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jouissait de son ouvrage.

      Les succès du comte ne la rehaussaient-ils pas dans sa propre estime en lui prouvant sa valeur!.. Ses sensations durent être celles d'un auteur dramatique lorsqu'il voit applaudir les types qu'il a créés.

      Et ce qu'il y eut de merveilleux dans l'œuvre de Mme de la Ville-Handry, c'est que personne ne la soupçonna.

      Non, personne, pas même sa fille. Pour Henriette plus encore que pour le monde, elle voulut que l'illusion fût entière, et elle lui apprit non-seulement à aimer son père, mais encore à respecter, à admirer en lui l'homme supérieur.

      Comme de raison, M. de la Ville-Handry eût été le dernier à reconnaître la vérité. On la lui eût révélée qu'il eût peut-être haussé les épaules.

      La ligne de conduite que lui avait tracée sa femme, c'est de bonne foi qu'il croyait l'avoir trouvée. Les discours qu'elle lui composait, il se persuadait, dans la sincérité de son âme, qu'il les avait pensés et coordonnés, les articles de journaux et les lettres qu'elle lui dictait, il était bien convaincu qu'il les avait médités et écrits…

      Et même, quelquefois il s'étonnait du peu de jugement de la comtesse, lui faisant remarquer d'un air d'ironique pitié que les actes dont elle le détournait le plus fortement étaient précisément ceux qui lui réussissaient le mieux.

      Mais il n'était pas de railleries capables de détourner Mme de la Ville-Handry de ce qu'elle croyait son devoir ni de lui arracher un mot ou seulement un sourire qui l'eussent vengée.

      Impassible sous les sarcasmes de son mari, elle baissait la tête.

      Et plus il triomphait en son inepte suffisance, plus elle s'applaudissait de son œuvre, trouvant au-dedans d'elle-même et dans l'approbation de sa conscience de sublimes compensations.

      Le comte avait eu ce rare désintéressement de la prendre sans dot; elle lui avait dû un grand nom et une fortune considérable; mais, en échange et sans qu'il s'en doutât, elle lui avait assuré une situation qui n'était pas sans éclat; elle lui avait donné le seul bonheur que pût goûter cette âme petite et vulgaire, insensible à tout ce qui n'était pas satisfaction de la vanité.

      Dès lors, elle ne lui devait plus rien.

      – Oui, nous sommes quittes, se disait-elle, bien quittes!..

      Et elle se reprochait moins les heures où sa pensée échappant à sa volonté se reportait vers l'homme choisi par elle autrefois, vers Pierre.

      Pauvre garçon!.. elle lui avait porté malheur!..

      Sa vie avait été brisée le jour où il s'était vu abandonné de celle qu'il aimait plus que la vie. De ce moment, il n'avait plus eu de volonté. Et ses parents ayant enfin «déniché» – c'était leur mot – une bru à leur convenance, il l'épousa.

      Mais le père et la mère Champcey n'avaient pas eu la main heureuse.

      La jeune fille, triée par eux entre cinquante, apportait cent mille écus de dot, c'est vrai, mais ce fut une mauvaise femme.

      Et, après huit années d'un ménage qui, dès le premier jour, avait été un enfer, abreuvé de dégoûts, atteint en son honneur par l'indigne conduite de celle qui portait son nom, n'ayant pas d'enfants, Pierre Champcey s'était brûlé la cervelle.

      Mais ce n'est pas à Angers, où il occupait un poste important, qu'il accomplit cet acte de désespoir.

      Il vint se tuer aux environs des Rosiers, dans un petit chemin creux conduisant à la maison jadis occupée par Mme de Rupert.

      Des paysans qui se rendaient au marché de Saumur trouvèrent son cadavre, au matin, étendu sur le revers d'un fossé. La balle l'avait si affreusement mutilé qu'on ne le reconnut pas tout d'abord, et ce suicide fit un bruit énorme…

      Ce fut M. de la Ville-Handry qui apprit à sa femme cette lugubre histoire.

      Il ne comprenait pas, il l'avouait, qu'un garçon bien posé, plein d'avenir, et qui avait vingt-cinq bonnes mille livres de rentes finît ainsi d'un coup de pistolet.

      – Et quel singulier endroit il a été choisir pour ce suicide! ajoutait le comte. Evidemment, il y avait de la folie dans son fait.

      Mais la comtesse n'entendait plus son mari, elle s'était évanouie.

      Pourquoi Pierre avait voulu mourir dans ce petit chemin, tout ombragé de vieux ormes, elle ne le comprenait que trop.

      – C'est moi qui l'ai tué, pensait-elle, moi!

      Si rude fut le coup qu'elle faillit n'y pas survivre. Même, elle eût eu bien du mal à expliquer le changement qui s'opérait en elle, si à la même époque elle n'eût perdu sa mère.

      Mme de Rupert s'éteignit paisiblement, ayant eu ce qu'elle souhaitait, toutes les jouissances du luxe pendant ses dernières années. Pelotonnée en son égoïsme, jamais elle ne daigna s'apercevoir qu'elle avait sacrifié sa fille.

      C'était ainsi, cependant, car jamais femme ne souffrit ce que la comtesse endura à dater de cette heure, où la mort de Pierre vint ajouter à toutes ses douleurs le plus cruel remords.

      Ah! si sa fille ne l'eût attachée à l'existence!.. Mais elle voulait vivre, il fallait qu'elle vécût pour son Henriette…

      Ainsi elle luttait seule, sans une âme à qui se confier, quand une après-midi, comme elle venait de descendre au salon, un domestique vint lui annoncer qu'un jeune homme, portant l'uniforme d'officier de marine, sollicitait l'honneur d'être reçu.

      Ce visiteur avait remis sa carte au domestique; Mme de la Ville-Handry la prit et lut:

Daniel Champcey

      Daniel, le frère de Pierre!.. Plus pâle qu'une morte, la comtesse se dressa comme pour fuir.

      – Que dois-je répondre?.. interrogea le valet un peu surpris de l'émotion de sa maîtresse.

      La malheureuse femme se sentait défaillir.

      – Qu'il entre, répondit-elle d'une voix à peine distincte, qu'il entre!..

      L'instant d'après entrait un jeune homme de vingt-trois à vingt-quatre ans, à la physionomie ouverte et franche, au regard droit et clair, rayonnant d'intelligence et d'énergie.

      Du doigt la comtesse lui montra un fauteuil en face d'elle. Quand il se fût agi de la vie de sa fille, elle n'eût pu prononcer une parole.

      Lui ne put faire autrement que de remarquer ce trouble étrange, mais il n'en devina pas la cause. Pierre n'avait jamais prononcé tout haut le nom de Pauline de Rupert.

      Il s'assit donc, et sans embarras comme sans forfanterie, il expliqua les motifs qui l'amenaient.

      Sorti du Borda avec un des premiers numéros, il était présentement enseigne de vaisseau à bord du Formidable. Victime d'un passe-droit qui risquait de compromettre sa carrière, il avait sollicité et obtenu un congé, et venait demander justice au ministre de la marine. Son droit était évident, mais il savait qu'une solide recommandation n'a jamais gâté une bonne cause… Bref, il espérait que M. de la Ville-Handry, dont on vantait en Anjou l'influence et l'obligeance, consentirait à l'appuyer près du ministre.

      Peu à peu, en l'écoutant, la comtesse avait repris une partie de son sang-froid.

      – Mon mari sera heureux de servir un compatriote, monsieur, répondit-elle, il vous le dira lui-même si vous voulez bien l'attendre et nous rester à dîner…

      Daniel resta.

      A table, il se trouva placé près de Mlle Henriette, alors âgée de quinze ans, et en les contemplant ainsi l'un près de l'autre, si jeunes, si beaux tous les deux, la comtesse fut comme illuminée d'une idée soudaine qui lui parut une inspiration du ciel.

      Pourquoi ne confierait-elle pas la destinée, le bonheur, de sa fille au frère de ce pauvre mort qui l'avait tant aimée?.. Ne serait-ce pas tout à la fois un hommage à sa mémoire et une sorte de réparation?..

      – Oui, il le faut, se répétait-elle, le soir avant de s'endormir, Daniel sera le mari de mon Henriette.

      C'est

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