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Même les mois différents où le jour est à peu près de même durée ont à peu près le même nombre de suicides (juillet et mai, août et avril).

      Une correspondance aussi régulière et aussi précise ne peut être fortuite. Il doit donc y avoir une relation entre la marche du jour et celle du suicide. Outre que cette hypothèse résulte immédiatement du tableau XIII, elle permet d'expliquer un fait que nous avons signalé précédemment. Nous avons vu que, dans les principales sociétés européennes, les suicides se répartissent rigoureusement de la même manière entre les différentes parties de l'année, saisons ou mois[95]. Les théories de Ferri et de Lombroso ne pouvaient rendre aucunement compte de cette curieuse uniformité, car la température est très différente dans les différentes contrées de l'Europe et elle y évolue diversement. Au contraire, la longueur de la journée est sensiblement la même pour tous les pays européens que nous avons comparés.

      Mais ce qui achève de démontrer la réalité de ce rapport, c'est ce fait que, en toute saison, la majeure partie des suicides a lieu de jour. Brierre de Boismont a pu dépouiller les dossiers de 4.595 suicides accomplis à Paris de 1834 à 1843. Sur 3.518 cas dont le moment a pu être déterminé, 2.094 avaient été commis le jour, 766 le soir et 658 la nuit. Les suicides du jour et du soir représentent donc les quatre cinquièmes de la somme totale et les premiers, à eux seuls, en sont déjà les trois cinquièmes.

      La statistique prussienne a recueilli sur ce point des documents plus nombreux. Ils se rapportent à 11.822 cas qui se sont produits pendant les années 1869-72. Ils ne font que confirmer les conclusions de Brierre de Boismont. Comme les rapports sont sensiblement les mêmes chaque année, nous ne donnons pour abréger que ceux de 1871 et 1872:

      Tableau XIV

      La prépondérance des suicides diurnes est évidente. Si donc le jour est plus fécond en suicides que la nuit, il est naturel que ceux-ci deviennent plus nombreux à mesure qu'il devient plus long.

      Mais d'où vient cette influence du jour?

      Certainement, on ne saurait invoquer, pour en rendre compte, l'action du soleil et de la température. En effet, les suicides commis au milieu de la journée, c'est-à-dire au moment de la plus grande chaleur, sont beaucoup moins nombreux que ceux du soir ou de la seconde matinée. On verra même plus bas qu'en plein midi il se produit un abaissement sensible. Cette explication écartée, il n'en reste plus qu'une de possible, c'est que le jour favorise le suicide parce que c'est le moment où les affaires sont le plus actives, où les relations humaines se croisent et s'entrecroisent, où la vie sociale est le plus intense.

      Les quelques renseignements que nous avons sur la manière dont le suicide se répartit entre les différentes heures de la journée ou entre les différents jours de la semaine confirment cette interprétation. Voici d'après 1.993 cas observés par Brierre de Boismont à Paris et 548 cas, relatifs à l'ensemble de la France et réunis par Guerry, quelles seraient les principales oscillations du suicide dans les 24 heures:

      On voit qu'il y a deux moments où le suicide bat son plein; ce sont ceux où le mouvement des affaires est le plus rapide, le matin et l'après-midi. Entre ces deux périodes, il en est une de repos où l'activité générale est momentanément suspendue; le suicide s'arrête un instant. C'est vers onze heures à Paris et vers midi en province que se produit cette accalmie. Elle est plus prononcée et plus prolongée dans les départements que dans la capitale, par cela seul que c'est l'heure où les provinciaux prennent leur principal repas; aussi le stationnement du suicide y est-il plus marqué et de plus de durée. Les données de la statistique prussienne, que nous avons rapportées un peu plus haut, pourraient fournir l'occasion de remarques analogues[97].

      D'autre part, Guerry, ayant déterminé pour 6.587 cas le jour de la semaine où ils avaient été commis, a obtenu l'échelle que nous reproduisons au Tableau XV (V. ci-dessous). Il en ressort que le suicide diminue à la fin de la semaine à partir du vendredi. Or, on sait que les préjugés relatifs au vendredi ont pour effet de ralentir la vie publique. La circulation sur les chemins

      TABLEAU XV

      de fer est, ce jour, beaucoup moins active que les autres. On hésite à nouer des relations et à entreprendre des affaires en cette journée de mauvais augure. Le samedi, dès l'après-midi, un commencement de détente commence à se produire; dans certains pays, le chômage est assez étendu; peut-être aussi la perspective du lendemain exerce-t-elle par avance une influence calmante sur les esprits. Enfin, le dimanche, l'activité économique cesse complètement. Si des manifestations d'un autre genre ne remplaçaient alors celles qui disparaissent, si les lieux de plaisir ne se remplissaient au moment où les ateliers, les bureaux et les magasins se vident, on peut penser que l'abaissement du suicide, le dimanche, serait encore plus accentué. On remarquera que ce même jour est celui où la part relative de la femme est le plus élevée; or c'est aussi en ce jour qu'elle sort le plus de cet intérieur où elle est comme retirée le reste de la semaine et qu'elle vient se mêler un peu à la vie commune[98].

      Tout concourt donc à prouver que si le jour est le moment de la journée qui favorise le plus le suicide, c'est que c'est aussi celui où la vie sociale est dans toute son effervescence. Mais alors nous tenons une raison qui nous explique comment le nombre des suicides s'élève à mesure que le soleil reste plus longtemps au-dessus de l'horizon. C'est que le seul allongement des jours ouvre, en quelque sorte, une carrière plus vaste à la vie collective. Le temps du repos commence pour elle plus tard et finit plus tôt. Elle a plus d'espace pour se développer. Il est donc nécessaire que les effets qu'elle implique se développent au même moment et, puisque le suicide est l'un d'eux, qu'il s'accroisse.

      Mais cette première cause n'est pas la seule. Si l'activité publique est plus intense en été qu'au printemps et au printemps qu'en automne et qu'en hiver, ce n'est pas seulement parce que le cadre extérieur, dans lequel elle se déroule, s'élargit à mesure qu'on avance dans l'année; c'est qu'elle est directement excitée pour d'autres raisons.

      L'hiver est pour la campagne une époque de repos qui va jusqu'à la stagnation. Toute la vie est comme arrêtée; les relations sont rares et à cause de l'état de l'atmosphère et parce que le ralentissement des affaires leur enlève leur raison d'être. Les habitants sont plongés dans un véritable sommeil. Mais, dès le printemps, tout commence à se réveiller: les occupations reprennent, les rapports se nouent, les échanges se multiplient, il se produit de véritables mouvements de population pour satisfaire aux besoins du travail agricole. Or, ces conditions particulières de la vie rurale ne peuvent manquer d'avoir une grande influence sur la distribution mensuelle des suicides, puisque la campagne fournit plus de la moitié du chiffre total des morts volontaires; en France, de 1873 à 1878, elle avait à son compte 18.470 cas sur un ensemble de 36.365. Il est donc naturel qu'ils deviennent plus nombreux à mesure qu'on s'éloigne de la mauvaise saison. Ils atteignent leur maximum en juin ou en juillet, c'est-à-dire à l'époque où la campagne est en pleine activité. En août, tout commence à s'apaiser, les suicides diminuent. La diminution n'est rapide qu'à partir d'octobre et surtout de novembre; c'est peut-être parce que plusieurs récoltes n'ont lieu qu'en automne.

      Les mêmes causes agissent, d'ailleurs, quoiqu'à un moindre degré, sur l'ensemble du territoire. La vie urbaine est, elle aussi, plus active pendant la belle saison. Parce-que les communications sont alors plus faciles, on se déplace plus volontiers et les rapports intersociaux deviennent plus nombreux. Voici, en effet, comment se répartissent par saisons les recettes de nos grandes lignes, pour la grande vitesse seulement (année 1887)[99]:

      Le mouvement intérieur de chaque ville passe par les mêmes phases. Pendant cette même année 1887, le nombre des voyageurs transportés d'un point de Paris à l'autre a crû régulièrement de janvier (655.791 voyageurs) à juin (848.831) pour décroître à partir de cette époque jusqu'en décembre (659.960) avec la même continuité[100].

      Une

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