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Nana. Emile Zola
Читать онлайн.Название Nana
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Fichtre! dit simplement Fauchery à la Faloise.
Mars, cependant, accourait au rendez-vous, avec son plumet, et se trouvait entre les deux déesses. Il y avait là une scène que Prullière joua finement; caressé par Diane qui voulait tenter sur lui un dernier effort avant de le livrer à Vulcain, cajolé par Vénus que la présence de sa rivale stimulait, il s'abandonnait à ces douceurs, d'un air béat de coq en pâte. Puis, un grand trio terminait la scène; et ce fut alors qu'une ouvreuse parut dans la loge de Lucy Stewart, et jeta deux énormes bouquets de lilas blanc. On applaudit, Nana et Rose Mignon saluèrent, pendant que Prullière ramassait les bouquets. Une partie de l'orchestre se tourna en souriant vers la baignoire occupée par Steiner et Mignon. Le banquier, le sang au visage, avait de petits mouvements convulsifs du menton, comme s'il eût éprouvé un embarras dans la gorge.
Ce qui suivit acheva d'empoigner la salle. Diane s'en était allée, furieuse. Tout de suite, assise sur un banc de mousse, Vénus appela Mars auprès d'elle. Jamais encore on n'avait osé une scène de séduction plus chaude. Nana, les bras au cou de Prullière, l'attirait, lorsque Fontan, se livrant à une mimique de fureur cocasse, exagérant le masque d'un époux outragé qui surprend sa femme en flagrant délit, parut dans le fond de la grotte. Il tenait le fameux filet aux mailles de fer. Un instant, il le balança, pareil à un pêcheur qui va jeter un coup d'épervier; et, par un truc ingénieux, Vénus et Mars furent pris au piège, le filet les enveloppa, les immobilisa dans leur posture d'amants heureux.
Un murmure grandit, comme un soupir qui se gonflait. Quelques mains battirent, toutes les jumelles étaient fixées sur Vénus. Peu à peu, Nana avait pris possession du public, et maintenant chaque homme la subissait. Le rut qui montait d'elle, ainsi que d'une bête en folie, s'était épandu toujours davantage, emplissant la salle. A cette heure, ses moindres mouvements soufflaient le désir, elle retournait la chair d'un geste de son petit doigt. Des dos s'arrondissaient, vibrant comme si des archets invisibles se fussent promenés sur les muscles; des nuques montraient des poils follets qui s'envolaient, sous des haleines tièdes et errantes, venues on ne savait de quelle bouche de femme. Fauchery voyait devant lui l'échappé de collège que la passion soulevait de son fauteuil. Il eut la curiosité de regarder le comte de Vandeuvres, très pâle, les lèvres pincées, le gros Steiner, dont la face apoplectique crevait, Labordette lorgnant d'un air étonné de maquignon qui admire une jument parfaite, Daguenet dont les oreilles saignaient et remuaient de jouissance. Puis, un instinct lui fit jeter un coup d'oeil en arrière, et il resta étonné de ce qu'il aperçut dans la loge des Muffat: derrière la comtesse, blanche et sérieuse, le comte se haussait, béant, la face marbrée de taches rouges; tandis que, près de lui, dans l'ombre, les yeux troubles du marquis de Chouard étaient devenus deux yeux de chat, phosphorescents, pailletés d'or. On suffoquait, les chevelures s'alourdissaient sur les têtes en sueur. Depuis trois heures qu'on était là, les haleines avaient chauffé l'air d'une odeur humaine. Dans le flamboiement du gaz, les poussières en suspension s'épaississaient, immobiles au-dessous du lustre. La salle entière vacillait, glissait à un vertige, lasse et excitée, prise de ces désirs ensommeillés de minuit qui balbutient au fond des alcôves. Et Nana, en face de ce public pâmé, de ces quinze cents personnes entassées, noyées dans l'affaissement et le détraquement nerveux d'une fin de spectacle, restait victorieuse avec sa chair de marbre, son sexe assez fort pour détruire tout ce monde et n'en être pas entamé.
La pièce s'acheva. Aux appels triomphants de Vulcain, tout l'Olympe défilait devant les amoureux, avec des oh! et des ah! de stupéfaction et de gaillardise. Jupiter disait: «Mon fils, je vous trouve léger de nous appeler pour voir ça.» Puis, un revirement avait lieu en faveur de Vénus. Le choeur des cocus, introduit de nouveau par Iris, suppliait le maître des dieux de ne pas donner suite à sa requête; depuis que les femmes demeuraient au logis, la vie y devenait impossible pour les hommes; ils aimaient mieux être trompés et contents, ce qui était la morale de la comédie. Alors, on délivrait Vénus. Vulcain obtenait une séparation de corps. Mars se remettait avec Diane. Jupiter, pour avoir la paix dans son ménage, envoyait sa petite blanchisseuse dans une constellation. Et l'on tirait enfin l'Amour de son cachot, où il avait fait des cocottes, au lieu de conjuguer le verbe aimer. La toile tomba sur une apothéose, le choeur des cocus agenouillé, chantant un hymne de reconnaissance à Vénus, souriante et grandie dans sa souveraine nudité.
Les spectateurs, déjà debout, gagnaient les portes. On nomma les auteurs, et il y eut deux rappels, au milieu d'un tonnerre de bravos. Le cri: «Nana! Nana!» avait roulé furieusement. Puis, la salle n'était pas encore vide, qu'elle devint noire; la rampe s'éteignit, le lustre baissa, de longues housses de toile grise glissèrent des avant-scènes, enveloppèrent les dorures des galeries; et cette salle, si chaude, si bruyante, tomba d'un coup à un lourd sommeil, pendant qu'une odeur de moisi et de poussière montait. Au bord de sa loge, attendant que la foule se fût écoulée, la comtesse Muffat, toute droite, emmitouflée de fourrures, regardait l'ombre.
Dans les couloirs, on bousculait les ouvreuses qui perdaient la tête, parmi des tas de vêtements écroulés. Fauchery et la Faloise s'étaient hâtés, pour assister à la sortie. Le long du vestibule, des hommes faisaient la haie, tandis que, du double escalier, lentement, deux interminables queues descendaient, régulières et compactes. Steiner, entraîné par Mignon, avait filé des premiers. Le comte de Vandeuvres partit avec Blanche de Sivry à son bras. Un instant, Gaga et sa fille semblèrent embarrassées, mais Labordette s'empressa d'aller leur chercher une voiture, dont il referma galamment la portière sur elles. Personne ne vit passer Daguenet. Comme l'échappé de collège, les joues brûlantes, décidé à attendre devant la porte des artistes, courait au passage des Panoramas, dont il trouva la grille fermée, Satin, debout sur le trottoir, vint le frôler de ses jupes; mais lui, désespéré, refusa brutalement, puis disparut au milieu de la foule, avec des larmes de désir et d'impuissance dans les yeux. Des spectateurs allumaient des cigares, s'éloignaient en fredonnant: Lorsque Vénus rôde le soir… Satin était remontée devant le café des Variétés, où Auguste lui laissait manger le reste de sucre des consommations. Un gros homme, qui sortait très échauffé, l'emmena enfin, dans l'ombre du boulevard peu à peu endormi.
Pourtant, du monde descendait toujours. La Faloise attendait Clarisse. Fauchery avait promis de prendre Lucy Stewart, avec Caroline Héquet et sa mère. Elles arrivaient, elles occupaient tout un coin du vestibule, riant très haut, lorsque les Muffat passèrent, l'air glacial. Bordenave, justement, venait de pousser une petite porte et obtenait de Fauchery la promesse formelle d'une chronique. Il était en sueur, un coup de soleil sur la face, comme grisé par le succès.
– En voilà pour deux cents représentations, lui dit obligeamment la Faloise. Paris entier va défiler à votre théâtre.
Mais Bordenave, se fâchant, montrant d'un mouvement brusque du menton le public qui emplissait le vestibule, cette cohue d'hommes aux lèvres sèches, aux yeux ardents, tout brûlants encore de la possession de Nana, cria avec violence:
– Dis donc à mon bordel, bougre d'entêté!
II
Le lendemain, à dix heures, Nana dormait encore. Elle occupait, boulevard Haussmann, le second étage d'une grande maison neuve, dont le propriétaire louait à des dames seules, pour leur faire essuyer les plâtres. Un riche marchand de Moscou, qui était venu passer un hiver à Paris, l'avait installée là, en payant six mois d'avance. L'appartement, trop vaste pour elle, n'avait jamais été meublé complètement; et un luxe criard, des consoles et des chaises dorées s'y heurtaient à du bric-à-brac de revendeuse, des guéridons d'acajou, des candélabres de zinc jouant le bronze florentin. Cela sentait la fille lâchée trop tôt par son premier monsieur sérieux, retombée à des amants louches, tout un début difficile, un lançage manqué, entravé par des refus de crédit et des menaces d'expulsion.
Nana dormait sur le ventre, serrant entre ses bras nus son oreiller, où elle enfonçait son visage tout blanc de sommeil. La chambre à coucher et le cabinet de toilette étaient les deux seules pièces qu'un tapissier du quartier avait soignées. Une lueur glissait sous un rideau, on distinguait le meuble de palissandre, les tentures et les sièges de damas broché, à grandes fleurs bleues sur fond gris. Mais, dans la moiteur de cette