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la production d’un gaz fétide, et nous faire tousser en nous prenant à la gorge.

      Je profitai de la circonstance qui nous obligeait à respirer le grand air, pour l’interroger sur quelques points sur lesquels je désirais être renseigné.

      – Depuis combien de temps disiez-vous que miss Warrender se trouve chez votre oncle? demandai-je.

      John me jeta un regard narquois et agita son doigt taché d’acide.

      – Il me semble que vous vous intéressez bien singulièrement à la fille du défunt et regretté Achmet Genghis, dit-il.

      – Comment s’en empêcher? répondis-je franchement. Je lui trouve un des types les plus romanesques que j’aie jamais rencontrés.

      – Méfiez-vous de ces études-là, mon garçon, dit John d’un ton paternel. C’est une occupation qui ne vaut rien à la veille d’un examen.

      – Ne faites pas le nigaud, répliquai-je. Le premier venu pourrait croire que je suis amoureux de miss Warrender, à vous entendre parler ainsi. Je la regarde comme un problème intéressant de psychologie, voilà tout.

      – C’est bien cela, un problème intéressant de psychologie, voilà tout.

      Il me semblait que John devait avoir encore autour de lui quelques vapeurs de ce gaz, car ses façons étaient réellement irritantes.

      – Pour en revenir à ma première question, dis-je, depuis combien de temps est-elle ici?

      – Environ dix semaines.

      – Et Copperthorne?

      – Plus de deux ans.

      – Avez-vous quelque idée qu’ils se soient déjà connus?

      – C’est impossible, déclara nettement John. Elle venait d’Allemagne. J’ai vu la lettre où le vieux négociant donnait des indications sur sa vie passée. Copperthorne est toujours resté dans le Yorkshire, en dehors de ses deux ans de Cambridge. Il a dû quitter l’Université dans des conditions peu favorables.

      – En quel sens?

      – Sais pas, répondit John. On a tenu la chose sous clef. Je m’imagine que l’oncle Jérémie le sait. Il a la marotte de ramasser des déclassés et de leur refaire ce qu’il appelle une nouvelle vie. Un de ces jours, il lui arrivera quelque mésaventure avec un type de cette sorte.

      – Aussi donc Copperthorne et miss Warrender étaient absolument étrangers l’un à l’autre il y a quelques semaines?

      – Absolument. Maintenant je crois que je ferai bien de rentrer et d’analyser le précipité.

      – Laissez là votre précipité, m’écriai-je en le retenant. Il y a d’autres choses dont j’ai à vous parler. S’ils ne se connaissent que depuis quelques semaines, comment a-t-il fait pour acquérir le pouvoir qu’il exerce sur elle?

      John me regarda d’un air ébahi.

      – Son pouvoir? dit-il.

      – Oui, l’influence qu’il possède sur elle.

      – Mon cher Hugh, me dit bravement mon ami, je n’ai point pour habitude de citer ainsi l’Écriture, mais il y a un texte qui me revient impérieusement à l’esprit, et le voici: «Trop de science les a rendus fous.» Vous aurez fait des excès d’études.

      – Entendez-vous dire par là, m’écriai-je, que vous n’avez jamais remarqué l’entente secrète qui paraît exister entre la gouvernante et le secrétaire de votre oncle?

      – Essayez du bromure de potassium, dit John. C’est un calmant très efficace à la dose de vingt grains.

      – Essayez une paire de lunettes, répliquai-je. Il est certain que vous en avez grand besoin.

      Et après avoir lancé cette flèche de Parthe je pivotai sur mes talons et m’éloignai de fort méchante humeur.

      Je n’avais pas fait vingt pas sur le gravier du jardin, que je vis le couple dont nous venions de parler.

      Ils étaient à quelque distance, elle adossée au cadran solaire, lui debout devant elle.

      Il lui parlait vivement, et parfois avec des gestes brusques.

      La dominant de sa taille haute et dégingandée, avec les mouvements qu’il imprimait à ses longs bras, il avait l’air d’une énorme chauve-souris planant au-dessus de sa victime.

      Je me rappelle que cette comparaison fut celle-là même qui se présenta à ma pensée et qu’elle prit une netteté d’autant plus grande que je voyais dans les moindres détails de la belle figure se dessiner l’horreur et l’effroi.

      Ce petit tableau servait si bien d’illustration au texte, sur lequel je venais de prêcher, que je fus tenté de retourner au laboratoire et d’amener l’incrédule John pour le lui faire contempler.

      Mais avant que j’eusse le temps de prendre mon parti, Copperthorne m’avait entrevu.

      Il fit demi-tour, et se dirigea d’un pas lent dans le sens opposé qui menait vers les massifs, suivi de près par sa compagne, qui coupait les fleurs avec son ombrelle tout en marchant. Après ce petit épisode, je rentrai dans ma chambre, bien décidé à reprendre mes études, mais, quoi que je fisse, mon esprit vagabondait bien loin de mes livres, et se mettait à spéculer sur ce mystère.

      J’avais appris de John que les antécédents de Copperthorne n’étaient pas des meilleurs, et pourtant il avait évidemment conquis une influence énorme sur l’esprit affaibli de son maître.

      Je m’expliquais ce fait, en remarquant la peine infinie, qu’il prenait pour se dévouer au dada du vieillard, et le tact consommé avec lequel il flattait et encourageait les singulières lubies poétiques de celui-ci.

      Mais comment m’expliquer l’influence non moins évidente dont il jouissait sur la gouvernante?

      Elle n’avait pas de marotte qu’on pût flatter.

      Un amour mutuel eût pu expliquer le lien qui existait entre elle et lui, mais mon instinct d’homme du monde et d’observateur de la nature humaine me disait de la façon la plus claire qu’un amour de cette sorte n’existait pas.

      Si ce n’était point l’amour, il fallait que ce fût la crainte, et tout ce que j’avais vu confirmait cette supposition. Qu’était-il donc arrivé pendant ces deux mois qui pût inspirer à la hautaine princesse aux yeux noirs quelque crainte au sujet de l’Anglais à figure pâle, à la voix douce et aux manières polies?

      Tel était le problème que j’entrepris de résoudre en y mettant une énergie, une application qui tuèrent mon ardeur pour l’étude et me rendirent inaccessible à la crainte que devait m’inspirer mon examen prochain.

      Je me hasardai à aborder le sujet dans l’après-midi de ce même jour avec miss Warrender, que je trouvai seule dans la bibliothèque, les deux bambins étant allés passer la journée dans la chambre d’enfants chez un squire1 du voisinage.

      – Vous devez vous trouver bien seule quand il n’y a pas de visiteurs, dis-je. Il me semble que cette partie du pays n’offre pas beaucoup d’animation.

      – Les enfants sont toujours une société agréable, répondit-elle. Néanmoins je regretterai beaucoup M. Thurston et vous-même, quand vous serez parti.

      – Je serai fâché que ce jour arrive, dis-je. Je ne m’attendais pas à trouver ce séjour aussi agréable. Pourtant vous ne serez pas dépourvue de société après notre départ, vous aurez toujours M. Copperthorne.

      – Oui, nous aurons toujours M. Copperthorne, dit-elle d’un air fort ennuyé.

      – C’est un compagnon agréable, remarquai-je, tranquille, instruit, aimable. Je ne m’étonne pas que le vieux master Thurston se soit attaché à lui.

      Tout en parlant, j’examinais attentivement mon interlocutrice.

      Une

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<p>1</p>

Propriétaire terrien.