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les retournait, examinait les quelques lambeaux de viande rose, en répétant:

      – Non, non, ça ne me dit pas.

      – Alors, prenez une langue, un morceau de tête de cochon, une tranche de veau piqué, dit la charcutière patiemment.

      Mais mademoiselle Saget branlait la tête. Elle resta là encore un instant, faisant des mines dégoûtées au-dessus des plats; puis, voyant que décidément on se taisait et qu'elle ne saurait rien, elle s'en alla, en disant:

      – Non, voyez-vous, j'avais envie d'une côtelette panée, mais celle qui vous reste est trop grasse… Ce sera pour une autre fois.

      Lisa se pencha pour la suivre du regard, entre les crépines de l'étalage. Elle la vit traverser la chaussée et entrer dans le pavillon aux fruits.

      – La vieille bique! grogna Gavard.

      Et, comme ils étaient seuls, il raconta quelle place il avait trouvée pour Florent. Ce fut toute une histoire. Un de ses amis, monsieur Verlaque, inspecteur à la marée, était tellement souffrant, qu'il se trouvait forcé de prendre un congé. Le matin même le pauvre homme lui disait qu'il serait bien aise de proposer lui-même son remplaçant, pour se ménager la place, s'il venait à guérir.

      – Vous comprenez, ajouta Gavard, Verlaque n'en a pas pour six mois. Florent gardera la place. C'est une jolie situation… Et nous mettons la police dedans! La place dépend de la préfecture. Hein! sera-ce assez amusant, quand Florent ira toucher l'argent de ces argousins!

      Il riait d'aise, il trouvait cela profondément comique.

      – Je ne veux pas de cette place, dit nettement Florent. Je me suis juré de ne rien accepter de l'empire. Je crèverais de faim, que je n'entrerais pas à la préfecture. C'est impossible, entendez-vous, Gavard!

      Gavard entendait et restait un peu gêné. Quenu avait baissé la tête.

      Mais Lisa s'était tournée, regardait fixement Florent, le cou gonflé, la gorge crevant le corsage. Elle allait ouvrir la bouche, quand la Sarriette entra, il y eut un nouveau silence.

      – Ah bien! s'écria la Sarriette avec son rire tendre, j'allais oublier d'acheter du lard… Madame Quenu, coupez-moi douze bardes, mais bien minces, n'est-ce pas? pour des alouettes… C'est Jules qui a voulu manger des alouettes… Tiens, vous allez bien, mon oncle?

      Elle emplissait la boutique de ses jupes folles. Elle souriait à tout le monde, d'une fraîcheur de lait, décoiffée d'un côté par le veut des Halles. Gavard lui avait pris les mains; et elle, avec son effronterie:

      – Je parie que vous parliez de moi, quand je suis entrée Qu'est-ce que vous disiez donc, mon oncle?

      Lisa l'appela.

      – Voyez, est-ce assez mince comme cela?

      Sur un bout de planche, devant elle, elle coupait des bardes, délicatement. Puis, en les enveloppant:

      – Il ne vous faut rien autre chose?

      – Ma foi, puisque je me suis dérangée, dit la Sarriette, donnez-moi une livre de saindoux… Moi, j'adore les pommes de terre frites, je fais un déjeuner avec deux sous de pommes de terre frites et une botte de radis… Oui, une livre de saindoux, madame Quenu.

      La charcutière avait mis une feuille de papier fort sur une balance. Elle prenait le saindoux dans le pot, sous l'étagère, avec une spatule de buis, augmentant à petits coups, d'une main douce, le tas de graisse qui s'étalait un peu. Quand la balance tomba, elle enleva le papier, le plia, le corna vivement, du bout des doigts.

      – C'est vingt-quatre sous, dit-elle, et six sous de bardes, ça fait trente sous… Il ne vous faut rien autre chose?

      La Sarriette dit que non. Elle paya, riant toujours, montrant ses dents, regardant les hommes en face, avec sa jupe grise qui avait tourné, son fichu rouge mal attaché, qui laissait voir une ligne blanche de sa gorge, au milieu. Avant de sortir, elle alla menacer Gavard en répétant:

      – Alors vous ne voulez pas me dire ce que vous racontiez quand je suis entrée? Je vous ai vu rire, du milieu de la rue… Oh! le sournois. Tenez, je ne vous aime plus.

      Elle quitta la boutique, elle traversa la rue en courant. La belle Lisa dit sèchement:

      – C'est mademoiselle Saget qui nous l'a envoyée.

      Puis le silence continua. Gavard était consterné de l'accueil que Florent faisait à sa proposition. Ce fut la charcutière qui reprit la première, d'une voix très-amicale:

      – Vous avez tort, Florent, de refuser cette place d'inspecteur à la marée… Vous savez combien les emplois sont pénibles à trouver. Vous êtes dans une position à ne pas vous montrer difficile.

      – J'ai dit mes raisons, répondit-il.

      Elle haussa les épaules.

      – Voyons, ce n'est pas sérieux… Je comprends à la rigueur que vous n'aimiez pas le gouvernement. Mais ça n'empêche pas de gagner son pain, ce serait trop bête… Et puis, l'empereur n'est pas un méchant homme, mon cher. Je vous laisse dire quand vous racontez vos souffrances. Est-ce qu'il le savait seulement, lui, si vous mangiez du pain moisi et de la viande gâtée? Il ne peut pas être à tout, cet homme… Vous voyez que, nous autres, il ne nous a pas empêchés de faire nos affaires… Vous n'êtes pas juste, non, pas juste du tout.

      Gavard était de plus en plus gêné. Il ne pouvait tolérer devant lui ces éloges de l'empereur.

      – Ah! non, non, madame Quenu, murmura-t-il, vous allez trop loin.

      C'est tout de la canaille…

      – Oh! vous, interrompit la belle Lisa en s'animant, vous ne serez content que le jour où vous vous serez fait voler et massacrer avec vos histoires. Ne parlons pas politique, parce que ça me mettrait en colère… Il ne s'agit que de Florent, n'est-ce pas? Eh bien, je dis qu'il doit absolument accepter la place d'inspecteur. Ce n'est pas ton avis, Quenu?

      Quenu, qui ne soufflait mot, fut très-ennuyé de la question brusque de sa femme.

      – C'est une bonne place, dit-il sans se compromettre.

      Et, comme un nouveau silence embarrassé se faisait:

      – Je vous en prie, laissons cela, reprit Florent. Ma résolution est bien arrêtée. J'attendrai.

      – Vous attendrez! s'écria Lisa perdant patience.

      Deux flammes roses étaient montées à ses joues. Les hanches élargies, plantée debout dans son tablier blanc, elle se contenait pour ne pas laisser échapper une mauvaise parole. Une nouvelle personne entra, qui détourna sa colère. C'était madame Lecoeur.

      – Pourriez-vous me donner une assiette assortie d'une demi-livre, à cinquante sous la livre? demanda-t-elle.

      Elle feignit d'abord de ne pas voir son beau-frère; puis, elle le salua d'un signe de tête, sans parler. Elle examinait les trois hommes de la tête aux pieds, espérant sans doute surprendre leur secret, à la façon dont ils attendaient qu'elle ne fût plus là. Elle sentait qu'elle les dérangeait; cela la rendait plus anguleuse, plus aigre, dans ses jupes tombantes, avec ses grands bras d'araignée, ses mains nouées qu'elle tenait sous son tablier. Comme elle avait une légère toux:

      – Est-ce que vous êtes enrhumée? dit Gavard gêné par le silence.

      Elle répondit un non bien sec. Aux endroits où les os perçaient son visage, la peau, tendue, était d'un rouge brique, et la flamme sourde qui brûlait ses paupières, annonçait quelque maladie de foie, couvant dans ses aigreurs jalouses. Elle se retourna vers le comptoir, suivit chaque geste de Lisa qui la servait, de cet oeil méfiant d'une cliente persuadée qu'on va la voler.

      – Ne me donnez pas de cervelas, dit-elle, je n'aime pas ça.

      Lisa avait pris un couteau mince et coupait des tranches de saucisson. Elle passa au jambon fumé et au jambon ordinaire, détachant des filets délicats, un peu courbée, les yeux sur le couteau. Ses mains potelées, d'un rose vif, qui touchaient aux viandes avec des légèretés

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