales, et la seule qui soit respectable, la seule qui puisse rendre l'homme content, est celle du pays où il est; crois-tu que l'habitant de Pékin puisse être heureux dans son pays d'une vertu française, et réversiblement le vice chinois donnera-t-il des remords à un Allemand?—C'est une vertu bien chancelante, que celle dont l'existence n'est point universelle.—Et que t'importe sa solidité, qu'as-tu besoin d'une vertu universelle, dès que la nationale suffit à ton bonheur?—Et le Ciel? tu l'invoquais hier.—Ami, ne confonds pas des pratiques habituelles avec les principes de l'esprit: j'ai pu me livrer hier à un usage de mon pays, sans croire qu'il y ait une sorte de vertu qui plaise plus à l'Éternel qu'une autre.... Mais revenons: nous étions sortis pour politiquer, et tu m'ériges en moraliste, quand je ne dois être qu'instituteur.

      Il y a long-tems, reprit Sarmiento, que les Portugais désirent d'être maîtres de ce royaume, afin que leurs colonies puissent se donner la main d'une cote à l'autre, et que rien, du Mosa Imbique à Binguelle, ne puisse arrêter leur commerce. Mais ces peuples-ci n'ont jamais voulu s'y prêter.—Pourquoi ne t'a-t-on pas chargé de la négociation, dis-je au Portugais.—Moi? Apprends à me connaître; ne devines-tu pas à mes principes, que je n'ai jamais travaillé que pour moi: lorsque j'ai été conduit comme toi dans cet empire, j'étais exilé sur les côtes d'Afrique pour des malversations dans les mines de diamans de Rio-Janeïro, dont j'étais intendant; j'avais, comme cela se pratique en Europe, préféré ma fortune à celle du Roi; j'étais devenu riche de plusieurs millions, je les dépensais dans le luxe et dans l'abondance: on m'a découvert; je ne volais pas assez, un peu plus de hardiesse, tout fût resté dans le silence; il n'y a jamais que les malfaiteurs en sous-ordre qui se cassent le cou, il est rare que les autres ne réussissent pas; je devais d'ailleurs user de politique, je devais feindre la réforme, au lieu d'éblouir par mon faste; je devais comme font quelque fois vos ministres en France, vendre mes meubles et me dire ruiné12, je ne l'ai pas fait, je me suis perdu. Depuis que j'étudie les hommes, je vois qu'avec leurs sages loix et leurs superbes maximes, ils n'ont réussi qu'à nous faire voir que le plus coupable était toujours le plus heureux; il n'y a d'infortuné que celui qui s'imagine faussement devoir compenser par un peu de bien le mal où son étoile l'entraîne. Quoi qu'il en soit, si j'étais resté dans mon exil, j'aurais été plus malheureux, ici du moins, j'ai encore quelqu'autorité: j'y joue un espèce de rôle; j'ai pris la parti d'être intrigant bas et flatteur, c'est celui de tous les coquins ruinés; il m'a réussi: j'ai promptement appris la langue de ces peuples, et quelques affreuses que soient leurs moeurs, je m'y suis conformé; je te l'ai déjà dit, mon cher, la véritable sagesse de l'homme est d'adopter la coutume du pays où il vit. Destiné à me remplacer, puisse-tu penser de même, c'est le voeu le plus sincère que je puisse faire pour ton repos.—Crois-tu donc que j'aie le dessein de passer comme toi mes jours ici?—N'en dis mot, si ce n'est pas ton projet; ils ne souffriraient pas que tu les quittasses après les avoir connus, ils craindraient que tu n'instruisisse les Portugais de leur faiblesse; ils te mangeraient plutôt que de te laisser partir.—Achève de m'instruire, ami, quel besoin tes compatriotes ont-ils de s'emparer de ces malheureuses contrées?—Ignores-tu donc que nous sommes les courtiers de l'Europe, que c'est nous qui fournissons de nègres tous les peuples commerçans de la terre.—Exécrable métier, sans doute, puisqu'il ne place votre richesse et votre félicité que dans le désespoir et l'asservissement de vos frères.—O Sainville! je ne te verrai donc jamais philosophe; où prends-tu que les hommes soient égaux? La différence de la force et de la faiblesse établie par la nature, prouve évidemment qu'elle a soumis une espèce d'homme à l'autre, aussi essentiellement qu'elle a soumis les animaux à tous. Il n'est aucune nation qui n'ait des castes méprisées: les nègres sont à l'Europe ce qu'étaient les Ilotes aux Lacédémoniens, ce que sont les Parias aux peuples du Gange. La chaîne des devoirs universels est une chimère, mon ami, elle peut s'étendre d'égal à égal, jamais du supérieur à l'inférieur; la diversité d'intérêt détruit nécessairement la ressemblance des rapports. Que veux-tu qu'il y ait de commun entre celui qui peut tout, et celui qui n'ose rien? Il ne s'agit pas de savoir lequel des deux a raison; il n'est question que d'être persuadé que le plus faible a toujours tort: tant que l'or, en un mot, sera regardé comme la richesse d'un État, et que la nature l'enfouira dans les entrailles de la terre, il faudra des bras pour l'en tirer; ceci posé, voilà la nécessité de l'esclavage établie; il n'y en avait pas, sans doute, à ce que les blancs subjuguassent les noirs, ceux-ci pouvaient également asservir les autres; mais il était indispensable qu'une des deux nations fût sous le joug, il était dans la nature que ce fût le plus faible, et les noirs devenaient tels, et par leurs moeurs, et par leur climat. Quelque objection que tu puisses faire, enfin, il n'est pas plus étonnant de voir l'Europe enchaîner l'Afrique, qu'il ne l'est de voir un bouclier assommer le boeuf qui sert à te nourrir; c'est par-tout la raison du plus fort; en

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Le pauvre Sarmiento ignorait combien cette imbécile politique avait mal réussi en France à quelques-uns des gens dont il parle: on congédia le sieur Sartine quand il voulut employer ce plat moyen. Il est vrai que peu de gens en place avaient aussi impunément et mal-adroitement volé. Arrivé d'Espagne, clerc de Procureur à Paris, s'y trouver six cent mille livres de rente au bout de trente ans, et oser dire qu'on ne peut plus être utile au Roi, parce qu'on se ruine à son service, est une effronterie rare et bien digne du méprisable aventurier dont il s'agit ici; mais que ces insolens fripons-là n'avoient pas été privés de leur liberté, ou de leurs biens, et même de leurs jours, tandis qu'on pendait un malheureux valet pour cinq sols: voilà de ces contradictions bien faites pour faire mépriser le gouvernement qui les tolérait.