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cette race sont plus accusés. Or il n'en est rien. C'est en Norwège que se trouvent les plus hautes tailles de l'Europe (1 m. 72) et, d'ailleurs, c'est vraisemblablement du Nord, en particulier des bords de la Baltique, que ce type est originaire; c'est aussi là qu'il passe pour s'être le mieux maintenu. Pourtant, dans la presqu'île Scandinave, le taux des suicides n'est pas élevé. La même race, dit-on, a mieux conservé sa pureté en Hollande, en Belgique et en Angleterre qu'en France[65], et cependant ce dernier pays est beaucoup plus fécond en suicides que les trois autres.

      Du reste, cette distribution géographique des suicides français peut s'expliquer sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir les puissances obscures de la race. On sait que notre pays est divisé, moralement aussi bien qu'ethnologiquement, en deux parties qui ne se sont pas encore complètement pénétrées. Les populations du Centre et du Midi ont gardé leur humeur, un genre de vie qui leur est propre et, pour cette raison, résistent aux idées et aux mœurs du Nord. Or, c'est au Nord que se trouve le foyer de la civilisation française; elle est donc restée chose essentiellement septentrionale. D'autre part, comme elle contient, ainsi qu'on le verra plus loin, les principales causes qui poussent les Français à se tuer, les limites géographiques de sa sphère d'action sont aussi celles de la zone la plus fertile en suicides. Si donc les gens du Nord se tuent plus que ceux du Midi, ce n'est pas qu'ils y soient plus prédisposés en vertu de leur tempérament ethnique; c'est simplement que les causes sociales du suicide sont plus particulièrement accumulées au nord de la Loire qu'au sud.

      Quant à savoir comment cette dualité morale de notre pays s'est produite et maintenue, c'est une question d'histoire que des considérations ethnographiques ne sauraient suffire à résoudre. Ce n'est pas ou, en tout cas, ce n'est pas seulement la différence des races qui a pu eu être cause; car des races très diverses sont susceptibles de se mêler et de se perdre les unes dans les autres. Il n'y a pas entre le type septentrional et le type méridional un tel antagonisme que des siècles de vie commune n'aient pu en triompher. Le Lorrain ne différait pas moins du Normand que le Provençal de l'habitant de l'Ile-de-France. Mais c'est que, pour des raisons historiques, l'esprit provincial, le traditionnalisme local sont restés beaucoup plus forts dans le Midi, tandis qu'au Nord la nécessité de faire face à des ennemis communs, une plus étroite solidarité d'intérêts, des contacts plus fréquents ont rapproché plus tôt les peuples et confondu leur histoire. Et c'est précisément ce nivellement moral qui, en rendant plus active la circulation des hommes, des idées et des choses, a fait de cette dernière région le lieu d'origine d'une civilisation intense[66].

      III

      La théorie qui fait de la race un facteur important du penchant au suicide admet, d'ailleurs, implicitement qu'il est héréditaire: car il ne peut constituer un caractère ethnique qu'à cette condition. Mais l'hérédité du suicide est-elle démontrée? La question mérite d'autant plus d'être examinée que, en dehors des rapports qu'elle soutient avec la précédente, elle a par elle-même son intérêt propre. Si, en effet, il était établi que la tendance au suicide se transmet par la génération, il faudrait reconnaître qu'elle dépend étroitement d'un état organique déterminé.

      Mais il importe d'abord de préciser le sens des mots. Quand on dit du suicide qu'il est héréditaire, entend-on simplement que les enfants des suicidés, ayant hérité de l'humeur de leurs parents, sont enclins à se conduire comme eux dans les mêmes circonstances? Dans ces termes, la proposition est incontestable, mais sans portée, car ce n'est pas alors le suicide qui est héréditaire; ce qui se transmet, c'est simplement un certain tempérament général qui peut, le cas échéant, y prédisposer les sujets, mais sans les nécessiter, et qui, par conséquent, n'est pas une explication suffisante de leur détermination. Nous avons vu, en effet, comment la constitution individuelle qui en favorise le plus l'éclosion, à savoir la neurasthénie sous ses différentes formes, ne rend aucunement compte des variations que présente le taux des suicides. Mais c'est dans un tout autre sens que les psychologues ont très souvent parlé d'hérédité. Ce serait la tendance à se tuer qui passerait directement et intégralement des parents aux enfants et qui, une fois transmise, donnerait naissance au suicide avec un véritable automatisme. Elle consisterait alors en une sorte de mécanisme psychologique, doué d'une certaine autonomie, qui ne serait pas très différent d'une monomanie et auquel, selon toute vraisemblance, correspondrait un mécanisme physiologique non moins défini. Par suite, elle dépendrait essentiellement de causes individuelles.

      L'observation démontre-t-elle l'existence d'une telle hérédité? Assurément, on voit parfois le suicide se reproduire dans une même famille avec une déplorable régularité. Un des exemples les plus frappants est celui que cite Gall: «Un sieur G… propriétaire, laisse sept enfants avec une fortune de deux millions, six enfants restent à Paris ou dans les environs, conservent leur portion de la fortune paternelle; quelques-uns même l'augmentent. Aucun n'éprouve de malheurs; tous jouissent d'une bonne santé… Tous les sept frères, dans l'espace de quarante ans, se sont suicidés[67]». Esquirol a connu un négociant, père de six enfants, sur lesquels il y en eut quatre qui se tuèrent; un cinquième fit des tentatives répétées[68]. Ailleurs, on voit successivement les parents, les enfants et les petits-enfants succomber à la même impulsion. Mais l'exemple des physiologistes doit nous apprendre à ne pas conclure prématurément en ces questions d'hérédité qui demandent à être traitées avec beaucoup de circonspection. Ainsi, les cas sont certainement nombreux où la phtisie frappe des générations successives, et cependant, les savants hésitent encore à admettre qu'elle est héréditaire. La solution contraire semble même prévaloir. Cette répétition de la maladie au sein d'une même famille peut être due, en effet, non à l'hérédité de la phtisie elle-même, mais à celle d'un tempérament général, propre à recevoir et à féconder, à l'occasion, le bacille générateur du mal. Dans ce cas, ce qui se transmettrait, ce ne serait pas l'affection elle-même, mais seulement un terrain de nature à en favoriser le développement. Pour avoir le droit de rejeter catégoriquement cette dernière explication, il faudrait avoir au moins établi que le bacille de Koch se rencontre souvent dans le fœtus; tant que cette démonstration n'est pas faite, le doute s'impose. La même réserve est de rigueur dans le problème qui nous occupe. Il ne suffit donc pas, pour le résoudre, de citer certains faits favorables à la thèse de l'hérédité. Mais il faudrait encore que ces faits fussent en nombre suffisant pour ne pas pouvoir être attribués à des rencontres accidentelles – qu'ils ne comportassent pas d'autre explication – qu'ils ne fussent contredits par aucun autre fait. Satisfont-ils à cette triple condition?

      Ils passent, il est vrai, pour n'être pas rares. Mais pour qu'on puisse en conclure qu'il est dans la nature du suicide d'être héréditaire, ce n'est pas assez qu'ils soient plus ou moins fréquents. Il faudrait, de plus, pouvoir déterminer quelle en est la proportion par rapport à l'ensemble des morts volontaires. Si, pour une fraction relativement élevée du chiffre total des suicides, l'existence d'antécédents héréditaires était démontrée, on serait fondé à admettre qu'il y a entre ces deux faits un rapport de causalité, que le suicide a une tendance à se transmettre héréditairement. Mais tant que cette preuve manque, on peut toujours se demander si les cas que l'on cite ne sont pas dus à des combinaisons fortuites de causes différentes. Or, les observations et les comparaisons qui, seules, permettraient de trancher cette question n'ont jamais été faites d'une manière étendue. On se contente presque toujours de rapporter un certain nombre d'anecdotes intéressantes. Les quelques renseignements que nous avons sur ce point particulier n'ont rien de démonstratif dans aucun sens; ils sont même un peu contradictoires. Sur 39 aliénés avec penchant plus ou moins prononcé au suicide que le docteur Luys a eu l'occasion d'observer dans son établissement et sur lesquels il a pu réunir des informations assez complètes, il n'a trouvé qu'un seul cas où la même tendance se fût déjà rencontrée dans la famille du malade[69]. Sur 265 aliénés, Brierre de Boismont en a rencontré seulement 11, soit 4 %, dont les parents s'étaient suicidés[70]. La proportion que donne Cazauvieilh est beaucoup plus élevée; chez 13 sujets sur 60, il aurait constaté des antécédents héréditaires; ce qui ferait 28 %[71]. D'après la statistique bavaroise, la seule qui enregistre l'influence de l'hérédité, celle-ci, pendant les années 1857-66, se serait fait sentir environ 13 fois sur 100[72].

      Quelque peu décisifs

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