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Stangerson va-t-elle mieux? demandai-je immédiatement.

      – Oui, fit-il. On la sauvera peut-être. Il faut quon la sauve.»

      Il najouta pas «ou jen mourrai», mais on sentait trembler la fin de la phrase au bout de ses lèvres exsangues.

      Rouletabille intervint alors:

      «Monsieur, vous êtes pressé. Il faut cependant que je vous parle. Jai quelque chose de la dernière importance à vous dire.»

      Frédéric Larsan interrompit:

      «Je peux vous laisser? demanda-t-il à Robert Darzac. Vous avez une clef ou voulez-vous que je vous donne celle-ci?

      – Oui, merci, jai une clef. Je fermerai la grille.»

      Larsan séloigna rapidement dans la direction du château dont on apercevait, à quelques centaines de mètres, la masse imposante.

      Robert Darzac, le sourcil froncé, montrait déjà de limpatience. Je présentai Rouletabille comme un excellent ami; mais, dès quil sut que ce jeune homme était journaliste, M. Darzac me regarda dun air de grand reproche, sexcusa sur la nécessité où il était datteindre Épinay en vingt minutes, salua et fouetta son cheval. Mais déjà Rouletabille avait saisi, à ma profonde stupéfaction, la bride, arrêté le petit équipage dun poing vigoureux, cependant quil prononçait cette phrase dépourvue pour moi du moindre sens:

      «Le presbytère na rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat.»

      Ces mots ne furent pas plutôt sortis de la bouche de Rouletabille que je vis Robert Darzac chanceler; si pâle quil fût, il pâlit encore; ses yeux fixèrent le jeune homme avec épouvante et il descendit immédiatement de sa voiture dans un désordre desprit inexprimable.

      «Allons! Allons!» dit-il en balbutiant.

      Et puis, tout à coup, il reprit avec une sorte de fureur:

      «Allons! monsieur! Allons!»

      Et il refit le chemin qui conduisait au château, sans plus dire un mot, cependant que Rouletabille suivait, tenant toujours le cheval. Jadressai quelques paroles à M. Darzac… mais il ne me répondit pas. Jinterrogeai de loeil Rouletabille, qui ne me vit pas.

      VI

      Au fond de la chênaie

      Nous arrivâmes au château. Le vieux donjon se reliait à la partie du bâtiment entièrement refaite sous Louis XIV par un autre corps de bâtiment moderne, style Viollet-le-Duc, où se trouvait lentrée principale. Je navais encore rien vu daussi original, ni peut- être daussi laid, ni surtout daussi étrange en architecture que cet assemblage bizarre de styles disparates. Cétait monstrueux et captivant. En approchant, nous vîmes deux gendarmes qui se promenaient devant une petite porte ouvrant sur le rez-de-chaussée du donjon. Nous apprîmes bientôt que, dans ce rez-de-chaussée, qui était autrefois une prison et qui servait maintenant de chambre de débarras, on avait enfermé les concierges, M. et MmeBernier.

      M. Robert Darzac nous fit entrer dans la partie moderne du château par une vaste porte que protégeait une «marquise». Rouletabille, qui avait abandonné le cheval et le cabriolet aux soins dun domestique, ne quittait pas des yeux M. Darzac; je suivis son regard, et je maperçus que celui-ci était uniquement dirigé vers les mains gantées du professeur à la Sorbonne. Quand nous fûmes dans un petit salonet garni de meubles vieillots, M. Darzac se tourna vers Rouletabille et assez brusquement lui demanda:

      «Parlez! Que me voulez-vous?»

      Le reporter répondit avec la même brusquerie:

      «Vous serrer la main!»

      Darzac se recula:

      «Que signifie?»

      Évidemment, il avait compris ce que je comprenais alors: que mon ami le soupçonnait de labominable attentat. La trace de la main ensanglantée sur les murs de la «Chambre Jaune» lui apparut… Je regardai cet homme à la physionomie si hautaine, au regard si droit dordinaire et qui se troublait en ce moment si étrangement. Il tendit sa main droite, et, me désignant:

      «Vous êtes lami de M. Sainclair qui ma rendu un service inespéré dans une juste cause, monsieur, et je ne vois pas pourquoi je vous refuserais la main…»

      Rouletabille ne prit pas cette main. Il dit, mentant avec une audace sans pareille:

      «Monsieur, jai vécu quelques années en Russie, doù jai rapporté cet usage de ne jamais serrer la main à quiconque ne se dégante pas.»

      Je crus que le professeur en Sorbonne allait donner un libre cours à la fureur qui commençait à lagiter, mais au contraire, dun violent effort visible, il se calma, se déganta et présenta ses mains. Elles étaient nettes de toute cicatrice.

      «Êtes-vous satisfait?

      – Non! répliqua Rouletabille. Mon cher ami, fit-il en se tournant vers moi, je suis obligé de vous demander de nous laisser seuls un instant.»

      Je saluai et me retirai, stupéfait de ce que je venais de voir et dentendre, et ne comprenant pas que M. Robert Darzac neût point déjà jeté à la porte mon impertinent, mon injurieux, mon stupide ami… Car, à cette minute, jen voulais à Rouletabille de ses soupçons qui avaient abouti à cette scène inouïe des gants…

      Je me promenai environ vingt minutes devant le château, essayant de relier entre eux les différents événements de cette matinée, et ny parvenant pas. Quelle était lidée de Rouletabille? Était-il possible que M. Robert Darzac lui apparût comme lassassin? Comment penser que cet homme, qui devait se marier dans quelques jours avec Mlle Stangerson, sétait introduit dans la «Chambre Jaune» pour assassiner sa fiancée? Enfin, rien nétait venu mapprendre comment lassassin avait pu sortir de la «Chambre Jaune»; et, tant que ce mystère qui me paraissait inexplicable ne me serait pas expliqué, jestimais, moi, quil était du devoir de tous de ne soupçonner personne. Enfin, que signifiait cette phrase insensée qui sonnait encore à mes oreilles: le presbytère na rien perdu de son charme ni le jardin de son _éclat!_Javais hâte de me retrouver seul avec Rouletabille pour le lui demander.

      À ce moment, le jeune homme sortit du château avec M. Robert Darzac. Chose extraordinaire, je vis au premier coup doeil quils étaient les meilleurs amis du monde.

      «Nous allons à la «Chambre Jaune», me dit Rouletabille, venez avec nous. Dites-donc, cher ami, vous savez que je vous garde toute la journée. Nous déjeunons ensemble dans le pays…

      – Vous déjeunerez avec moi, ici, messieurs…

      – Non, merci, répliqua le jeune homme. Nous déjeunerons à lauberge du «Donjon»…

      – Vous y serez très mal… Vous ny trouverez rien.

      – Croyez-vous? … Moi jespère y trouver quelque chose, répliqua Rouletabille. Après déjeuner, nous retravaillerons, je ferai mon article, vous serez assez aimable pour me le porter à la rédaction…

      – Et vous? Vous ne revenez pas avec moi?

      – Non; je couche ici…»

      Je me retournai vers Rouletabille. Il parlait sérieusement, et M. Robert Darzac ne parut nullement étonné…

      Nous passions alors devant le donjon et nous entendîmes des gémissements. Rouletabille demanda:

      «Pourquoi a-t-on arrêté ces gens-là?

      – Cest un peu de ma faute, dit M. Darzac. Jai fait remarquer hier au juge dinstruction quil est inexplicable que les concierges aient eu le temps dentendre les coups de revolver, «de shabiller», de parcourir lespace assez grand qui sépare leur loge du pavillon, tout cela en deux minutes; car il ne sest pas écoulé plus de deux minutes entre les coups de revolver et le moment où ils ont été rencontrés par le père Jacques.

      – Èvidemment, cest louche, acquiesça Rouletabille… Et ils étaient habillés…?

      – Voilà ce qui est incroyable… ils étaient habillés… «entièrement», solidement et chaudement… Il ne manquait aucune pièce à leur

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