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de celles-ci. Il a vu des femmes, sans doute, mais leurs rangs si supérieurs au sien l'ont forcé à n'être que tendre et «troubadour» auprès d'elles. Ce furent les idylles de Valence. De celles qui se donnent, il connaît seulement les filles vénales comme celle interrogée un soir de fièvre sous les galeries du Palais-Royal.

       La lecture de Rousseau l'exalta. Il a rêvé une M me de Warens. Il croit la découvrir dans cette créole s'offrant à lui, prestigieuse, entourée du souvenirs de son Orient natal. Il l'aime d'autant plus qu'il n'osait espérer lui plaire.

       De son côté, Joséphine trouva de l'agrément à séduire ce jeune homme qu'elle savait chaste. Pour cette voluptueuse c'était une conquête bien tentante. Ce que furent leur fièvre, nous le devinons. Dans leur hâte de possession, ils ne surent attendre leur mariage.

       Tout ce qu'une femme dont l'amour est la seule pensée peut mettre de science, de raffinement, de recherche dans l'étreinte, il est certain que Joséphine le révéla à Bonaparte étonné et ravi. Pour elle il fut un jouet. Elle le trouva même «drôle» et par ce plaisir qu'elle donnait contre toute attente elle le posséda. De lui avoir fait connaître un amour qu'il imaginait seulement dans les romans, Bonaparte lui en fut toute sa vie reconnaissant. Ce conquérant l'aime parce qu'elle l'a vaincu, qu'elle l'a su tenir, lassé, près d'elle et cependant heureux.

       Aussi il aura pour elle des empressements de petit-maître, de délicates attentions, des pardons même. Elle peut tout faire: le tromper, se vendre et s'endetter. Qu'importe! Il sait qu'il trouvera en elle un superbe instrument de plaisir plus vibrant et plus riche que tous les autres.

       Aux heures de réflexion, dans les nuits aux camps, sa pensée s'applique à comprendre Joséphine. Il évoque les amants à qui elle se donne avec la même fougue qu'à lui-même. Si, dans son instinct de mâle, il est jaloux, sa fierté d'homme ne se révolte pas. Il sait qu'il n'a qu'à reparaître pour les lui faire oublier tous. Sa gloire, sa richesse lui ajoutent un prestige dont il connaît la force. «Ce qu'on aime en nous c'est notre bonheur», pense-t-il. Il se dit aussi qu'une femme dont les sens sont si prompts ne pourra jamais commander à l'esprit d'un homme. Pas plus qu'elle ne se souvient de lui absent, il ne redoute de subir son action quand il l'a quittée. Cela le séduit d'avoir une femme ne songeant qu'à le distraire sans penser à le commander. Enfin c'est surtout parce qu'elle fut l'initiatrice qu'il ne l'oublie jamais. Elle peut vieillir et avec l'âge voir s'éteindre la possibilité des étreintes. Qu'importe! Elle l'a fait vibrer avant toutes les autres. S'il n'hésite pas même à lui avouer ses infortunes galantes, c'est qu'il est certain de trouver sur son sein un mol oreiller pour sa peine et dans ses mains, qui eurent tant de luxurieuses caresses, une dernière étreinte pour apaiser son cœur. Il sait qu'elle l'aidera à dénouer d'aventureuses liaisons, trouvant dans cette compromission l'agrément de se voir rechercher encore.

       Vu de la sorte, le caractère de Napoléon apparaît sans étrangeté. Il s'est imposé, où son esprit le conduisait de n'avoir d'autre maître que lui et à laisser la femme en marge de sa pensée.

       Une conception de la vie entièrement consacrée à la réalisation ferme d'un grand projet oblige à ne considérer les autres sentiments que comme des plaisirs et à faire que ceux qui les éveillent en nous ne puissent devenir rien autre que des amuseurs.

       L'esprit pourra s'ingénier à concevoir une vie calme où les droits de la famille et ceux du devoir seront Justement équilibrés, il semble qu'une loi conduise les êtres supérieurs à ne pas s'y arrêter. Ce calme, ce repos familial, dans les minutes de découragement ils regretteront parfois de ne l'avoir pas, mais ne s'attarderont pas à cette mélancolie. Immenses dans leurs besoins, ceux dont Napoléon a dit qu'ils «étaient des météores, destinés à brûler pour éclairer la terre» seront toujours conduits à s'éprendre de et qui sera énervant comme le sont la lutte et les courtisanes, si l'on veut entendre par courtisanes non les filles simplement vénales, mais celles qui trouvent à se donner une satisfaction aussi vive que le guerrier à vaincre. Pour les courtisanes et pour le conquérant, l'or et le butin de l'amant et du vaincu sont les conséquences naturelles, mais négligeables d'une action puissante. Offrandes et rançons seront vite dissipées, et de tant de fortunes et de conquêtes il ne ratera pour l'éternité que l'immense souvenir de leur agitation.

       Napoléon cherchant la femme qui l'aimera pour lui-même et n'aimera que lui, l'artiste demandant celle qui le comprendra et lui construira un foyer, obéissent à une loi de contraste de notre esprit. En donnant Joséphine à Napoléon et d'ardentes maîtresses aux chastes artistes, les lois surnaturelles semblent avoir voulu surchauffer les sens de ces héros pour mieux libérer leurs esprits en leur présentant de la femme une idée physique et irrespectueuse à laquelle ils ne sauraient s'attacher sans déchoir.

Abel GRI.

       LETTRES DU GÉNÉRAL EN CHEF

      DE L'ARMÉE D'ITALIE

      LETTRE I

À Joséphine, à MilanMarmirolo, le 29 messidor, 6 heures du soir (17 Juillet 1796).

      Je reçois ta lettre, mon adorable amie; elle a rempli mon cœur de joie. Je te suis obligé de la peine que tu as prise de me donner de tes nouvelles; ta santé doit être meilleure aujourd'hui; je suis sûr que tu es guérie. Je t'engage fort à monter à cheval, cela ne peut pas manquer de te faire du bien.

      Depuis que je t'ai quittée, j'ai toujours été triste. Mon bonheur est d'être près de toi. Sans cesse je repasse dans ma mémoire tes baisers, tes larmes, ton aimable jalousie, et les charmes de l'incomparable Joséphine allument sans cesse une flamme vive et brûlante dans mon cœur et dans mes sens. Quand, libre de toute inquiétude, de toute affaire, pourrai-je passer tous mes instants près de toi, n'avoir qu'à t'aimer, et ne penser qu'au bonheur de te le dire et de te le prouver? Je t'enverrai ton cheval; mais j'espère que tu pourras me rejoindre. Je croyais t'aimer il y a quelques jours; mais, depuis que je t'ai vue, je sens que je t'aime mille fois plus encore. Depuis que je te connais, je t'adore tous les jours davantage: cela prouve combien la maxime de La Bruyère, que l'amour vient tout d'un coup, est fausse. Tout, dans la nature, a un cours et différents degrés d'accroissement. Ah! je t'en prie, laisse-moi voir quelques-uns de tes défauts; sois moins belle, moins gracieuse, moins tendre, moins bonne surtout; surtout ne sois jamais jalouse, ne pleure jamais; tes larmes m'ôtent la raison, brûlent mon sang. Crois bien qu'il n'est plus en mon pouvoir d'avoir une pensée qui ne soit pas a toi, et une idée qui ne te soit pas soumise.

      Repose-toi bien. Rétablis vite ta santé. Viens me rejoindre; et, au moins, qu'avant de mourir, nous puissions dire: «Nous fûmes tant de jours heureux!!»

      Millions de baisers et même à Fortuné3, en dépit de sa méchanceté.

Bonaparte.

      LETTRE II

À Joséphine, à MilanMarmirolo, le 19 messidor, 9 heures après-midi (18 juillet 1796).

      J'ai passé toute la nuit sous les armes. J'aurais eu Mantoue par un coup hardi et heureux; mais les eaux du lac ont promptement baissé, de sorte que ma colonne qui était embarquée n'a pu arriver. Ce soir, je recommence d'une autre manière, mais cela ne donnera pas des résultats aussi satisfaisants.

      Je reçois une lettre d'Eugène, que je t'envoie. Je te prie d'écrire de ma part à ces aimables enfants et de leur envoyer quelques bijoux. Assure-les bien que je les aime comme mes enfants. Ce qui est à toi ou à moi se confond tellement dans mon cœur, qu'il n'y a aucune différence.

      Je suis fort inquiet de savoir comment tu te portes, ce que tu fais. J'ai été dans le village de Virgile, sur les bords du lac, au clair argentin de la lune, et pas un instant sans songer à Joséphine!

      L'ennemi a fait le 28 une sortie générale; il nous a tué ou blessé deux cents hommes, il en a perdu cinq cents en rentrant avec précipitation.

      Je

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<p>3</p>

Petit chien de Joséphine.