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la gardait, accrochée au mur de sa salle à manger, et quelquefois j'allais la voir fonctionner, après la messe. C'était cette perspective qui me faisait endurer cette longue pénitence de l'église, sans bouger et sans rien dire. Le sermon était le plus dur à supporter; aussi, espérant l'abréger, je me plaçais toujours au pied de la chaire et quand le prédicateur s'approchait pour y monter, je le tirais par sa robe blanche, et lui disais, tout bas:

      – Dépêche-toi, parce que j'irai voir ton horloge!

      – Chut! chut! faisait-il un doigt sur les lèvres, en essayant de prendre un air sévère.

      J'arrivais la première au presbytère et j'avertissais la vieille bonne que la représentation aurait lieu.

      En attendant, je contemplais le mystérieux tableau, immobile et muet pour le moment. Il y avait un moulin, une cascade, un pont, un meunier derrière un âne. Le tout encadré, recouvert d'une vitre et assez loin de la muraille, à cause de l'épaisseur de la boîte.

      Enfin, M. le curé paraissait dans sa soutane noire, il ôtait son chapeau, et prenait un air solennel.

      – Mesdemoiselles Gautier, disait-il aux tantes, cette jeune personne a-t-elle été sage?

      – Hou! hou! disait tante Lili.

      – Pour elle, ça n'était pas trop mal, affirmait tante Zoé.

      – Alors, il faut l'encourager à faire mieux.

      Il décrochait d'un clou une grosse clé carrée, montait sur un tabouret et tournait longtemps derrière le cadre.

      Bientôt, tout s'animait; l'homme tapait sur son âne, qui remuait les jambes et secouait les oreilles; le moulin se mettait à tourner; la cascade à couler; tandis qu'une petite musique grêle, s'égrenait rapidement. Les yeux écarquillés, je retenais ma respiration, pour ne rien perdre de ce spectacle extraordinaire.

      C'était fini, quand le meunier, ayant passé le pont, disparaissait, avec son âne, sous la voûte du moulin.

      Il fallait vite s'en aller, à cause de grand-père et du déjeuner en retard. Mais ce n'était pas sans avoir promis au bon curé que je serais très sage, pour revenir bientôt voir encore jouer l'horloge.

      XX

      Au lieu des fables habituelles, on voulait me faire apprendre des vers de mon père.

      Si j'avais été en âge de comprendre, j'aurais connu le poète avant de connaître l'homme; mais je ne m'expliquais pas la nécessité de cet exercice, et j'y étais très rebelle. Je ne voulais pas non plus écrire, et, entre mon grand-père et moi, commença un duel sans répit. Il était autoritaire et violent; moi j'étais têtue, au delà de tout ce qu'on peut s'imaginer. Nous perdions de longues heures, en face l'un de l'autre, et c'était à qui ne céderait pas.

      Une fois, la lutte se prolongea très tard dans la nuit. Il s'agissait d'apprendre une poésie qui commençait par ce vers:

      «Au Luxembourg souvent, lorsque dans les allées»

      Je m'arrêtais au premier hémistiche, bien décidée à ne pas aller plus loin, car c'était justement à cause de cet hémistiche, que je ne voulais pas apprendre cette pièce de vers-là.

      La journée passa, je fus privée de dîner, car je ne touchais pas au pain sec; la soirée passa aussi, j'en étais toujours:

      «Au Luxembourg souvent…»

      J'avais mes raisons pour ne pas vouloir, et ces raisons vraiment, je ne pouvais pas les dire, au grand-père surtout.

      Quand on jugeait que, par extraordinaire, j'avais été sage, pour me récompenser, grand-père m'emmenait au Luxembourg. Je ne redoutais rien autant que cette récompense. Du Grand-Montrouge au Luxembourg, à pied, c'était loin pour mes petites jambes, surtout en cette austère compagnie, tenue par la main, tout le long de la route. La grille du jardin franchie, je restais sur une chaise, navrée; pour me régaler, grand-père achetait un échaudé!.. Je détestais le Luxembourg, je détestais l'échaudé, que j'émiettais, pour faire croire que je l'avais mangé, sur la pénible route du retour…

      «Au Luxembourg souvent!..»

      J'étais bien résolue à me laisser tuer, plutôt que d'apprendre cette pièce de vers-là.

      A minuit, nous étions encore en présence, le grand-père et moi: les tantes, après d'inutiles essais de conciliation, étaient allées se coucher.

      – Nous verrons qui cédera le premier?..

      Je ne sais plus comment finit l'histoire. Sans doute un de nous deux s'endormit.

      XXI

      Les gamins de ma bande m'avaient enseigné l'art, très important, de grimper aux arbres. J'avais montré des dispositions remarquables, et le plus souvent, quand le temps permettait de vivre dehors, j'étais à califourchon sur quelque branche. Le grand catalpa central du jardin, était mon perchoir le plus habituel. Ses larges feuilles me cachaient très bien et, quelquefois, je me laissais chercher partout, quand j'étais là, tout près. Mais un éclat de rire, que je ne pouvais pas longtemps retenir, me trahissait.

      Presque toujours, les après-midi, les tantes venaient s'asseoir sur la pelouse, à côté du fauteuil de grand-père. Elles causaient ou faisaient du crochet. Lui, un livre à la main, me poursuivait de quelque devoir.

      – As-tu appris Paysage?.. Descends me le réciter.

      – D'ici je le sais très bien et, c'est drôle, si je descendais, je suis sûre que je l'aurais tout de suite oublié.

      Et je me dépêchais de réciter:

      Pas une feuille qui bouge

      Pas un seul oiseau chantant,

      Au bord de l'horizon rouge

      Un éclair intermittent.

      – Je trouve que les feuilles bougent beaucoup et qu'il y a un gros oiseau qui chante, disait tante Zoé…

      Quand il y avait des visites, on apportait des chaises et des rafraîchissements, et on restait là, sous l'ombre du catalpa.

      Ceux qui venaient n'étaient pas très nombreux; les plus fréquents étaient le commandant Gruau, avec sa femme, presque des voisins; ils habitaient au Petit-Montrouge, à vingt minutes à peu près de chez nous. Avec eux, venait souvent une dame, qui, elle, était de Paris. Je ne l'ai jamais connue que sous le nom de la Tatitata. Les tantes l'aimaient beaucoup et elle m'était, à moi, très sympathique. Jolie, très brune, la bouche ombrée d'un peu de duvet, la voix grave, mais très douce, je ne pouvais pas m'imaginer autrement une Espagnole.

      Un jour, la société, réunie sur la pelouse, après m'avoir longtemps taquinée de questions, m'envoya voir l'heure qu'il était, dans la chambre de grand-père. Heureuse de m'échapper, je grimpais vite le petit escalier de bois, qui montait de la cour dans la salle à manger. J'entrai dans la chambre et je pris un tabouret, pour monter dessus, et bien m'installer devant la pendule.

      Cette pendule était simple autant que laide. En bois noir verni, avec un double rang de perles en cuivre, et sous le verre, autour du cadran, une guirlande ciselée, elle servait de socle à un petit buste de mon père, en plâtre stéariné.

      Les coudes sur la cheminée, la figure dans mes mains, je regardais de très près le cercle des heures; mais je ne le voyais guère, occupée que j'étais à retourner dans ma tête un problème très ardu.

      On venait de me faire subir un véritable interrogatoire, sur mes pensées les plus secrètes, et j'étais fâchée contre ceux qui m'avaient ainsi harcelée, fâchée contre moi-même aussi, contre moi surtout. Pourquoi devinait-on ce que je pensais?.. Ce devait être par ma faute… Est-ce que les grandes personnes voyaient à travers moi?.. Pourtant, bien des fois, on n'avait rien su; mais c'était quand on ne me faisait pas parler, comme on venait de le faire là, tout à l'heure. Certainement il y avait de ma faute, je disais ce qu'il ne fallait pas dire, ce que je ne voulais pas dire; comment faisaient-ils pour m'y forcer, sans en avoir l'air?.. Cela me remplissait

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