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de la maison de ville et de l’église sans rien remarquer de suspect; on aurait cru vides ces deux bâtiments.

      Le boucher, le boulanger et le pharmacien rouvrirent leurs boutiques.

      On jasait beaucoup dans les logis. Si l’empereur était prisonnier, il y avait quelque traîtrise là-dessous. On ne savait pas au juste laquelle des républiques était revenue.

      La nuit tomba.

      Vers neuf heures, le docteur s’approcha seul, sans bruit, de l’entrée du bâtiment communal, persuadé que son adversaire était parti se coucher; et, comme il se disposait à enfoncer la porte à coups de pioche, une voix forte, celle d’un garde, demanda tout à coup:

      — Qui va là?

      Et M. Massarel battit en retraite à toutes jambes.

      Le jour se leva sans que rien fût changé dans la situation.

      La milice en armes occupait la place. Tous les habitants s’étaient réunis autour de cette troupe, attendant une solution. Ceux des villages voisins arrivaient pour voir.

      Alors, le docteur, comprenant qu’il jouait sa réputation, résolut d’en finir d’une manière ou d’une autre; et il allait prendre une résolution quelconque, énergique assurément, quand la porte du télégraphe s’ouvrit et la petite servante de la directrice parut, tenant à la main deux papiers.

      Elle se dirigea d’abord vers le commandant et lui remit une des dépêches; puis, traversant le milieu désert de la place, intimidée par tous les yeux fixés sur elle, baissant la tête et trottant menu, elle alla frapper doucement à la maison barricadée, comme si elle eût ignoré qu’un parti armé s’y cachait.

      L’huis s’entre-bâilla; une main d’homme reçut le message, et la fillette revint, toute rouge, prête à pleurer, d’être dévisagée ainsi par le pays entier.

      Le docteur commanda d’une voix vibrante:

      — Un peu de silence, s’il vous plaît.

      Et comme le populaire s’était tu, il reprit fièrement:

      — Voici la communication que je reçois du gouvernement. Et, élevant sa dépêche, il lut:

      «Ancien maire révoqué. Veuillez aviser au plus pressé. Recevrez instructions ultérieures.

«Pour le sous-préfet, Sapin, conseiller.»

      Il triomphait; son cœur battait de joie; ses mains tremblaient, mais Picart, son ancien subalterne, lui cria d’un groupe voisin:

      — C’est bon, tout ça; mais si les autres ne sortent pas, ça vous fait une belle jambe, votre papier.

      Et M. Massarel pâlit. Si les autres ne sortaient pas, en effet, il fallait aller de l’avant maintenant. C’était non seulement son droit, mais aussi son devoir.

      Et il regardait anxieusement la mairie, espérant qu’il allait voir la porte s’ouvrir et son adversaire se replier.

      La porte restait fermée. Que faire? la foule augmentait, se serrait autour de la milice. On riait.

      Une réflexion surtout torturait le médecin. S’il donnait l’assaut, il faudrait marcher à la tête de ses hommes; et comme, lui mort, toute contestation cesserait, c’était sur lui, sur lui seul que tireraient M. de Varnetot et ses trois gardes. Et ils tiraient bien, très bien; Picart venait encore de le lui répéter. Mais une idée l’illumina et, se tournant vers Pommel:

      — Allez vite prier le pharmacien de me prêter une serviette et un bâton.

      Le lieutenant se précipita.

      Il allait faire un drapeau parlementaire, un drapeau blanc dont la vue réjouirait peut-être le cœur légitimiste de l’ancien maire.

      Pommel revint avec le linge demandé et un manche à balai. Au moyen de ficelles, on organisa cet étendard que M. Massarel saisit à deux mains; et il s’avança de nouveau vers la mairie en le tenant devant lui. Lorsqu’il fut en face de la porte, il appela encore «Monsieur de Varnetot.» La porte s’ouvrit soudain, et M. de Varnetot apparut sur le seuil avec ses trois gardes.

      Le docteur recula par un mouvement instinctif; puis il salua courtoisement son ennemi et prononça, étranglé par l’émotion: «Je viens, Monsieur, vous communiquer les instructions que j’ai reçues.»

      Le gentilhomme, sans lui rendre son salut, répondit: «Je me retire, Monsieur, mais sachez bien que ce n’est ni par crainte, ni par obéissance à l’odieux gouvernement qui usurpe le pouvoir.» Et, appuyant sur chaque mot, il déclara: «Je ne veux pas avoir l’air de servir un seul jour la République. Voilà tout.»

      Massarel, interdit, ne répondit rien; et M. de Varnetot, se mettant en marche d’un pas rapide, disparut au coin de la place, suivi toujours de son escorte.

      Alors le docteur, éperdu d’orgueil, revint vers la foule. Dès qu’il fut assez près pour se faire entendre, il cria: «Hurrah! hurrah! La République triomphe sur toute la ligne.»

      Aucune émotion ne se manifesta.

      Le médecin reprit: «Le peuple est libre, vous êtes libres, indépendants. Soyez fiers!»

      Les villageois inertes le regardaient sans qu’aucune gloire illuminât leurs yeux.

      A son tour, il les contempla, indigné de leur indifférence, cherchant ce qu’il pourrait dire, ce qu’il pourrait faire pour frapper un grand coup, électriser ce pays placide, remplir sa mission d’initiateur.

      Mais une inspiration l’envahit et, se tournant vers Pommel: «Lieutenant, allez chercher le buste de l’ex-empereur qui est dans la salle des délibérations du conseil municipal, et apportez-le avec une chaise.»

      Et bientôt l’homme reparut portant sur l’épaule droite le Bonaparte de plâtre, et tenant de la main gauche une chaise de paille.

      M. Massarel vint au-devant de lui, prit la chaise, la posa par terre, plaça dessus le buste blanc, puis se reculant de quelques pas, l’interpella d’une voix sonore:

      «Tyran, tyran, te voici tombé, tombé dans la boue, tombé dans la fange. La patrie expirante râlait sous ta botte. Le Destin vengeur t’a frappé. La défaite et la honte se sont attachées à toi; tu tombes vaincu, prisonnier du Prussien; et, sur les ruines de ton empire croulant, la jeune et radieuse République se dresse, ramassant ton épée brisée...»

      Il attendait des applaudissements. Aucun cri, aucun battement de mains n’éclata. Les paysans effarés se taisaient; et le buste aux moustaches pointues qui dépassaient les joues de chaque côté, le buste immobile et bien peigné comme une enseigne de coiffeur, semblait regarder M. Massarel avec son sourire de plâtre, un sourire ineffaçable et moqueur.

      Ils demeuraient ainsi face à face, Napoléon sur sa chaise, le médecin debout, à trois pas de lui. Une colère saisit le commandant. Mais que faire? que faire pour émouvoir ce peuple et gagner définitivement cette victoire de l’opinion?

      Sa main, par hasard, se posa sur son ventre, et il rencontra, sous sa ceinture rouge, la crosse de son revolver.

      Aucune inspiration, aucune parole ne lui venaient plus. Alors, il tira son arme, fit deux pas et, à bout portant, foudroya l’ancien monarque.

      La balle creusa dans le front un petit trou noir, pareil à une tache, presque rien. L’effet était manqué. M. Massarel tira un second coup, qui fit un second trou, puis un troisième, puis, sans s’arrêter, il lâcha les trois derniers. Le front de Napoléon volait en poussière blanche, mais les yeux, le nez et les fines pointes des moustaches restaient intacts.

      Alors exaspéré, le docteur renversa la chaise d’un coup de poing et, appuyant un pied sur le reste du buste, dans une posture de triomphateur, il se tourna vers le public abasourdi en vociférant: «Périssent

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