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se regardèrent et son père et sa mère, et tous ceux de sa famille, et aussi les petits enfants, car Hêna avait un grand faible pour l'enfance.

      » – Pourquoi donc, chère fille, pourquoi donc déjà quitter ce monde, pour t'en aller ailleurs sans que l'ange de la mort t'appelle?

      » – Mon bon père, ma bonne mère, Hésus est irrité, l'étranger menace notre Gaule bien-aimée. Le sang innocent d'une vierge, offert par elle aux dieux, peut apaiser leur colère…

      » – Adieu donc, et au revoir, mon bon père, ma bonne mère! Adieu et au revoir, vous tous, mes parents et mes amis! Gardez ces colliers, ces anneaux en souvenir de moi; que je baise une dernière fois vos têtes blondes, chers petits! adieu et au revoir! Souvenez-vous d'Hêna, votre amie; elle va vous attendre dans les mondes inconnus.»

      Et moi et les rameurs nous avons repris en choeur, au bruit cadencé des rames.

      «Elle était jeune, elle était belle, elle était sainte!

      Elle a offert son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule!

      Elle s'appelait Hêna, Hêna, la vierge de l'île de Sên.»

      Douarnek continua le bardit:

      » – Brillante est la lune, grand est le bûcher qui s'élève auprès des pierres sacrées de Karnak; immense est la foule des tribus qui se pressent autour du bûcher.

      » – La voilà! c'est elle! c'est Hêna!.. Elle monte sur le bûcher, sa harpe d'or à la main, et elle chante ainsi:

      » – Prends mon sang, ô Hésus! et délivre mon pays de l'étranger! Prends mon sang, ô Hésus! pitié pour la Gaule! Victoire à nos armes! – Et il a coulé, le sang d'Hêna!

      » – Ô vierge sainte! il n'aura pas en vain coulé, ton sang innocent et généreux! courbée sous le joug, la Gaule un jour se relèvera libre et fière, en criant comme toi-victoire à nos armes! victoire et liberté!»

      Et Douarnek, ainsi que les trois soldats, répétèrent à voix plus basse ce dernier refrain avec une sorte de pieuse admiration:

      «-Celle-là qui a ainsi offert son sang à Hésus, pour la délivrance de la Gaule!

      Elle était jeune, elle était belle, elle était sainte.

      Elle s'appelait Hêna, Hêna, la vierge de l'île de Sên!»

      Moi seul je n'ai pas répété avec les soldats le dernier refrain du bardit, tant je me sentais ému.

      Douarnek, remarquant mon émotion et mon silence, me dit d'un air surpris:

      –Quoi, Scanvoch, voici maintenant que la voix te manque? Tu restes muet pour achever un chant si glorieux?

      –Tu dis vrai, Douarnek; c'est parce que ce chant est glorieux pour moi… que tu me vois ému.

      –Glorieux pour toi, ce bardit; je ne te comprends pas?

      –Hêna était fille d'un de mes aïeux!

      –Que dis-tu?

      –Hêna était fille de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, mort, ainsi que sa femme et presque toute sa famille, à la grande bataille de Vannes, livrée sur terre et sur mer il y a plus de trois siècles; moi, de père en fils, je descends de Joel.

      Le chant d'Hêna était si connu en Gaule que je vis (pourquoi le nier?) avec un doux orgueil les soldats me regarder presque avec respect.

      –Sais-tu, Scanvoch, – reprit Douarnek, – sais-tu que des rois seraient fiers de tes aïeux?

      –Le sang versé pour la patrie et la liberté, c'est notre noblesse, à nous autres Gaulois, – lui dis-je; – voilà pourquoi nos vieux bardits sont chez nous si populaires.

      –Quand on pense, – reprit le plus jeune des soldats, – qu'il y a plus de trois cents ans qu'Hêna, cette douce et belle sainte, a offert sa vie pour la délivrance du pays, et que son nom est venu jusqu'à nous!

      –Quoique la voix de la jeune vierge ait mis plus de deux siècles à monter jusqu'aux oreilles d'Hésus (c'est tout simple, il est placé si haut), – reprit Douarnek, – cette voix est parvenue jusqu'à lui, puisque nous pouvons dire aujourd'hui: Victoire à nos armes! victoire et liberté!

      Nous étions arrivés vers le milieu du Rhin, à l'endroit où ses eaux sont très-rapides.

      Douarnek me demanda en relevant ses rames:

      –Entrerons-nous dans le fort du courant? Ce serait une fatigue inutile, si nous n'avions qu'à remonter ou à descendre le fleuve à la distance où nous voici de la rive que nous venons de quitter.

      –Il faut traverser le Rhin dans toute sa largeur, ami Douarnek.

      –Le traverser!.. – s'écria le vétéran en me regardant d'un air ébahi. – Traverser le Rhin!.. et pourquoi faire?

      –Pour aborder à l'autre rive.

      –Y penses-tu, Scanvoch? L'armée de ces bandits franks, si on peut honorer du nom d'armée ces hordes sauvages, n'est-elle pas campée sur l'autre bord?..

      –C'est au milieu de ces barbares que je me rends.

      Pendant quelques instants, la manoeuvre des rames fut suspendue; les soldats, interdits et muets, se regardèrent les uns les autres, comme s'ils avaient peine à croire à ma résolution.

      Douarnek rompit le premier le silence, et me dit, avec son insouciance de soldat:

      –C'est alors une espèce de sacrifice à Hésus que nous allons lui offrir en livrant notre peau à ces écorcheurs? Si tel est l'ordre, en avant! Allons, enfants, à nos rames!..

      –Oublies-tu, Douarnek, que, depuis huit jours, nous sommes en trêve avec les Franks?

      –Il n'y a jamais trêve pour de pareils brigands?

      –Tu le vois, j'ai fait, en signe de paix, garnir des feuillage l'avant de notre bateau; je descendrai seul dans le camp ennemi, une branche de chêne à la main…

      –Et ils te massacreront, malgré ta branche de chêne, comme ils ont massacré d'autres envoyés en temps de trêve.

      –C'est possible, ami Douarnek; mais; si le chef commande, le soldat obéit. Victoria et son fils m'ont ordonné d'aller au camp des Franks; j'y vais!

      –Ce n'est pas par peur, au moins, Scanvoch, que je te disais que ces sauvages ne nous laisseraient pas nos têtes sur nos épaules… et notre peau sur le corps… J'ai parlé par vieille habitude de sincérité… Allons, ferme, enfants! ferme à vos rames!.. c'est à un ordre de notre mère… de la mère des camps que nous obéissons… En avant! en avant!.. dussions-nous être écorchés vifs par ces barbares, divertissement qu'ils se donnent souvent aux dépens de nos prisonniers.

      –On dit aussi, – reprit le jeune soldat d'une voix moins assurée que celle de Douarnek, – on dit aussi que ces prêtresses d'enfer qui suivent les hordes franques, mettent parfois nos prisonniers bouillir tout vivants dans de grandes chaudières d'airain, avec certaines herbes magiques.

      –Eh! eh! – reprit joyeusement Douarnek, – celui de nous qui sera mis ainsi à bouillir, mes enfants, aura du moins l'avantage de goûter le premier de son propre bouillon… cela console… Allons, enfants, ferme sur nos rames! nous obéissons à un ordre de la mère des camps

      –Oh! nous ramerions droit à un abîme si Victoria l'ordonnait!

      –Elle est bien nommée, la mère des camps et des soldats; il faut la voir après chaque bataille allant visiter les blessés!

      –Et leur disant de ces paroles qui font regretter aux valides de n'avoir pas de blessures.

      –Et puis, si belle… si belle!..

      –Oh! quand elle passe dans le camp, montée sur son cheval blanc, vêtue de sa longue robe noire, le front si fier sous son casque, et pourtant l'oeil si doux, le sourire si maternel… c'est comme une vision!

      –On assure que notre Victoria

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