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Rome. Emile Zola
Читать онлайн.Название Rome
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Et comme Pierre la comprenait, à présent, la hautaine insouciance du cardinal, laissant le temps achever son œuvre de ruine, dans ce palais des ancêtres, auquel il ne pouvait rendre la vie glorieuse d'autrefois! Bâti pour cette vie, pour le train souverain d'un prince du seizième siècle, le logis croulait, déserté et noir, sur la tête de son dernier maître, qui n'avait plus assez de serviteurs pour le remplir, et qui n'aurait pas su comment payer le plâtre nécessaire aux réparations. Alors, puisque le monde moderne se montrait hostile, puisque la religion n'était plus reine, puisque la société était changée et qu'on allait à l'inconnu, au milieu de la haine et de l'indifférence des générations nouvelles, pourquoi donc ne pas laisser le vieux monde tomber en poudre, dans l'orgueil obstiné de sa gloire séculaire? Les héros seuls mouraient debout, sans rien abandonner du passé, fidèles jusqu'au dernier souffle à la même foi, n'ayant plus que la douloureuse bravoure, l'infinie tristesse d'assister à la lente agonie de leur Dieu. Et, dans le haut portrait du cardinal, dans sa face pâle, si fière, si désespérée et brave, il y avait cette volonté têtue de s'anéantir sous les décombres du vieil édifice social, plutôt que d'en changer une seule pierre.
Le prêtre fut tiré de sa rêverie par le frôlement d'une marche furtive, un petit trot de souris, qui lui fit tourner la tête. Une porte venait de s'ouvrir dans la tenture, et il eut la surprise de voir s'arrêter devant lui un abbé d'une quarantaine d'années, gros et court, qu'on aurait pris pour une vieille fille en jupe noire, très âgée déjà, tellement sa face molle était couturée de rides. C'était l'abbé Paparelli, le caudataire, le maître de chambre, qui, à ce dernier titre, se trouvait chargé d'introduire les visiteurs; et il allait questionner celui-ci, en l'apercevant là, lorsque don Vigilio intervint, pour le mettre au courant.
– Ah! bien, bien! monsieur l'abbé Froment, que Son Éminence daignera recevoir… Il faut attendre, il faut attendre.
Et, de sa marche roulante et muette, il alla reprendre sa place dans la seconde antichambre, où il se tenait d'habitude.
Pierre n'aima point ce visage de vieille dévote, blêmi par le célibat, ravagé par des pratiques trop rudes; et, comme don Vigilio ne s'était pas remis au travail, la tête lasse, les mains brûlées de fièvre, il se hasarda à le questionner. Oh! l'abbé Paparelli, un homme de la foi la plus vive, qui restait par simple humilité dans un poste modeste, près de Son Éminence! D'ailleurs, celle-ci voulait bien l'en récompenser, en ne dédaignant pas, parfois, d'écouter ses avis. Et il y avait, dans les yeux ardents de don Vigilio, une sourde ironie, une colère voilée encore, tandis qu'il continuait à examiner Pierre, l'air rassuré un peu, gagné par l'évidente droiture de cet étranger, qui ne devait faire partie d'aucune bande. Aussi finissait-il par se départir de sa continue et maladive méfiance. Il s'abandonna jusqu'à causer un instant.
– Oui, oui, il y a parfois beaucoup de besogne, et assez dure… Son Éminence appartient à plusieurs congrégations, le Saint-Office, l'Index, les Rites, la Consistoriale. Et, pour l'expédition des affaire qui lui incombent, c'est entre mes mains que tous les dossiers arrivent. Il faut que j'étudie chaque affaire, que je fasse un rapport, enfin que je débrouille la besogne… Sans compter que toute la correspondance, d'autre part, me passe par les mains. Heureusement, Son Éminence est un saint, qui n'intrigue ni pour lui ni pour les autres, ce qui nous permet de vivre un peu à l'écart.
Pierre s'intéressait vivement à ces détails intimes d'une de ces existences de prince de l'Église, si cachées d'ordinaire, déformées souvent par la légende. Il sut que le cardinal, hiver comme été, se levait à six heures du matin. Il disait sa messe dans sa chapelle, une petite pièce, meublée seulement d'un autel en bois peint, et où personne n'entrait jamais. D'ailleurs, son appartement particulier ne se composait que d'une chambre à coucher, une salle à manger et un cabinet de travail, des pièces modestes, étroites, qu'on avait taillées dans une grande salle, à l'aide de cloisons. Il y vivait très enfermé, sans luxe aucun, en homme sobre et pauvre. A huit heures, il déjeunait, une tasse de lait froid. Puis, les matins de séance, il se rendait aux congrégations dont il faisait partie; ou bien, il restait chez lui, à recevoir. Le dîner était à une heure, et la sieste venait ensuite, jusqu'à quatre heures et même cinq en été, la sieste de Rome, le moment sacré, pendant lequel pas un domestique n'aurait osé même frapper à la porte. Les jours de beau temps, au réveil, il faisait une promenade en voiture, du côté de l'ancienne voie Appienne, d'où il revenait au coucher du soleil, lorsqu'on sonnait l'Ave Maria. Et enfin, après avoir reçu de sept à neuf, il soupait, rentrait dans sa chambre, ne reparaissait plus, travaillait seul ou se couchait. Les cardinaux vont chez le pape deux ou trois fois par mois, à jours fixes, pour les besoins du service. Mais, depuis bientôt un an, le camerlingue n'avait pas été admis en audience particulière, ce qui était un signe de disgrâce, une preuve de guerre, dont tout le monde noir causait bas, avec prudence.
– Son Éminence est un peu rude, continuait don Vigilio doucement, heureux de parler, dans un moment de détente. Mais il faut la voir sourire, lorsque sa nièce, la contessina, qu'elle adore, descend l'embrasser… Vous savez que, si vous êtes bien reçu, vous le devrez à la contessina…
A ce moment, il fut interrompu. Un bruit de voix venait de la deuxième antichambre, et il se leva vivement, il s'inclina très bas, en voyant entrer un gros homme à la soutane noire ceinturée de rouge, coiffé d'un chapeau noir à torsade rouge et or, et que l'abbé Paparelli amenait, avec tout un déploiement d'humbles révérences. Il avait fait signe à Pierre de se lever également, il put lui souffler encore:
– Le cardinal Sanguinetti, préfet de la congrégation de l'Index.
Mais l'abbé Paparelli se prodiguait, s'empressait, répétait d'un air de béate satisfaction:
– Votre Éminence révérendissime est attendue. J'ai ordre de l'introduire tout de suite… Il y a déjà là Son Éminence le Grand Pénitencier.
Sanguinetti, la voix haute, le pas sonore, eut un éclat brusque et familier.
– Oui, oui, une foule d'importuns qui m'ont retenu! On ne fait jamais ce qu'on veut. Enfin, j'arrive.
C'était un homme de soixante ans, trapu et gras, la face ronde et colorée, avec un nez énorme, des lèvres épaisses, des yeux vifs toujours en mouvement. Mais il frappait surtout par son air de jeunesse active, turbulente presque, les cheveux bruns encore, à peine semés de fils d'argent, très soignés, ramenés en boucles sur les tempes. Il était né à Viterbe, avait fait ses classes au séminaire de cette ville, avant de venir à Rome les achever à l'Université Grégorienne. Ses états de service ecclésiastique disaient son chemin rapide, son intelligence souple: d'abord, secrétaire de nonciature à Lisbonne; ensuite, nommé évêque titulaire de Thèbes et chargé d'une mission délicate, au Brésil; dès son retour, fait nonce à Bruxelles, puis à Vienne; et enfin cardinal, sans compter qu'il venait d'obtenir l'évêché suburbicaire de Frascati. Rompu aux affaires, ayant pratiqué toute l'Europe, il n'avait contre lui que son ambition trop affichée, son intrigue toujours aux aguets. On le disait maintenant irréconciliable, exigeant de l'Italie la reddition de Rome, bien qu'autrefois il eût fait des avances au Quirinal. Dans sa furieuse passion d'être le pape de demain, il sautait d'une opinion à une autre, se donnait mille peines pour conquérir des gens, qu'il lâchait ensuite. Deux fois déjà, il s'était fâché avec Léon XIII, puis avait cru politique de faire sa soumission. La vérité était que, candidat presque avoué à la papauté, il s'usait par son continuel effort, trempant dans trop