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La Terre. Emile Zola
Читать онлайн.Название La Terre
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Ah! bougresse, si je te pince!
Vivement, il s'habilla et descendit.
Jacqueline avait filé à travers la maison muette, éclairée à peine par la pointe de l'aube. Comme elle traversait la cour, elle eut un mouvement de recul, en apercevant le berger, le vieux Soulas, déjà debout. Mais son envie la tenait si fort, qu'elle passa outre. Tant pis! Elle évita l'écurie de quinze chevaux, où couchaient quatre des charretiers de la ferme, alla au fond, dans la soupente qui servait de lit à Jean: de la paille, une couverture, pas même de draps. Et, l'embrassant tout endormi, lui fermant la bouche d'un baiser, frissonnante, essoufflée, à voix très basse:
– C'est moi, grosse bête. Aie pas peur… Vite, vite, dépêchons!
Mais il s'effraya, il ne voulut jamais, à cette place, dans son lit, crainte d'une surprise. L'échelle du fenil était près de là, ils grimpèrent, laissèrent la trappe ouverte, se culbutèrent au milieu du foin.
– Oh! grosse bête, grosse bête! répétait Jacqueline pâmée, avec son roucoulement de gorge, qui semblait lui monter des flancs.
Il y avait près de deux ans que Jean Macquart se trouvait à la ferme. En sortant du service, il était tombé à Bazoches-le-Doyen, avec un camarade, menuisier comme lui, et il avait repris du travail chez le père de ce dernier, petit entrepreneur de village, qui occupait deux ou trois ouvriers; mais il ne se sentait plus le coeur à la besogne, les sept années de service l'avaient rouillé, dévoyé, dégoûté de la scie et du rabot, à ce point qu'il semblait un autre homme. Jadis, à Plassans, il tapait dur sur le bois, sans facilité pour apprendre, sachant tout juste lire, écrire et compter, très réfléchi pourtant, très laborieux, ayant la volonté de se créer une situation indépendante, en dehors de sa terrible famille. Le vieux Macquart le tenait dans une dépendance de fille, lui soufflait sous le nez ses maîtresses, allait chaque samedi, à la porte de son atelier, lui voler sa paie. Aussi, lorsque les coups et la fatigue eurent tué sa mère, suivit-il l'exemple de sa soeur Gervaise, qui venait de filer à Paris, avec un amant: il se sauva de son côté, pour ne pas nourrir son fainéant de père. Et, maintenant, il ne se reconnaissait plus, non qu'il fût devenu paresseux à son tour, mais le régiment lui avait élargi la tête: la politique, par exemple, qui l'ennuyait autrefois, le préoccupait aujourd'hui, le faisait raisonner sur l'égalité et la fraternité. Puis, c'étaient des habitudes de flâne, les factions rudes et oisives, la vie somnolente des casernes, la bousculade sauvage de la guerre. Alors, les outils tombaient de ses mains, il songeait à sa campagne d'Italie, et un grand besoin de repos l'engourdissait, l'envie de s'allonger et de s'oublier dans l'herbe.
Un matin, son patron vint l'installer à la Borderie, pour des réparations. Il y avait un bon mois de travail, des chambres à parqueter, des portes, des fenêtres à consolider un peu partout. Lui, heureux, traîna la besogne six semaines. Sur ces entrefaites, son patron mourut, et le fils, qui s'était marié, alla s'établir dans le pays de sa femme. Demeuré à la Borderie, où l'on découvrait toujours des bois pourris à remplacer, le menuisier y fit des journées pour son compte; puis, comme la moisson commençait, il donna un coup de main, resta six semaines encore; de sorte que, le voyant si bien mordre à la culture, le fermier finit par le garder tout à fait. En moins d'un an, l'ancien ouvrier devint un bon valet de ferme, charriant, labourant, semant, fauchant, dans cette paix de la terre, où il espérait contenter enfin son besoin de calme. C'était donc fini de scier et de raboter! Et il paraissait né pour les champs, avec sa lenteur sage, son amour du travail réglé, ce tempérament de boeuf de labour qu'il tenait de sa mère. Il fut ravi d'abord, il goûta la campagne que les paysans ne voient pas, il la goûta à travers des restes de lectures sentimentales, des idées de simplicité, de vertu, de bonheur parfait, telles qu'on les trouve dans les petits contes moraux pour les enfants.
A vrai dire, une autre cause le faisait se plaire à la ferme. Au temps où il raccommodait les portes, la Cognette était venue s'étaler dans ses copeaux. Ce fut elle réellement qui le débaucha, séduite par les membres forts de ce gros garçon, dont la face régulière et massive annonçait un mâle solide. Lui, céda, puis recommença, craignant de passer pour un imbécile, d'ailleurs tourmenté à son tour du besoin de cette vicieuse, qui savait comment on excite les hommes. Au fond, son honnêteté native protestait. C'était mal, d'aller avec la bonne amie de M. Hourdequin, auquel il gardait de la reconnaissance. Sans doute il se donnait des raisons: elle n'était pas la femme du maître, elle lui servait de traînée; et, puisqu'elle le trompait dans tous les coins, autant valait-il en avoir le plaisir que de le laisser aux autres. Mais ces excuses n'empêchaient pas son malaise de croître, à mesure qu'il voyait le fermier s'éprendre davantage. Certainement, ça finirait par du vilain.
Dans le foin, Jean et Jacqueline étouffaient leur souffle, lorsque lui, l'oreille restée au guet, entendit craquer le bois de l'échelle. D'un bond, il fut debout; et, au risque de se tuer, il se laissa tomber par le trou qui servait à jeter le fourrage. La tête de Hourdequin, justement apparaissait de l'autre côté, au ras de la trappe. Il vit du même regard l'ombre de l'homme, qui fuyait, et le ventre de la femme, encore vautrée, les jambes ouvertes. Une telle fureur le poussa, qu'il n'eut pas l'idée de descendre pour reconnaître le galant, et que, d'une gifle à tuer un boeuf, il rejeta par terre Jacqueline, qui se relevait sur les genoux.
– Ah! putain!
Elle hurla, elle nia l'évidence dans un cri de rage.
– Ce n'est pas vrai!
Il se retenait de défoncer à coups de talon ce ventre qu'il avait vu, cette nudité étalée de bête en folie.
– Je l'ai vu!.. Dis que c'est vrai, ou je te crève!
– Non, non, non, pas vrai!
Puis, quand elle se fut enfin remise sur les pieds, la jupe rabattue, elle devint insolente, provocante, décidée à jouer sa toute-puissance.
– Et, d'ailleurs, qu'est-ce que ça te fiche? Est-ce que je suis ta femme?.. Puisque tu ne veux pas que je couche dans ton lit, je suis bien libre de coucher où ça me plaît.
Elle eut son roucoulement de colombe, comme une moquerie lascive.
– Allons, ôte-toi de là, que je descende… Je m'en irai ce soir.
– Tout de suite!
– Non, ce soir… Attends donc de réfléchir.
Il resta frémissant, hors de lui, ne sachant sur qui faire tomber sa colère. S'il n'avait déjà plus le courage de la jeter immédiatement à la rue, avec quelle joie il aurait flanqué le galant dehors! Mais où le prendre maintenant? Il était monté droit au fenil, guidé par les portes ouvertes, sans regarder dans les lits; et lorsqu'il fut redescendu, les quatre charretier de l'écurie s'habillaient, ainsi que Jean, au fond de sa soupente. Lequel des cinq? aussi bien celui-ci que celui-là, et les cinq à la file peut-être. Il espérait cependant que l'homme se trahirait, il donna ses ordres pour la matinée, n'envoya personne aux champs, ne sortit pas lui-même, serrant les poings, tournant dans la ferme, avec des regards obliques et l'envie d'assommer quelqu'un.
Après le déjeuner de sept heures, cette revue irritée du maître fit trembler la maison. Il y avait, à la Borderie, les cinq charretiers pour cinq charrues, trois batteurs, deux vachers ou hommes de cour, un berger et un petit porcher, en tout douze serviteurs, sans compter la servante. D'abord, dans la cuisine, il apostropha cette dernière, parce qu'elle n'avait pas remis au plafond les pelles du four. Ensuite, il rôda dans les deux granges, celle pour l'avoine, celle pour le blé, immense celle-ci, haute comme une église, avec des portes de cinq mètres, et il y chercha querelle aux batteurs, dont les fléaux, disait-il, hachaient trop la paille. De là, il traversa la vacherie, enrageant de trouver les trente vaches en bon état, l'allée centrale lavée, les auges propres. Il ne savait à quel propos tomber sur les vachers, lorsque, dehors, en donnant un coup d'oeil aux citernes, dont ils avaient aussi l'entretien, il s'aperçut qu'un tuyau de descente était bouché par des nids de pierrots. Ainsi que dans toutes les fermes de la Beauce, on recueillait précieusement les eaux de pluie des toitures, à l'aide d'un système compliqué de gouttières. Et il demanda brutalement si l'on allait