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loup et chercha un héritier plus digne du trône.

IV

      Simplice fut très-occupé les jours qui suivirent son installation. Il lia connaissance avec ses voisins, le scarabée de l'herbe et le papillon de l'air. Tous étaient de bonnes bêtes, ayant presque autant d'esprit que les hommes.

      Dans les commencements, il eut quelque peine à comprendre leur langage; mais il s'aperçut bientôt qu'il devait s'en prendre à son éducation première. Il se conforma vite à la concision de la langue des insectes. Un son finit par lui suffire, comme à eux, pour désigner cent objets différents, suivant l'inflexion de la voix et la tenue de la note. De sorte qu'il alla se déshabituant de parler la langue des hommes, si pauvre dans sa richesse.

      Les façons d'être de ses nouveaux amis le charmèrent. Il s'émerveilla surtout de leur manière de juger les rois, qui est celle de ne point en avoir. Enfin il se sentit ignorant auprès d'eux, et prit la résolution d'aller étudier à leurs écoles.

      Il fut plus discret dans ses rapports avec les mousses et les aubépines. Comme il ne pouvait encore saisir les paroles du brin d'herbe et de la fleur, cette impuissance jetait beaucoup de froid dans leurs relations.

      Somme toute, la forêt ne le vit pas d'un mauvais oeil. Elle comprit que c'était là un simple d'esprit et qu'il vivrait en bonne intelligence avec les bêtes. On ne se cacha plus de lui. Souvent il lui arrivait de surprendre au fond d'une allée un papillon chiffonnant la collerette d'une marguerite.

      Bientôt l'aubépine vainquit sa timidité jusqu'à donner des leçons au jeune prince. Elle lui apprit amoureusement le langage des parfums et des couleurs. Dès lors, chaque matin, les corolles empourprées saluaient Simplice à son lever; la feuille verte lui contait les cancans de la nuit, le grillon lui confiait tout bas qu'il était amoureux fou de la violette.

      Simplice s'était choisi pour bonne amie une libellule dorée, au fin corsage, aux ailes frémissantes. La chère belle se montrait d'une désespérante coquetterie: elle se jouait, semblait l'appeler, puis fuyait lestement sous sa main. Les grands arbres, qui voyaient ce manège, la tançaient vertement, et, graves, disaient entre eux qu'elle ferait une mauvaise fin.

V

      Simplice devint subitement inquiet.

      La bête à bon Dieu, qui s'aperçut la première de la tristesse de leur ami, essaya de le confesser. Il répondit en pleurant qu'il était gai comme aux premiers jours.

      Maintenant, il se levait avec l'aurore pour courir les taillis jusqu'au soir. Il écartait doucement les branches, visitant chaque buisson. Il levait la feuille et regardait dans son ombre.

      – Que cherche donc notre élève? demandait l'aubépine à la mousse.

      La libellule, étonnée de l'abandon de son amant, le crut devenu fou d'amour. Elle vint lutiner autour de lui. Mais il ne la regarda plus. Les grands arbres l'avaient bien jugée: elle se consola vite avec le premier papillon du carrefour.

      Les feuillages étaient tristes. Ils regardaient le jeune prince interroger chaque touffe d'herbe, sonder du regard les longues avenues; ils l'écoutaient se plaindre de la profondeur des broussailles, et ils disaient:

      – Simplice a vu Fleur-des-eaux, l'ondine de la source.

VI

      Fleur-des-eaux était fille d'un rayon et d'une goutte de rosée. Elle était si limpidement belle, que le baiser d'un amant devait la faire mourir; elle exhalait un parfum si doux, que le baiser de ses lèvres devait faire mourir un amant.

      La forêt le savait, et la forêt jalouse cachait son enfant adorée. Elle lui avait donné pour asile une fontaine ombragée de ses rameaux les plus touffus. Là, dans le silence et dans l'ombre, Fleur-des-eaux rayonnait au milieu de ses soeurs. Paresseuse, elle s'abandonnait au courant, ses petits pieds demi-voilés par les flots, sa tête blonde couronnée de perles limpides. Son sourire faisait les délices des nénuphars et des glaïeuls. Elle était l'âme de la forêt.

      Elle vivait insoucieuse, ne connaissant de la terre que sa mère, la rosée, et du ciel que le rayon, son père. Elle se sentait aimée du flot qui la berçait, de la branche qui lui donnait son ombre. Elle avait mille amoureux et pas un amant.

      Fleur-des-eaux n'ignorait pas qu'elle devait mourir d'amour; elle se plaisait dans celle pensée, et vivait en espérant la mort. Souriante, elle attendait le bien-aimé.

      Une nuit, à la clarté des étoiles, Simplice l'avait vue au détour d'une allée. Il la chercha pendant un long mois, pensant la rencontrer derrière chaque tronc d'arbre. Il croyait toujours la voir glisser dans les taillis; mais il ne trouvait, en accourant, que les grandes ombres des peupliers agités par les souffles du ciel.

VII

      La forêt se taisait maintenant; elle se défiait de Simplice. Elle épaississait son feuillage, elle jetait toute sa nuit sur les pas du jeune prince. Le péril qui menaçait Fleur-des-eaux la rendait chagrine; elle n'avait plus de caresses, plus d'amoureux babil.

      L'ondine revint dans les clairières, et Simplice la vit de nouveau. Fou de désir, il s'élança à sa poursuite. L'enfant, montée sur un rayon de lune, n'entendit point le bruit de ses pas. Elle volait ainsi, légère comme la plume qu'emporte le vent.

      Simplice courait, courait à sa suite sans pouvoir l'atteindre. Des larmes coulaient de ses yeux, le désespoir était dans son âme.

      Il courait, et la forêt suivait avec anxiété cette course insensée. Les arbustes lui barraient le chemin. Les ronces l'entouraient de leurs bras épineux, l'arrêtant brusquement au passage. Le bois entier défendait son enfant.

      Il courait, et sentait la mousse devenir glissante sous ses pas. Les branches des taillis s'enlaçaient plus étroitement, se présentaient à lui, rigides comme des tiges d'airain. Les feuilles sèches s'amassaient dans les vallons; les troncs d'arbres abattus se mettaient en travers des sentiers; les rochers roulaient d'eux-mêmes au-devant du prince. L'insecte le piquait au talon; le papillon l'aveuglait en battant des ailes à ses paupières.

      Fleur-des-eaux, sans le voir, sans l'entendre, fuyait toujours sur le rayon de lune. Simplice sentait avec angoisse venir l'instant où elle allait disparaître.

      Et, désespéré, haletant, il courait, il courait.

VIII

      Il entendit les vieux chênes qui lui criaient avec colère:

      – Que ne disais-tu que tu étais un homme? Nous nous serions cachés de toi, nous t'aurions refusé nos leçons, pour que ton oeil de ténèbres ne pût voir Fleur-des-eaux, l'ondine de la source. Tu t'es présenté à nous avec l'innocence des bêtes, et voici qu'aujourd'hui tu montres l'esprit des hommes. Regarde, tu écrases les scarabées, tu arraches nos feuilles, tu brises nos branches. Le vent d'égoïsme t'emporte, tu veux nous voler notre âme.

      Et l'aubépine ajouta:

      – Simplice, arrête, par pitié! Lorsque l'enfant capricieux désire respirer le parfum de mes bouquets étoilés, que ne les laisse-t-il s'épanouir librement sur la branche! Il les cueille et n'en jouit qu'une heure.

      Et la mousse dit à son tour:

      – Arrête, Simplice, viens rêver sur le velours de mon frais tapis. Au loin, entre les arbres, tu verras se jouer Fleur-des-eaux. Tu la verras se baigner dans la source, se jetant au cou des colliers de perles humides. Nous te mettrons de moitié dans la joie de son regard: comme à nous, il te sera permis de vivre pour la voir.

      Et toute la forêt reprit:

      – Arrête, Simplice, un baiser doit la tuer, ne donne pas ce baiser. Ne le sais-tu pas? la brise du soir, notre messagère, ne te l'a-t-elle pas dit? Fleur-des-eaux est la fleur céleste dont le parfum donne la mort. Hélas! la pauvrette, sa destinée est étrange. Pitié pour elle, Simplice, ne bois pas son âme sur ses lèvres.

IX

      Fleur-des-eaux se tourna et vit Simplice. Elle sourit, elle lui fit signe d'approcher, en disant à la forêt:

      – Voici venir le bien-aimé.

      Il y avait trois jours, trois heures, trois minutes, que le prince poursuivait l'ondine. Les paroles des chênes grondaient encore derrière lui; il

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