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Les mystères du peuple, Tome V. Эжен Сю
Читать онлайн.Название Les mystères du peuple, Tome V
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Эжен Сю
Жанр История
Издательство Public Domain
– Il me l'ont tué… Chrotechilde! ils me l'ont tué… mon Protade[F]!
– Allons, madame, entre nous, avouez qu'il n'est pas qu'un Protade au monde; une reine ne chôme jamais d'amoureux! Vous n'avez qu'à choisir parmi les plus beaux, les plus jeunes et les plus fringants de la cour de Bourgogne; et puis, madame, sans reproche, s'ils vous ont tué Protade, vous leur avez tué l'évêque Didier[G].
– Il ne méritait pas son sort, peut-être?
– Lui! madame! jamais punition n'a été plus légitime! Astucieux prélat! vouloir nous supplanter dans notre commerce amoureux! Imaginer de faire épouser cette princesse d'Espagne à votre petit-fils, afin de l'arracher, disait ce Didier, aux fangeuses débauches dont nous étions les pourvoyeuses[H]. Aussi, qu'est-il arrivé?.. les flots de la Chalaronne ont emporté le corps de l'évêque. Cette Espagnole, sur laquelle il comptait pour vous évincer et dominer par elle Thierry, et par Thierry la Bourgogne; cette Espagnole, répudiée par votre petit-fils, est retournée dans son pays au bout de six mois de mariage, et nous avons mis la main sur sa dot[I]; enfin, Thierry est mort cette année de la dyssenterie (dites donc, madame, – ajouta la vieille avec un sourire affreux, – mort de la dyssenterie?); de sorte que par la grâce de cette bienheureuse dyssenterie, vous voici aujourd'hui maîtresse et reine souveraine de ce pays de Bourgogne, puisque Sigebert, le plus âgé des fils de Thierry, vos arrière-petits-enfants, n'a pas encore onze ans… Il ne faut pas qu'ils meurent, ces roitelets, car par leur mort, le fils de Frédégonde deviendrait l'héritier de leurs royaumes… Il faut seulement qu'ils vivotent, afin que vous régniez à leur place… Eh bien, madame, ils vivoteront… Mais, j'y songe, nous oublions l'esclave que vous voulez acheter à Samuel.
– Au contraire, Chrotechilde, cet entretien nous ramène à l'esclave…
– Comment cela?
– Il n'y a plus à en douter, l'âge amortit ton intelligence; autrefois si prompte à me comprendre, depuis un quart d'heure tu me donnes la preuve de ce fâcheux affaiblissement de ton esprit.
– Moi, madame?
– Oui, autrefois au lieu de me demander ce que je compte faire d'une de ces deux esclaves de Samuel, tu m'aurais devinée; mais je viens de me convaincre tout à mon aise de la lenteur sénile de ta perception… cela est triste, Chrotechilde.
– Triste… autant pour moi que pour vous, madame… Mais expliquez-vous… je vous en prie…
– Quoi! cervelle appesantie! Tu sais que j'ai la tutelle de mes arrière-petits-enfants, et sottement tu me demandes ce que je compte faire de ces jolies esclaves? devines-tu, maintenant?
– Eh! oui, madame, je devine, mais vos reproches sont injustes! Comment imaginer que vous songiez à cela… Sigebert n'a pas onze ans!
– Tant mieux!
– C'est vrai, – reprit l'autre monstre avec un éclat de rire épouvantable, – c'est vrai, tant mieux!
Pendant cet horrible entretien, l'auguste masque de bronze, toujours immobile dans son médaillier sur la console d'ivoire, ne sourcilla pas… Sa bouche d'airain ne fit pas entendre un cri de malédiction, retentissant comme les clairons du dernier jugement. Non; ces monstruosités se dirent impunément… Où était-il donc le Dieu des catholiques, qui se manifestait par de si grands miracles en faveur de Clotaire, le tueur d'enfants?
L'entretien des deux matrones continua:
– Donner une concubine à votre arrière-petit-fils Sigebert, – avait dit Chrotechilde à la reine; – mais il n'a pas onze ans!
– Tant mieux! – reprit Brunehaut; – seulement, vois-tu, Chrotechilde, l'exemple de cette infâme Bilichilde me donne à réfléchir, et je ne sais laquelle préférer de ces deux esclaves… Qu'en pense ton expérience?
– Madame, la chose est délicate… La grande brune qui pleure toujours ne sera jamais dangereuse; c'est doux, candide et bête comme une brebis… Il n'y a point à craindre que cette innocente donne jamais à Sigebert de méchantes pensées contre vous.
– Aussi je penche fort pour cette pleureuse; l'autre me paraît une petite commère par trop effrontée… As-tu remarqué cette impudente? elle n'a pas baissé les yeux devant moi, dont le regard fait baisser les plus fermes, les plus audacieux regards!
– Il se peut, madame, que cette frétillante petite diablesse ait trop de ce que la grande pleureuse n'a point assez… ou point du tout; mais ce sera peut-être un mal pour un bien. Examinons en experts le vrai des choses. Sigebert n'a pas onze ans, il est très-enfant, ne songe qu'à la toupie ou aux osselets, il est de plus doux et timide, c'est un véritable agneau; or, cette grande innocente étant de son côté une manière de sotte brebis… vous m'entendez, madame? D'un autre côté, cette petite endiablée pourrait effaroucher notre agneau… Je me rappelle toujours la peur de Theudebert, à la vue de l'esclave aux yeux verts et aux cheveux crépus… Aussi je vous le répète, madame, ceci demande réflexion… D'ailleurs, rien ne presse… Sigebert est en Germanie avec le duk Warnachaire, maire du palais de Bourgogne.
– Ils peuvent être de retour d'un moment à l'autre… Je les attends…
– Quoi! déjà?
– Oui, peut-être arriveront-ils ici aujourd'hui; aussi j'ai d'autant plus hâte d'acheter une esclave pour Sigebert, que je crains que pendant ce voyage en Germanie, Warnachaire n'ait pris une certaine influence sur Sigebert; or, cette influence serait bientôt perdue au milieu du trouble et des curiosités du premier amour de cet enfant.
– Puisque vous vous défiez du duk, madame, pourquoi lui avoir confié Sigebert?
– Excepté en toi, peut-être, en qui ai-je confiance ici? Ne fallait-il pas faire accompagner Sigebert… La vue de cet enfant roi, d'une douce figure, aura intéressé les chefs de tribus germaines d'au delà du Rhin, dont ce Warnachaire est allé rechercher l'alliance… Leurs troupes doubleront mon armée… Oh! dans cette guerre suprême, sans merci entre moi et Clotaire II… ce fils de Frédégonde sera écrasé… Il le faut… il le faut…
– Et cela sera, madame. Jusqu'ici vos ennemis ont toujours tombé sous vos coups… La mort du fils de Frédégonde couronnera l'œuvre… cependant ce duk Warnachaire m'inquiète… Tenez, madame… ces maires du palais qui ont, il y a quarante ou cinquante ans, sous le règne des fils du vieux Clotaire, commencé par être intendants des maisons royales… et qui, peu à peu, sont devenus gouvernants des peuples, ces maires du palais finiront par manger les rois si les rois ne les mangent point. Ces habiles gens disent aux princes: «Ayez des concubines, buvez, jouez, chassez, dormez, prodiguez l'argent dont nous remplirons vos coffres, tenez-vous en joie, ne prenez point souci de régner, nous nous chargeons de ce fardeau.» Ce sont là, madame, de dangereuses scélératesses; qu'une mère, qu'une aïeule, agisse ainsi envers ses fils et ses petits-fils, c'est chose concevable; mais chez les maires du palais, ceci touche fort à l'usurpation, et ce Warnachaire, à qui vous avez laissé son office de maire après la mort de Thierry, me semble vouloir dominer Sigebert et