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La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03. Honore de Balzac
Читать онлайн.Название La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Honore de Balzac
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Du Bousquier avait conservé le costume à la mode au temps de sa gloire: les bottes à revers, les bas de soie blancs, la culotte courte en drap côtelé de couleur cannelle, le gilet à la Robespierre et l'habit bleu. Malgré les titres que la haine du premier Consul lui donnait auprès des sommités royalistes de la province, monsieur du Bousquier ne fut point reçu dans les sept ou huit familles qui composaient le faubourg Saint-Germain d'Alençon, et où allait le chevalier de Valois. Il avait tenté tout d'abord d'épouser mademoiselle Armande de Gordes, fille noble sans fortune, mais de qui du Bousquier comptait tirer un grand parti pour ses projets ultérieurs, car il rêvait une brillante revanche. Il essuya un refus. Il se consola par les dédommagements que lui offrirent une dizaine de familles riches qui avaient autrefois fabriqué le point d'Alençon, qui possédaient des herbages ou des bœufs, qui faisaient en gros le commerce des toiles, et où le hasard pouvait lui livrer un bon parti. Le vieux garçon avait en effet concentré ses espérances dans la perspective d'un heureux mariage, que ses diverses capacités semblaient d'ailleurs lui promettre; car il ne manquait pas d'une certaine habileté financière que beaucoup de personnes mettaient à profit. Semblable au joueur ruiné qui dirige les néophytes, il indiquait les spéculations, il en déduisait bien les moyens, les chances et la conduite. Il passait pour être un bon administrateur, il fut souvent question de le nommer maire d'Alençon; mais le souvenir de ses tripotages dans les gouvernements républicains lui nuisirent, il ne fut jamais reçu à la Préfecture. Tous les gouvernements qui se succédèrent, même celui des Cent-Jours, se refusèrent à le nommer maire d'Alençon, place qu'il ambitionnait, et qui, s'il l'avait obtenue, aurait fait conclure son mariage avec une vieille fille sur laquelle il avait fini par porter ses vues. Son aversion du gouvernement impérial l'avait d'abord jeté dans le parti royaliste où il resta malgré les injures qu'il y recevait; mais quand, à la première rentrée des Bourbons, l'exclusion fut maintenue à la Préfecture contre lui, ce dernier refus lui inspira contre les Bourbons une haine aussi profonde que secrète, car il demeura patiemment fidèle à ses opinions. Il devint le chef du parti libéral d'Alençon, le directeur invisible des élections, et fit un mal prodigieux à la Restauration par l'habileté de ses manœuvres sourdes et par la perfidie de ses menées. Du Bousquier, comme tous ceux qui ne peuvent plus vivre que par la tête, portait dans ses sentiments haineux la tranquillité d'un ruisseau faible en apparence, mais intarissable; sa haine était comme celle du nègre, si paisible, si patiente, qu'elle trompait l'ennemi. Sa vengeance, couvée pendant quinze années, ne fut rassasiée par aucune victoire, pas même par le triomphe des journées de juillet 1830.
Ce n'était pas sans intention que le chevalier de Valois envoyait Suzanne chez du Bousquier. Le libéral et le royaliste s'étaient mutuellement devinés malgré la savante dissimulation avec laquelle ils cachaient leur commune espérance à toute la ville. Ces deux vieux garçons étaient rivaux. Chacun d'eux avait formé le plan d'épouser cette demoiselle Cormon de qui monsieur de Valois venait de parler à Suzanne. Tous deux blottis dans leur idée, caparaçonnés d'indifférence, attendaient le moment où quelque hasard leur livrerait cette vieille fille. Ainsi, quand même ces deux célibataires n'auraient pas été séparés par toute la distance que mettaient entre eux les systèmes desquels ils offraient une vivante expression, leur rivalité en eût encore fait deux ennemis. Les époques déteignent sur les hommes qui les traversent. Ces deux personnages prouvaient la vérité de cet axiome par l'opposition des teintes historiques empreintes dans leurs physionomies, dans leurs discours, leurs idées, leurs costumes. L'un, abrupte, énergique, à manières larges et saccadées, à parole brève et rude, noir de ton, de chevelure, de regard, terrible en apparence, impuissant en réalité comme une insurrection, représentait bien la République. L'autre, doux et poli, élégant, soigné, atteignant à son but par les lents mais infaillibles moyens de la diplomatie, fidèle au goût, était une image de l'ancienne courtisanerie. Ces deux ennemis se rencontraient presque tous les soirs sur le même terrain. La guerre était courtoise et bénigne chez le chevalier, mais du Bousquier y mettait moins de formes, tout en gardant les convenances voulues par la société, car il ne voulait pas se faire chasser