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Les etranges noces de Rouletabille. Гастон Леру
Читать онлайн.Название Les etranges noces de Rouletabille
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Гастон Леру
Издательство Public Domain
Vladimir, en traduisant les discours bulgares d'Athanase, ne pouvait s'empêcher de répéter à Rouletabille:
–Qu'est-ce qu'il prépare? Ça ne va pas être ordinaire, cette affaire-là! Le plus fou me paraît Athanase… Regardez, regardez comme il est aimable avec ce vieux Dotchov, qu'il met au centre, à la place d'honneur et cependant il le regarde avec des yeux qui tuent.
Pendant ce temps, on avait allumé les feux et les agneaux étaient préparés à la heidouk, c'est-à-dire avec leur peau, tout entiers, dans les trous chauffés comme un four de boulanger. Et les femmes venues du village, commençaient de danser le choro, au son de la gaïda.
–Tu vois, mon vieux camarade, comme nous sommes gais, disait Ivan le Charron au vieillard Dotchov, lequel, assis à la turque, au centre de la bande, semblait présider à la fête.
–Pourquoi ne tue-t-on point mes cochons? fit Dotchov; je les ai fait amener par mes porchers pour qu'ils engraissent la fête.
–C'est Athanase qui ne veut pas, répondit Ivan le Charron. Je lui en ai demandé la raison; il m'a répondu qu'il ne les trouvait pas encore assez gras pour une fête pareille!…
–Mais de quelle fête, au fond, s'agit-il donc? demanda encore Dotchov!
–Demande-le à Athanase! demande-le à Athanase!…
Athanase, appelé, répliqua:
–On te le dira au raki. Mais avant tu nous raconteras une histoire du temps où tu fabriquais avec mon père des canons en bois de cerisier!
–Oui, oui, fit Dotchov! Ah! nous en avons fait de toutes sortes avec ton père. On fabriquait des canons avec ce qu'on pouvait et on allait chanter dans les villages: «Lève-toi, lève-loi, héros du Balkan!» Ton père chantait bien…
–Et ma mère aimait la soupe aux choux! Mais les cochons préféraient les oreilles de mon père!
–Évidemment! évidemment! acquiesça Dotchov, troublé, à cause de la façon forcenée dont cet Athanase avait dit cela… évidemment, c'est grand dommage que les cochons aient mangé les oreilles de ton père!… Mais tu ne devrais pas me regarder comme ça. Tu sais bien que je ne pouvais rien faire pour les en empêcher!… Et puis, après tout, reprit Dotchov, en secouant sa noble tête de vieillard, et en levant les bras au ciel, je ne sais pas pourquoi on me reparle de cette affaire-là!… Elle m'a assez empêché de dormir!… et pourquoi Ivan le Charron m'a entraîné jusqu'ici!… et pourquoi vous m'asseyez en face du pont du pré des porchers!… Tout ça n'est pas gai pour quelqu'un qui a souffert ce que j'ai souffert!… Vous pourriez bien me laisser mourir tranquille sans me rappeler tout ça!… J'ai eu assez de chagrin de la mort de ton père! Demande à Ivan le Charron! j'en ai pleuré pendant des jours et des jours et j'en ai dit aux bachi-bouzouks!… Allons, soyons raisonnables et mangeons!…
–Nous allons manger, répondit Athanase, mais nous attendons encore un convive.
–Qui?
–Regarde là-bas, celui qui s'avance vers le pont…
–C'est un vieux mendiant qui n'est pas du pays, je ne le connais pas…
–Si… si… tu le connais… mais il revient de si loin… de si loin… Heureusement que je l'ai trouvé sur ma route, sans quoi il n'eût point retrouvé son chemin… et je l'ai invité pour ce soir, persuadé que nulle rencontre ne te serait aussi agréable, vieux Dotchov!…
–Sur la sainte Vierge, je ne le reconnais pas… Dis-lui qu'il approche.
Alors Athanase s'en va chercher le mendiant et le ramène par la main, jusqu'au vieux pont du pré aux porchers. Certainement, au fond des prisons d'Anatolie, le mendiant avait pensé ne plus le revoir, ce pont mémorable, fait de deux planches et d'une traverse pourrie. Par la main, Athanase amène donc le vieillard en haillons devant l'aimable et vénéré Dotchov, qui cligne des yeux:
–Non, non, je ne le reconnais pas!
–Tu ne reconnais pas le bon Cyrille, célèbre pour ses malheurs?
Dotchov, à ces mots, se leva terriblement pâle; cependant il eut la force de serrer sur son coeur le loqueteux avec la joie d'un père retrouvant son enfant.
–Dieu soit loué, Cyrille, je te retrouve. On te croyait mort! Et je t'ai pleuré longtemps, fidèle compagnon de ma jeunesse!…
Dotchov se rassied, car ses vieilles jambes n'ont plus la force de le supporter après une émotion semblable!
–Mais parle! parle! dit-il à Cyrille. Raconte-nous ton histoire. Tu as donc échappé, toi aussi, aux bachi-bouzouks? Je croyais qu'ils t'avaient fusillé, ce jour maudit…
–Est-ce le moment de parler? demanda Cyrille, à Athanase.
–Après le mouton… dit Athanase.
Alors Athanase fait servir le mouton. Le pope Goïo s'est tranché un morceau avec le cimeterre du sultan, et le dévore après un rapide signe de croix orthodoxe. Dotchov a fait une place près de lui à Cyrille, célèbre pour ses malheurs. Et, en dépeçant la viande odoriférante, avec leurs doigts, ils se renvoient vingt anecdotes du temps qu'ils couraient les grands bois du Balkan et de l'Istrandja pour échapper aux bachi-bouzouks.
Enfin, il y eut une distribution de raki; les filles qui dansaient le choro s'arrêtèrent et le gaïda se tut.
–Voilà le moment! Voilà le moment! disait Vladimir en poussant Rouletabille au premier plan…
Rouletabille s'étonnait:
–Ces Bulgares paraissent tout à fait chez eux. Où sont les autorités turques du village? Ils ne les craignent donc pas?
–Non, répliqua hâtivement Vladimir, les autorités sont mortes. Ils ont tué hier le kouet, et cinq zaptiés. Ils sont maintenant chez eux, entre eux, et tous prêts, hommes, femmes, enfants, à prendre la montagne. Ce soir, avant de quitter le village, ils doivent le brûler pour ne pas laisser cette besogne aux Turcs… du moins c'est ce que j'ai compris, car j'ai voulu savoir pourquoi ils étaient si gais… Mais écoutez!… écoutez!… c'est maintenant que l'affaire d'Athanase commence!… Oh! regardez Athanase!…
En effet, debout derrière le pope, Athanase, qui regardait le vieillard Dotchov, était épouvantable à voir. Ah! c'était une belle tête d'animal qui a faim et qui surveille sa proie!
On faisait cercle autour de Cyrille qui allait raconter une histoire de la guerre de l'Indépendance et qui s'essuyait la moustache et se libérait la bouche.
–D'abord, commença-t-il, tu te rappelles, Dotchov, qu'un orage épouvantable s'était élevé la nuit dans la montagne et que le vent s'était engouffré dans la masure où Ivan le Charron et le père d'Athanase et moi nous nous étions réfugiés pour fuir les bachi-bouzouks après la dispersion des comitadjis. Ce vent s'était si bien engouffré par le trou qui donnait issue à la fumée que le foyer fut renversé, bouleversé et que le feu prit à la masure. Il fallut l'évacuer et passer la nuit sous la pluie et la grêle. Puis trois bergers vinrent nous trouver sous un bouleau et, après nous avoir nourris et réchauffés, nous engagèrent à gagner un autre chalet où nous trouverions l'hospitalité. Nous avons suivi le lit du torrent, tu te rappelles, et l'eau glacée nous faisait frissonner… tu te rappelles… tu te rappelles?
–Comme si c'était hier, fit l'autre vieillard en hochant la tête et en frissonnant comme s'il était encore dans l'eau… c'est là que je suis tombé dans un trou à truites et que j'ai failli me noyer…
–Justement, mais on n'a pas toujours pu suivre le lit du torrent; et alors l'empreinte de nos pas nous a dénoncés aux bachi-bouzouks… cela très clairement.
–Très clairement! c'est ce que j'ai toujours dit…
–Plus