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fut de ne pas y croire, d'abord parce que je ne le voulais pas, l'événement étant trop horrible, ensuite parce que j'avais le devoir, sous peine de voir Mathilde redevenir folle, de faire celui qui n'y croyait pas! Est-ce que Larsan n'était pas mort, et bien mort?… En vérité, je le croyais comme je le lui disais, et il ne faisait point de doute pour moi qu'il n'y avait eu dans tout ceci qu'un effet de glace et d'imagination. Je voulus naturellement m'en assurer et je lui offris d'aller immédiatement avec elle dans son compartiment pour lui prouver qu'elle avait été victime d'une sorte d'hallucination. Elle s'y opposa, me criant que ni elle, ni moi, ne retournerions jamais dans ce compartiment et que, du reste, elle se refusait à voyager cette nuit! Elle disait tout cela par petites phrases hachées… Elle ne retrouvait pas sa respiration… Elle me faisait une peine infinie… Plus je lui disais qu'une telle apparition était impossible, plus elle insistait sur sa réalité! Je lui dis encore qu'elle avait bien peu vu Larsan lors du drame du Glandier, ce qui était vrai, et qu'elle ne connaissait pas assez cette figure-là pour être sûre de ne s'être point trouvée en face de l'image de quelqu'un qui lui ressemblait! Elle me répondit qu'elle se rappelait parfaitement la figure de Larsan, que celle-ci lui était apparue dans deux circonstances telles qu'elle ne l'oublierait jamais, dût-elle vivre cent ans! Une première fois, lors de l'affaire de la galerie inexplicable, et la seconde dans la minute même où, dans sa chambre, on était venu m'arrêter! Et puis, maintenant qu'elle avait appris qui était Larsan, ce n'étaient point seulement les traits du policier qu'elle avait reconnus; mais, derrière ceux-là, le type redoutable de l'homme qui n'avait cessé de la poursuivre depuis tant d'années!… Ah! elle jurait sur sa tête et sur la mienne, qu'elle venait de voir Ballmeyer!… Que Ballmeyer était vivant!… vivant dans la glace, avec sa figure rase de Larsan, toute rase, toute rase… et son grand front dénudé!… Elle s'accrochait à moi comme si elle eût redouté une séparation plus terrible encore que les autres!… Elle m'avait entraîné sur le quai… Et puis, tout à coup, elle me quitta, en se mettant la main sur les yeux et elle se jeta dans le bureau du chef de gare… Celui-ci fut aussi effrayé que moi de voir l'état de la malheureuse. Je me disais: «Elle va redevenir folle!» J'expliquai au chef de gare que ma femme avait eu peur, toute seule, dans son compartiment, que je le priais de veiller sur elle pendant que je me rendrais dans le compartiment moi-même pour tâcher de m'expliquer ce qui l'avait effrayée ainsi… Alors, mes amis, alors… continua Robert Darzac, je suis sorti du bureau du chef de gare, mais je n'en étais pas plutôt sorti que j'y rentrais, refermant sur nous la porte précipitamment. Je devais avoir une mine singulière, car le chef de gare me considéra avec une grande curiosité. C'est que, moi aussi, je venais de voir Larsan! Non! non! ma femme n'avait pas rêvé tout éveillée… Larsan était là, dans la gare… sur le quai, derrière cette porte.»

      Ce disant, Robert Darzac se tut un instant comme si le souvenir de cette vision personnelle lui ôtait la force de continuer son récit. Il se passa la main sur le front, poussa un soupir, reprit:

      «Il y avait, devant la porte du chef de gare, un bec de gaz et, sous le bec de gaz, il y avait Larsan. Évidemment, il nous attendait, il nous guettait… et, chose extraordinaire, il ne se cachait pas! Au contraire, on eût dit qu'il se tenait là, uniquement pour être vu!… Le geste qui m'avait fait refermer la porte devant cette apparition était purement instinctif. Quand je rouvris cette porte, décidé à aller droit au misérable, il avait disparu!… Le chef de gare croyait avoir affaire à deux fous. Mathilde me regardait agir sans prononcer une parole, les yeux grands ouverts, comme une somnambule. Elle revint à la réalité des choses pour s'enquérir s'il y avait loin de Bourg à Lyon et quel était le prochain train qui s'y rendait. En même temps, elle me priait de donner des ordres pour nos bagages; et elle me demandait de lui accorder que nous irions rejoindre son père le plus tôt possible. Je ne voyais que ce moyen de la calmer et, loin de faire une objection quelconque à ce nouveau projet, j'entrai immédiatement dans ses vues. Du reste, maintenant que j'avais vu Larsan, de mes propres yeux, oui, oui, de mes propres yeux vu, je sentais bien que notre grand voyage était devenu impossible et, faut-il vous l'avouer, mon ami, ajouta M. Darzac en se tournant vers Rouletabille, je me pris à penser que nous courions désormais un réel danger, un de ces mystérieux et fantastiques dangers dont vous seul pouviez nous sauver, s'il en était temps encore. Mathilde me fut reconnaissante de la docilité avec laquelle je pris immédiatement toutes dispositions pour rejoindre sans plus tarder son père, et elle me remercia avec une grande effusion quand elle sut que nous allions pouvoir prendre quelques minutes plus tard – car tout ce drame avait à peine duré un quart d'heure – le train de neuf heures vingt-neuf, qui arrivait à Lyon à dix heures environ, et, en consultant l'indicateur des chemins de fer, nous constations que nous pouvions ainsi rejoindre à Lyon même M. Stangerson. Mathilde m'en marqua encore une grande gratitude, comme si j'avais été réellement responsable de cette heureuse coïncidence. Elle avait reconquis un peu de calme quand le train de neuf heures arriva en gare; mais, au moment d'y prendre place, comme nous traversions rapidement le quai et que nous passions justement sous le bec de gaz où m'était apparu Larsan, je la sentis encore défaillir à mon bras et aussitôt, je regardai autour de nous, mais je n'aperçus aucune figure suspecte. Je lui demandai si elle avait encore vu quelque chose, mais elle ne me répondit pas. Son trouble cependant augmentait, et elle me supplia de ne point nous isoler mais d'entrer dans un compartiment déjà aux deux tiers plein de voyageurs. Sous prétexte d'aller surveiller mes bagages, je la quittai un instant au milieu de ces gens, et j'allai jeter au télégraphe la dépêche que vous avez reçue. Je ne lui ai point parlé de cette dépêche parce que je continuais à prétendre que ses yeux l'avaient certainement trompée, et parce que, pour rien au monde, je ne voulais paraître ajouter foi à une pareille résurrection. Du reste, je constatai, en ouvrant le sac de ma femme, qu'on n'avait pas touché à ses bijoux. Les rares paroles que nous échangeâmes concernèrent le secret que nous devions garder sur tout ceci vis-à-vis de M. Stangerson, qui en aurait conçu un chagrin peut-être mortel. Je passe sur la stupéfaction de celui-ci en nous découvrant sur le quai de la gare de Lyon. Mathilde lui raconta qu'à cause d'un grave accident de chemin de fer, barrant la ligne de Culoz, nous avions décidé, puisqu'il fallait nous résoudre à un détour, de le rejoindre, et d'aller passer quelques jours avec lui chez Arthur Rance et sa jeune femme, comme nous en avions été priés instamment, du reste, par ce fidèle ami de la famille.»

      … À ce propos, il serait peut-être temps d'apprendre au lecteur, quitte à interrompre un instant le récit de M. Darzac, que M. Arthur William Rance qui, comme je l'ai rapporté dans Le Mystère de la Chambre Jaune, avait nourri pendant de si longues années un amour sans espoir pour Mlle Stangerson, y avait si bien renoncé, qu'il avait fini par convoler en justes noces avec une jeune Américaine qui ne rappelait en rien la mystérieuse fille de l'illustre professeur.

      Après le drame du Glandier, et pendant que Mlle Stangerson était encore retenue dans une maison de santé des environs de Paris, où elle achevait de se guérir, on apprit, un beau jour, que M. William Arthur Rance allait épouser la nièce d'un vieux géologue de l'Académie des sciences de Philadelphie. Ceux qui avaient connu sa malheureuse passion pour Mathilde et qui en avaient mesuré toute l'importance jusque dans les excès qu'elle détermina – elle avait pu faire, un moment, d'un homme, jusqu'à ce jour, sobre et de sens rassis, un alcoolique – ceux-là prétendirent que Rance se mariait par désespoir et n'augurèrent rien de bon d'une union aussi inattendue. On racontait que l'affaire, qui était bonne pour Arthur Rance, car Miss Edith Prescott était riche, s'était conclue d'une façon assez bizarre. Mais ce sont là des histoires que je vous raconterai quand j'aurai le temps. Vous apprendrez alors aussi par quelle suite de circonstances, les Rance étaient venus se fixer aux Rochers Rouges, dans l'antique château fort de la presqu'île d'Hercule dont ils s'étaient rendus, l'automne précédent, propriétaires.

      Mais, maintenant, il me faut rendre la parole à M. Darzac, continuant de raconter son étrange voyage.

      «Quand nous eûmes donné ces explications à M. Stangerson, narra notre ami, ma femme et moi vîmes bien que le professeur ne comprenait rien à ce que nous lui racontions et qu'au lieu de se réjouir de nous revoir il en était tout attristé. Mathilde essayait en vain de paraître gaie. Son père voyait bien qu'il s'était passé, depuis que nous l'avions quitté, quelque chose que nous lui cachions. Elle fit celle qui ne s'en apercevait pas et mit la conversation

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