ТОП просматриваемых книг сайта:
L'Œuvre. Emile Zola
Читать онлайн.Название L'Œuvre
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Jamais elle n'avait vu une si terrible peinture, rugueuse, éclatante, d'une violence de tons qui la blessait comme un juron de charretier, entendu sur la porte d'une auberge.
Elle baissait les yeux, attirée pourtant par un tableau retourné, le grand tableau auquel travaillait le peintre, et qu'il poussait chaque soir vers la muraille, afin de le mieux juger le lendemain, dans la fraîcheur du premier coup d'œil. Que pouvait-il cacher, celui-là, pour qu'on n'osât même pas le montrer? Et, au travers de la vaste pièce, la nappe de brûlant soleil, tombée des vitres, voyageait, sans être tempérée par le moindre store, coulant ainsi qu'un or liquide sur tous ces débris de meuble, dont elle accentuait l'insoucieuse misère.
Claude finit par trouver le silence lourd. Il voulut dire un mot, n'importe quoi, dans l'idée d'être poli, et surtout pour la distraire de la pose. Mais il eut beau chercher, il n'imagina que cette question: «Comment vous nommez-vous?» Elle ouvrit les yeux qu'elle avait fermés, comme reprise de sommeil.
«Christine.» Alors, il s'étonna. Lui non plus n'avait pas dit son nom: Depuis la veille, ils étaient là, côte à côte, sans se connaître.
«Moi, je me nomme Claude.» Et, l'ayant regardée à ce moment, il la vit qui éclatait d'un joli rire. C'était l'échappée joueuse d'une grande fille encore gamine. Elle trouvait drôle cet échange tardif de leurs noms. Puis une autre idée l'amusa.
«Tiens! Claude, Christine, ça commence par la même lettre.» Le silence retomba. Il clignait les paupières, s'oubliait, se sentait à bout d'imagination. Mais il crut remarquer en elle un malaise d'impatience, et dans la terreur qu'elle ne bougeât, il reprit au hasard, pour l'occuper:
«Il fait un peu chaud.» Cette fois, elle étouffa son rire, cette gaieté native qui renaissait et partait malgré elle, depuis qu'elle se rassurait.
La chaleur devenait si forte, qu'elle était dans le lit comme dans un bain, la peau, moite et pâlissante, de la pâleur laiteuse des camélias.
«Oui, un peu chaud», répondit-elle sérieusement, tandis que ses yeux s'égayaient.
Claude, alors, conclut de son air bonhomme:
«C'est ce soleil qui entre. Mais, bah! ça fait du bien, un bon coup de soleil dans la peau… Dites donc, cette nuit, nous aurions eu besoin de ça, sous la porte.» Tous deux éclatèrent, et lui, enchanté d'avoir découvert enfin un sujet de conversation, la questionna sur son aventure, sans curiosité, se souciant peu au fond de savoir la vérité vraie, uniquement désireux de prolonger la séance.
Christine, simplement, en quelques paroles, conta les choses. C'était la veille au matin qu'elle avait quitté Clermont, pour venir à Paris, où elle allait entrer comme lectrice chez la veuve d'un général, Mme Vanzade, une vieille dame très riche, qui habitait Passy. Le train, réglementairement, arrivait à neuf heures dix, et toutes les précautions étaient prises, une femme de chambre devait l'attendre, on avait même fixé par lettres un signe de reconnaissance, une plume grisé à son chapeau noir.
Mais voilà que son train était tombé, un peu au-dessus de Nevers, sur un train de marchandises dont les voitures déraillées et brisées obstruaient la voie. Alors avait commencé une série de contretemps et de retards, d'abord une interminable pause dans les wagons immobiles, puis l'abandon forcé de ces wagons, les bagages, laissés là en arrière, les voyageurs obligés de faire trois kilomètres à pied pour atteindre une station, où l'on s'était décidé à former un train de sauvetage. On avait perdu deux heures, et deux autres furent perdues encore, dans le trouble que l'accident occasionnait, d'un bout à l'autre de la ligne; si bien qu'on était entré en gare avec quatre heures de retard, à une heure du matin seulement.
«Pas de chance! interrompit Claude, toujours incrédule, combattu pourtant, surpris de la façon aisée dont s'arrangeaient les complications de cette histoire. Et, naturellement, personne ne vous attendait plus?» En effet, Christine n'avait pas trouvé la femme de chambre de Mme Vanzade, qui sans doute s'était lassée.
Et elle disait son émoi dans la gare de Lyon, cette grande halle inconnue, noire, vide, bientôt déserte, à cette heure avancée de la nuit. D'abord, elle n'avait point osé prendre une voiture, se promenant avec son petit sac, espérant que quelqu'un viendrait. Puis, elle s'était décidée, mais trop tard, car il n'y avait plus là qu'un cocher très sale, empestant le vin, qui rôdait autour d'elle, en s'offrant d'un air goguenard.
«Oui, un rouleur, reprit Claude, intéressé maintenant, comme s'il eût assisté à la réalisation d'un conte bleu.
Et vous êtes montée dans sa voiture?» Les yeux au plafond, Christine continua, sans quitter la pose:
«C'est lui qui m'a forcée. Il m'appelait sa petite, il me faisait peur… Quand il a su que j'allais à Passy, il s'est fâché, il a fouetté son cheval si fort, que j'ai dû me cramponner aux portières. Puis, je me suis rassurée un peu, le fiacre roulait doucement dans des rues éclairées, je voyais du monde sur les trottoirs. Enfin, j'ai reconnu la Seine. Je ne suis jamais venue à Paris, mais j'avais regardé un plan… Et je pensais qu'il filerait tout le long des quais, lorsque j'ai été reprise de peur, en m'apercevant que nous passions sur un pont. Justement, la pluie commençait, le fiacre, qui avait tourné dans un endroit très noir, s'est brusquement arrêté. C'était le cocher qui descendait de son siège et qui voulait entrer avec moi dans la voiture… Il disait qu'il pleuvait trop…» Claude se mit à rire. Il ne doutait plus, elle ne pouvait inventer ce cocher-là. Comme elle se taisait, embarrassée:
«Bon! bon! le farceur plaisantait. – Tout de suite, j'ai sauté sur le pavé, par l'autre portière. Alors, il a juré, il m'a dit que nous étions arrivés et qu'il m'arracherait mon chapeau, si je ne le payais pas… La pluie tombait à torrents, le quai était absolument désert. Je perdais la tête, j'ai sorti une pièce de cinq francs, et il a fouetté son cheval, et il est parti en emportant mon petit sac, où il n'y avait heureusement que deux mouchoirs, une moitié de brioche et la clef de ma malle, restée en route.
– Mais on prend le numéro de la voiture!» cria le peintre indigné.
Maintenant, il se souvenait d'avoir été frôlé par un fiacre fuyant à toutes roues, comme il traversait le pont Louis-Philippe, dans le ruissellement de l'orage. Et il s'émerveillait de l'invraisemblance de la vérité, souvent. Ce qu'il avait imaginé, pour être simple et logique, était tout bonnement stupide, à côté de ce cours naturel des infinies combinaisons de la vie.
«Vous pensez si j'étais heureuse, sous cette porte! acheva Christine. Je savais bien que je n'étais pas à Passy, j'allais donc coucher la nuit là, dans ce Paris terrible. Et ces tonnerres, et ces éclairs, oh! ces éclairs tout bleus, tout rouges, qui me montraient des choses à faire trembler!» Ses paupières de nouveau s'étaient closes, un frisson pâlit son visage, elle revoyait la cité tragique, cette trouée des quais s'enfonçant dans des rougeoiements de fournaise, ce fossé profond de la rivière roulant des eaux de plomb, encombré de grands corps noirs, de chalands pareils à des baleines mortes, hérissé de grues immobiles, qui allongeaient des bras de potence. Était-ce donc là une bienvenue? Il y eut un silence. Claude s'était remis à son dessin.
Mais elle remua, son bras s'engourdissait.
«Le coude un peu rabattu, je vous prie.» Puis, d'un air d'intérêt, pour s'excuser:
«Ce sont vos parents qui doivent être dans la désolation, s'ils ont appris la catastrophe.
– Je n'ai pas de parents.
– Comment! ni père ni mère… Vous êtes seule?
– Oui, toute seule.» Elle avait dix-huit ans, et elle était née à Strasbourg, par hasard, entre deux changements de garnison de son père, le capitaine Hallegrain. Comme elle entrait dans sa douzième année, ce dernier, un Gascon de Montauban, était mort à Clermont, où une paralysie des jambes l'avait forcé de prendre sa retraite. Pendant près de cinq ans, sa mère, qui