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en conviction, lorsque, après quelques cris étouffés, quelques trépignements sur le pont, il y eut un moment de silence à bord de la Cauchoise, et puis qu'un immense et retentissant hourra ébranla la goëlette jusque dans sa membrure.

      Tout-à-fait fixé sur la moralité du gros homme, Narcisse le considéra dès-lors comme un chef de pirates, et l'Albinos, le grand Napoléon, sa sainteté le Pape, Jésus-Christ et les acteurs de la Passion comme des scélérats de sa troupe qui pouvaient avoir jeté à l'eau le capitaine Hochard et ses matelots, les estimables Bas-Normands, qui avaient de si bonnes mœurs.

      Il y avait du vrai dans ses conjectures; et, par une singulière fatalité, par un étonnant caprice de notre organisation, cet événement qui devait le mettre en liesse et joie, puisqu'il lui promettait une vie rude et forte, des mœurs tranchées, heurtées; cet événement, dis-je, le trouva froid et prosaïque: on eût dit que son âme de poète avait été frappée du même coup de poignard, qui frappa au cœur l'honorable capitaine.

      Et Narcisse Gelin commença de trouver le pauvre M. Hochard un être assez poétique, il le regretta même: il le poétisa aux dépens du gros élève de Curtius; il poétisa tout, jusqu'aux matelots Bas-Normands, qu'il avait maudits: eux si roses, eux si frais, eux si bonnes gens: il vit une belle opposition entre ces hommes si simples et les périls continuels qui les assiégeaient. Cette bonhomie au milieu de la tempête lui parut sublime; cette goëlette transportant tout à l'heure d'un monde à l'autre cette petite colonie simple, bonne, naïve comme un tableau de Téniers, lui parut avoir aussi sa poésie à elle, une poésie qu'il préférait de beaucoup à celle de la Cauchoise, maintenant montée par une demi douzaine de scélérats, allant porter partout le meurtre et le pillage.

      Et il se fit aussi une singulière révolution dans ses sympathies littéraires. Il se prit à adorer Gessner et ses Idylles, ses jolis moutons si blancs, son gazon si frais, ses arbres si verts, ses fleurs si parfumées: oh! qu'il regrettait ses bergers, et leurs flûtes, et leurs danses, et leurs chants, et la violette, et le corset des jeunes filles, et la cloche du soir, et le bêlement des troupeaux et la nuit paisible et pure du joli village qui se mire aux eaux limpides du lac!..

      – Oh! disait Narcisse en se roulant dans sa couverture avec un frisson prodigieux… Oh! voilà une poésie vraie, douce et consolante! Oh! que je donnerais maintenant les vagues les plus monstrueuses pour un petit ruisseau qui glisse sur le sable, – les figures les plus tannées, les plus cicatrisées, pour une douce et gracieuse figure d'enfant ou de jeune fille… – Un ciel noir, orageux, fût-il sillonné de mille éclairs, et déchiré par les éclats de la foudre, pour le ciel pur et riant du mois de mai, au lever d'un beau soleil.

      De pensées en pensées, de peurs en peurs, de regrets en regrets, Narcisse gagna le point du jour. Il commençait à voir la position en face. – Que vont-ils faire de moi? se disait-il…

      Il allait peut-être se répondre à lui-même, lorsqu'un coup de canon retentit longuement sur l'immensité de la mer…

      – Qu'est-ce que cela? pensa Narcisse, je n'ai pas vu de canon à bord…

      Un bruit sec accompagné d'un sifflement assez aigu, l'étonna bien davantage; surtout quand il vit un boulet d'une jolie taille entrer par le flanc du bâtiment, ricocher sur le plancher, du plancher au plafond, et du plafond, aller se loger à moitié dans le bord opposé…

      – Je suis perdu, dit le poète, les dents serrées, s'évanouissant de terreur.

      CHAPITRE III.

      Ce qui advint à Narcisse Gelin, et comment il eut de terribles sujets de stupéfaction

      Quand Narcisse Gelin revint à lui, il était au grand air sur le pont de la goëlette, les fers aux pieds et aux mains; placé entre deux marins vêtus d'un pantalon blanc, d'une veste bleue, et d'un petit chapeau couvert d'une coiffe blanche, fort propre; chacun était armé d'un sabre.

      Il tourna la tête, le malheureux, et il vit l'homme aux figures de cire; accommodé comme lui, et ses six compagnons verrouillés et cadenassés de la même façon, soumis à la même surveillance.

      Puis à une encablure de la goélette, un beau brick de guerre, étroit, hardi, allongé, – pour le moment en panne, et portant à sa corne un large pavillon bleu, à croix rouge et blanche dans un de ses angles. – C'était le pavillon anglais.

      – Pourriez-vous me dire, Monsieur, dit Narcisse en s'adressant au gros homme; ce que tout cela signifie?

      – Tiens, cet autre!.. Je n'y pensais plus… cela signifie, mon garçon; que dans un quart d'heure… Mais, dis-moi, tu vois bien les vergues de ce brick…

      Qu'entendez-vous par les vergues? fit gravement Narcisse…

      – Ah! l'animal!.. – Ce bâton qui croise le mât en travers… Comprends-tu?

      – Je comprends.

      – C'est heureux. – Vois-tu au bout de cela un homme accroupi, à cheval sur ce bâton?

      – Je vois l'homme accroupi.

      – Sais-tu ce qu'il fait!

      – Je ne sais ce qu'il fait.

      – Il arrange une corde.

      – Pour?..

      – Pour… nous pendre.

      – C'est-à-dire… pour vous pendre… vous! mais pas moi.

      – Ah! c'te farce… toi comme nous, donc; tiens, est-il bégueule celui-là!

      – Je ne suis pas bégueule, mais vous comprenez bien, mon cher ami, que cela ne peut pas être, vous êtes des pirates, à la bonne heure, mais je ne suis pas pirate, moi; je m'appelle Narcisse Gelin; poète connu et domicilié à Paris; passager à bord, et pas du tout de votre bande…

      – Alors, dis-leur… c'est trop juste…

      – C'est ce que je compte faire… heureusement voici venir un officier.

      Prenant alors l'air aussi digne que possible, tempéré pourtant par une nuance de soumission, Narcisse Gelin commença en ces termes:

      – Je dois éclairer votre conscience. Monsieur l'officier: – Parti comme passager à bord de la Cauchoise, c'est un heureux hasard que je n'aie pas partagé le sort de l'infortuné capitaine et de ses malheureux ma…

      L'officier l'interrompit alors en anglais; d'un air irrité et donna dans cette langue un ordre aux matelots qui serrèrent les pouces de Narcisse, de façon à les briser…

      – Eh bien! reprit le gros homme, sais-tu ce qu'il vient de dire.

      – Mon Dieu, non reprit Narcisse, tout tremblant, en regardant ses pouces. – Il vient de dire:

      – Bâillonez ce chien, et voilà…

      – Mais il n'entend donc pas le français?

      – Pas un mot, ni lui ni les autres.

      – Mais, Dieu du ciel, vous savez l'anglais, vous…

      – Comme ma langue propre… mon fils.

      – Mais alors, dites lui… tout… bien vite.

      – Du tout… tu m'as appelé intrigant dans la chaloupe. – Tu seras pendu, ça t'apprendra…

      Narcisse allait répliquer mais le bâillon l'en empêcha.

      Il fit quelques gestes assez démonstratifs, mais cette pantomime toucha peu les Anglais.

      – Pour te consoler, lui dit le gros homme, je vais t'expliquer tout cela, il est bien juste que tu saches pourquoi l'on te pend.

      Je m'appelle Benard; depuis vingt ans je fais la course, il va environ six mois je montai un lougre, et quel lougre, mon fils! – Je rencontre un brick anglais marchand, qui revenait de Lima, chargé de gourdes, je l'attaque et le prends. – Comme il était un mauvais marcheur, je le coule et son équipage, je garde les gourdes et je file… Ce gredin de brick que tu vois là… me pince au

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