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L'Œuvre. Emile Zola
Читать онлайн.Название L'Œuvre
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Les jours de richesse, il y avait de la bière. Chacun apportait son tabac, la chambre s'emplissait vite de fumée, on finissait par causer sans se voir, très tard dans la nuit, au milieu du grand silence mélancolique de ce quartier perdu.
Ce jour-là, dès neuf heures, la femme de ménage vint dire:
«Monsieur, j'ai fini, puis-je m'en aller?
– Oui, allez-vous-en… Vous avez laissé de l'eau au feu, n'est-ce pas? Je ferai le thé moi-même.» Sandoz s'était levé. Il disparut derrière la femme de ménage, et ne rentra qu'au bout d'un quart d'heure. Sans doute, il était allé embrasser sa mère, dont il bordait le lit chaque soir, avant qu'elle s'endormit:
Mais le bruit des voix montait déjà, Fagerolles racontait une histoire.
«Oui, mon vieux, à l'École, ils corrigent le modèle…
L'autre jour, Mazel s'approche et me dit: «Les deux cuisses ne sont pas d'aplomb.» Alors, je lui dis: «Voyez, monsieur, elle les a comme ça.» C'était la petite Flore Beauchamp, vous savez. Et il me dit, furieux: «Si elle les a comme ça, elle a tort.» On se roula, Claude surtout, à qui Fagerolles contait l'histoire, pour lui faire sa cour. Depuis quelque temps, il subissait son influence; et, bien qu'il continuât de peindre avec une adresse d'escamoteur, il ne parlait plus que de peinture grasse et solide, que de morceaux de nature, jetés sur la toile, vivants, grouillants, tels qu'ils étaient; ce qui ne l'empêchait pas de blaguer ailleurs ceux du plein air, qu'il accusait d'empâter leurs études avec une cuiller à pot.
Dubuche, qui n'avait pas ri, froissé dans son honnêteté, osa répondre:
«Pourquoi restes-tu à l'École, si tu trouves qu'on vous y abrutit? C'est bien simple, on s'en va… Oh! je sais, vous êtes tous contre moi, parce que je défends l'École. Voyez-vous, mon idée est que, lorsqu'on veut faire un métier, il n'est pas mauvais d'abord de l'apprendre.» Des cris féroces s'élevèrent, et il fallut à Claude toute son autorité pour dominer les voix.
«Il a raison, on doit apprendre son métier. Seulement, ce n'est guère bon de l'apprendre sous la férule de professeurs qui vous entrent de force dans la caboche leur vision à eux… Ce Mazel, quel idiot! dire que les cuisses de Flore Beauchamp ne sont pas d'aplomb! Et des cuisses si étonnantes, hein? vous les connaissez, des cuisses qui la disent jusqu'au fond, cette enragée noceuse.
Là!» Il se renversa sur le lit, où il se trouvait; et, les yeux en l'air, il continua d'une voix ardente:
«Ah! la vie, la vie! la sentir et la rendre dans sa réalité, l'aimer pour elle, y voir la seule beauté vraie, éternelle et changeante, ne pas avoir l'idée bête de l'anoblir en la châtrant, comprendre que les prétendues laideurs ne sont que les saillies des caractères, et faire vivre, et faire des hommes, la seule façon d'être Dieu!» Sa foi revenait, la course à travers Paris l'avait fouetté, il était repris de sa passion de la chair vivante. On l'écoutait en silence. Il eut un geste fou, puis il se calma.
«Mon Dieu! chacun ses idées; mais l'embêtant, c'est qu'ils sont encore plus intolérants que nous à l'Institut…
Le jury du Salon est à eux, je suis sûr que cet idiot de Mazel va me refuser mon tableau.» Et, là-dessus, tous partirent en imprécations, car cette question du jury était un éternel sujet de colère. On exigeait des réformes, chacun avait une solution prête, depuis le suffrage universel appliqué à l'élection d'un jury largement libéral, jusqu'à la liberté entière, le Salon libre pour tous les exposants.
Devant la fenêtre ouverte, pendant que les autres discutaient, Gagnière avait attiré Mahoudeau, et il murmurait d'une voix éteinte, les regards perdus dans la nuit:
«Oh! ce n'est rien, vois-tu, quatre mesures, une impression jetée. Mais ce qu'il y a là-dedans!.. Pour moi, d'abord, c'est un paysage qui fuit, un coin de route mélancolique, avec l'ombre d'un arbre qu'on ne voit pas; et puis, une femme passe, à peine un profil; et puis, elle s'en va, et on ne la rencontrera jamais, jamais plus…» À ce moment, Fagerolles cria: «Dis donc, Gagnière, qu'est-ce que tu envoies au Salon, cette année?» Il n'entendit pas, il poursuivait, extasié:
«Dans Schumann, il y a tout, c'est l'infini… Et Wagner qu'ils ont encore sifflé dimanche!» Mais un nouvel appel de Fagerolles le fit sursauter.
«Hein? quoi? ce que j'enverrai au Salon?.. Un petit paysage peut-être, un coin de Seine. C'est si difficile, il faut avant tout que je sois content.» Il était redevenu brusquement timide et inquiet. Ses scrupules de conscience artistique le tenaient pendant des mois sur une toile grande comme la main. À la suite des paysagistes français, ces maîtres qui ont les premiers conquis la nature, il se préoccupait de la justesse du ton, de l'exacte observation des valeurs, en théoricien dont l'honnêteté finissait par alourdir la main. Et, souvent, il n'osait plus risquer une note vibrante, d'une tristesse grise qui étonnait, au milieu de sa passion révolutionnaire.
«Moi, dit Mahoudeau, je me régale à l'idée de les faire loucher, avec ma bonne femme.» Claude haussa les épaules.
«Oh! toi, tu seras reçu: les sculpteurs sont plus larges que les peintres. Et du reste, tu sais très bien ton affaire, tu as dans les doigts quelque chose qui plût… Elle sera pleine de jolies choses, ta Vendangeuse.» Ce compliment laissa Mahoudeau sérieux, car il posait pour la force, il s'ignorait et méprisait la grâce, une grâce invincible qui repoussait quand même de ses gros doigts d'ouvrier sans éducation, comme une fleur qui s'entête dans le dur terrain où un coup de vent l'a semée.
Fagerolles, très malin, n'exposait pas, de peur de mécontenter ses maîtres; et il tapait sur le Salon, un bazar infect où la bonne peinture tournait à l'aigre avec la mauvaise. En secret, il rêvait le prix de Rome, qu'il plaisantait d'ailleurs comme le reste.
Mais Jory se planta au milieu de la chambre, son verre de bière au poing. Tout en le vidant à petits coups, il déclara:
«À la fin, il m'embête, le jury… Dites donc, voulez-vous que je le démolisse? Dès le prochain numéro, je commence, je le bombarde. Vous me donnerez des notes, n'est-ce pas? et nous le flanquerons par terre… Ce sera rigolo.» Claude acheva de se monter, ce fut un enthousiasme général. Oui, oui, il fallait faire campagne! Tous en étaient, tous se pressaient pour se mieux sentir les coudes et marcher au feu ensemble. Il n'y en avait pas un, à cette minute, qui réservât sa part de gloire, car rien ne les séparait encore, ni leurs profondes dissemblances qu'ils ignoraient, ni les rivalités qui devaient les heurter un jour. Est-ce que le succès de l'un n'était pas le succès des autres? Leur jeunesse fermentait, ils débordaient de dévouement, ils recommençaient l'éternel rêve de s'enrégimenter pour la conquête de la terre, chacun donnant son effort, celui-ci poussant celui-là, la bande arrivant d'un bloc, sur le même rang. Déjà Claude, en chef accepté, sonnait la victoire, distribuait des couronnes. Fagerolles lui-même, malgré sa blague de Parisien, croyait à la nécessité d'être une armée; tandis que, plus épais d'appétits, mal débarbouillé de sa province, Jory se dépensait en camaraderie utile, prenant au vol des phrases, préparant là ses articles. Et Mahoudeau exagérait ses brutalités voulues, les mains convulsées, ainsi qu'un geindre dont les poings pétriraient un monde; et Gagnière, pâmé, dégagé du gris de sa peinture, raffinait la sensation jusqu'à l'évanouissement final de l'intelligence; et Dubuche, de conviction pesante, ne jetait que des mots, mais des mots pareils à des coups de massue, en plein milieu des obstacles. Alors, Sandoz, bien heureux, riant d'aise à les voir si unis, tous dans la même chemise, comme il disait, déboucha une nouvelle bouteille de bière.
Il aurait vidé la maison, il cria:
«Hein? nous y sommes, ne lâchons plus… Il n'y a que ça de bon, s'entendre quand on a des