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La Terre. Emile Zola
Читать онлайн.Название La Terre
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Dame! pas plus le dimanche qu'en semaine, la besogne ne se fait pas toute seule!
C'était Jean. Il longea la haie, entra par la cour.
– Laissez donc ça, je vas l'expédier, moi, votre travail!
Mais elle refusa, elle avait bientôt fini; puis, si elle ne faisait pas ça, elle ferait autre chose: est-ce qu'on pouvait flâner? Elle avait beau se lever dès quatre heures, et le soir coudre encore à la chandelle, jamais elle n'en voyait le bout.
Lui, pour ne point la contrarier, s'était mis à l'ombre du prunier voisin, en ayant soin de ne pas s'asseoir sur Jules. Il la regardait, pliée de nouveau, les fesses hautes, tirant sa jupe qui remontait et découvrait ses grosses jambes, tandis que, la gorge à terre, elle manoeuvrait les bras, sans craindre le coup de sang, dont le flot lui gonflait le cou.
– Ça va bien, dit-il, que vous êtes rudement construite!
Elle en montrait quelque orgueil, elle eut un rire de complaisance. Et il riait, lui aussi, l'admirant d'un air convaincu, la trouvant forte et brave comme un garçon. Aucun désir malhonnête ne lui venait de cette croupe en l'air, de ces mollets tendus, de cette femme à quatre pattes, suante, odorante ainsi qu'une bête en folie. Il songeait simplement qu'avec des membres pareils on en abattait, de la besogne! Bien sûr que, dans un ménage, une femme de cette bâtisse-là valait son homme.
Sans doute, une association d'idées se fit en lui, et il lâcha involontairement une nouvelle, qu'il s'était promis de garder secrète.
– J'ai vu Buteau, avant-hier.
Lise, lentement, se mit debout. Mais elle n'eut pas le temps de l'interroger. Françoise, qui avait reconnu la voix de Jean, et qui arrivait de sa laiterie, au fond de l'étable, les bras nus et blancs de lait, s'emporta.
– Tu l'as vu… Ah! le cochon!
C'était une antipathie croissante, elle ne pouvait plus entendre nommer le cousin, sans être soulevée par une de ses révoltes d'honnêteté, comme si elle avait eu à venger un dommage personnel.
– Certainement que c'est un cochon, déclara Lise avec calme; mais ça n'avance à rien de le dire, à cette heure.
Elle avait posé les poings sur ses hanches, elle demanda sérieusement:
– Alors, qu'est-ce qu'il raconte, Buteau?
– Mais rien, répondit Jean embarrassé, mécontent d'avoir eu la langue trop longue. Nous avons parlé de ses affaires, à cause de ce que son père dit partout qu'il le déshéritera; et lui dit qu'il a le temps d'attendre, que le vieux est solide, qu'il s'en fout, d'ailleurs.
– Est-ce qu'il sait que Jésus-Christ et Fanny ont signé l'acte tout de même et que chacun est entré en possession de sa part?
– Oui, il le sait, et il sait aussi que le père Fouan a loué à son gendre Delhomme la part dont lui, Buteau, n'a pas voulu; il sait que M. Baillehache a été furieux, à ce point qu'il a juré de ne plus jamais laisser tirer les lots avant d'avoir fait signer les papiers… Oui, oui, il sait que tout est fini.
– Ah! et il ne dit rien?
– Non, il ne dit rien.
Lise, silencieusement, se courba, marcha un instant, arrachant les herbes, ne montrant plus d'elle que la rondeur enflée de son derrière; puis, elle tourna le cou, elle ajouta, la tête en bas:
– Voulez-vous savoir, Caporal? eh bien! ça y est, je peux garder Jules pour compte.
Jean qui, jusque-là, lui donnait des espérances, hocha le menton.
– Ma foi! je crois que vous êtes dans le vrai.
Et il jeta un regard sur Jules qu'il avait oublié. Le mioche, serré dans son maillot, dormait toujours, avec sa petite face immobile, noyée de lumière. C'était ça l'embêtant, ce gamin! Autrement, pourquoi n'aurait-il pas épousé Lise, puisqu'elle se trouvait libre? Cette idée lui venait là, tout d'un coup, à la regarder au travail. Peut-être bien qu'il l'aimait, que le plaisir de la voir l'attirait seul dans la maison. Il en restait surpris pourtant, ne l'ayant pas désirée, n'ayant même jamais joué avec elle, comme il jouait avec Françoise, par exemple. Et, justement, en levant la tête, il aperçut celle-ci, demeurée toute droite et furieuse au soleil, les yeux si luisants de passion, si drôles, qu'il en fut égayé, dans le trouble de sa découverte.
Mais un bruit de trompette, un étrange turlututu d'appel se fit entendre; et Lise, quittant ses pois, s'écria:
– Tiens! Lambourdieu!.. J'ai une capeline à lui commander.
De l'autre côté de la haie, sur le chemin, apparut un petit homme court, trompettant et précédant une grande voiture longue, que traînait un cheval gris. C'était Lambourdieu, un gros boutiquier de Cloyes, qui avait peu à peu joint à son commerce de nouveautés la bonneterie, la mercerie, la cordonnerie, même la quincaillerie, tout un bazar qu'il promenait de village en village, dans un rayon de cinq ou six lieues. Les paysans finissaient par lui tout acheter, depuis leurs casseroles jusqu'à leurs habits de noce. Sa voiture s'ouvrait et se rabattait, développant des files de tiroirs, un étalage de vrai magasin.
Lorsque Lambourdieu eut reçu la commande de la capeline, il ajouta:
– Et, en attendant, vous ne voulez pas de beaux foulards?
Il tirait d'un carton, il faisait claquer au soleil des foulards rouges à palmes d'or, éclatants.
– Hein? trois francs, c'est pour rien!.. Cent sous les deux!
Lise et Françoise, qui les avaient pris par-dessus la haie d'aubépine, où séchaient des couches de Jules, les maniaient, les convoitaient. Mais elles étaient raisonnables, elles n'en avaient pas besoin: à quoi bon dépenser? Et elles les rendaient, lorsque Jean se décida tout d'un coup à vouloir épouser Lise, malgré le petit. Alors, pour brusquer les choses, il lui cria:
– Non, non, gardez-le, je vous l'offre!.. Ah! vous me feriez de la peine, c'est de bonne amitié, bien sûr!
Il n'avait rien dit à Françoise, et comme celle-ci tendait toujours au marchand son foulard, il la remarqua, il eut au coeur un élancement de chagrin, en croyant la voir pâlir, la bouche souffrante.
– Mais toi aussi, bête! garde-le… Je le veux, tu ne vas pas faire ta mauvaise tête!
Les deux soeurs, combattues, se défendaient et riaient. Déjà, Lambourdieu avait allongé la main par-dessus la haie pour empocher les cent sous. Et il repartit, le cheval derrière lui démarra la longue voiture, la fanfare rauque de la trompette se perdit au détour du chemin.
Tout de suite, Jean avait eu l'idée de pousser ses affaires auprès de Lise, en se déclarant. Une aventure l'en empêcha. L'écurie était sans doute mal fermée, soudain l'on aperçut l'âne, Gédéon, au milieu du potager, tondant gaillardement un plant de carottes. Du reste, cet âne, un gros âne, vigoureux, de couleur rousse, la grande croix grise sur l'échine, était un animal farceur, plein de malignité: il soulevait très bien les loquets avec sa bouche, il entrait chercher du pain dans la cuisine; et, à la façon dont il remuait ses longues oreilles, quand on lui reprochait ses vices, on sentait qu'il comprenait. Dès qu'il se vit découvert, il prit un air indifférent et bonhomme; ensuite, menacé de la voix, chassé du geste, il fila; mais, au lieu de retourner dans la cour, il trotta par les allées, jusqu'au fond du jardin. Alors, ce fut une vraie poursuite, et, lorsque Françoise l'eut enfin saisi, il se ramassa, rentra le cou et les jambes dans son corps, pour peser plus lourd et avancer moins vite. Rien n'y faisait, ni les coups de pied, ni les douceurs. Il fallut que Jean s'en mêlât, le bousculât par derrière de ses bras d'homme; car, depuis qu'il était commandé par deux femmes, Gédéon avait conçu d'elles le plus complet mépris. Jules s'était réveillé au bruit et hurlait. L'occasion était perdue, le jeune homme dut partir ce jour-là, sans avoir parlé.
Huit jours se passèrent, une grande timidité avait envahi Jean, qui, à cette heure, n'osait plus. Ce n'était pas que l'affaire lui semblât mauvaise: à la réflexion, il en avait, au contraire, mieux senti les avantages. D'un