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ô Limoges, ô Austria! Le caractère de Faulconbridge est une de ces créations du génie de Shakspeare où se retrouve la nature de tous les temps et de tous les pays: Faulconbridge est le vrai soldat, le soldat de fortune, ne reconnaissant personnellement de devoir inflexible qu'envers le chef auquel il a dévoué sa vie et de qui il a reçu la récompense de son courage, et cependant ne demeurant étranger à aucun des sentiments sur lesquels se fondent les autres devoirs, obéissant même à ces instincts d'une rectitude naturelle toutes les fois qu'ils ne se trouvent pas en contradiction avec le voeu de soumission et de fidélité implicite auquel appartient son existence, et même sa conscience: il sera humain, généreux, il sera juste aussi souvent que ce voeu ne lui ordonnera pas l'inhumanité, l'injustice, la mauvaise foi; il juge bien les choses auxquelles il se soumet, et n'est dans l'erreur que sur la nécessité de s'y soumettre; il est habile autant que brave, et n'aliène point son jugement en renonçant à le suivre; c'est une nature forte que les circonstances et le besoin d'employer son activité en un sens quelconque ont réduite à une infériorité morale dont une disposition plus calme et des réflexions plus approfondies sur la véritable destination des hommes l'auraient vraisemblablement préservée. Mais, avec le tort de n'avoir pas cherché assez haut les objets de sa fidélité et de son dévouement, Faulconbridge a le mérite éminent d'un dévouement et d'une fidélité inébranlables, vertus singulièrement hautes, et par le sentiment dont elles émanent, et par les grandes actions dont elles peuvent être la source. Son langage est, comme sa conduite, le résultat d'un mélange de bon sens et d'ardeur d'imagination qui enveloppe souvent la raison dans un fracas de paroles très-naturel aux hommes de la profession et du caractère de Faulconbridge; sans cesse livrés à l'ébranlement des scènes et des actions les plus violentes, ils ne peuvent trouver dans le langage ordinaire de quoi rendre les impressions dont se compose l'habitude de leur vie.

      Le style général de la pièce est moins ferme et d'une couleur moins prononcée que celui de plusieurs autres tragédies du même poëte; la contexture de l'ouvrage est aussi un peu vague et faible, ce qui tient au défaut d'une idée unique qui ramène sans cesse toutes les parties à un même centre. La seule idée de ce genre qu'on puisse apercevoir dans le Roi Jean, c'est la haine de la domination étrangère l'emportant sur la haine d'une usurpation tyrannique. Pour que cette idée fût saillante et occupât constamment l'esprit du spectateur, il faudrait qu'elle se reproduisît partout, que tout contribuât à faire ressortir le malheur de la lutte entre ces deux sentiments; mais ce plan, un peu vaste pour un ouvrage dramatique, devenait d'ailleurs inconciliable avec la réserve que s'imposait Shakspeare sur le caractère du roi: aussi une grande partie de la pièce se passe-t-elle en discussions de peu d'intérêt, et dans le reste les événements ne sont pas assez bien amenés; les lords changent trop légèrement de parti, soit d'abord à cause de la mort d'Arthur, soit ensuite par un motif de crainte personnelle, qui ne présente pas sous un point de vue assez honorable leur retour à la cause d'Angleterre. L'emprisonnement du roi Jean n'est pas non plus préparé avec le soin que met d'ordinaire Shakspeare à fonder et à justifier la moindre circonstance de son drame: rien n'indique ce qui a pu porter le moine à une action aussi désespérée, puisqu'en ce moment Jean était réconcilié avec Rome. La tradition à laquelle Shakspeare a emprunté ce fait apocryphe attribue l'action du moine au besoin de se venger d'un mot offensant que lui avait dit le roi. On ne sait trop ce qui a pu porter Shakspeare à adopter ce conte, dont il a tiré si peu de parti: peut-être a-t-il voulu donner aux derniers moments de Jean quelque chose d'une souffrance infernale, sans avoir recours à des remords qui en effet n'eussent pas été plus d'accord avec le caractère réel de ce méprisable prince qu'avec la manière adoucie dont le poëte l'a tracé.

PERSONNAGES

      LE ROI JEAN.

      LE PRINCE HENRI son fils, depuis le roi Henri III.

      ARTHUR, duc de Bretagne, fils de Geoffroy, dernier duc de Bretagne; et frère aîné du roi Jean.

      GUILLAUME MARESHALL, comte de Pembroke.

      GEOFFROY FITZ-PETER, comte d'Essex, grand justicier d'Angleterre.

      GUILLAUME LONGUE-ÉPÉE, comte de Salisbury.

      ROBERT BIGOT, comte de Norfolk.

      HUBERT.

      ROBERT FAULCONBRIDGE, fils de sir Robert Faulconbridge.

      PHILIPPE FAULCONBRIDGE, son frère utérin, bâtard du roi Richard Ier.

      JACQUES GOURNEY, attaché au service de lady Faulconbridge.

      PIERRE DE POMFRET, prophète.

      PHILIPPE, roi de France.

      LOUIS, dauphin.

      L'ARCHIDUC D'AUTRICHE.

      LE CARDINAL PANDOLPHE, légat du pape.

      MELUN, seigneur français.

      CHATILLON, ambassadeur de France envoyé au roi Jean.

      ÉLÉONORE, veuve du roi Henri II, et mère du roi Jean.

      CONSTANCE, mère d'Arthur.

      BLANCHE, fille d'Alphonse, roi de Castille, et nièce du roi Jean.

      LADY FAULCONBRIDGE, mère du bâtard et de Robert Faulconbridge.

      SEIGNEURS, DAMES, CITOYENS D'ANGERS, OFFICIERS, SOLDATS, HÉRAUTS, MESSAGERS, ET AUTRES GENS DE SUITE.

La scène est tantôt en Angleterre, et tantôt en France

      ACTE PREMIER

SCÈNE INorthampton. – Une salle de représentation dans le palais Entrent LE ROI JEAN, LA REINE ÉLÉONORE, PEMBROKE, ESSEX, et SALISBURY avec CHATILLON

      LE ROI JEAN. – Eh bien, Châtillon, parlez; que veut de nous la France?

      CHATILLON. – Ainsi, après vous avoir salué, parle le roi de France, par moi son ambassadeur, à Sa Majesté, à Sa Majesté usurpée d'Angleterre.

      ÉLÉONORE. – Étrange début! Majesté usurpée!

      LE ROI JEAN. – Silence, ma bonne mère, écoutez l'ambassade.

      CHATILLON. – Philippe de France, suivant les droits et au nom du fils de feu Geoffroy votre frère, Arthur Plantagenet, fait valoir ses titres légitimes à cette belle île et son territoire, l'Irlande, Poitiers, l'Anjou, la Touraine, le Maine, vous invitant à déposer l'épée qui usurpe la domination de ces différents titres, et à la remettre dans la main du jeune Arthur, votre neveu, votre royal et vrai souverain.

      LE ROI JEAN. – Et que s'ensuivra-t-il si nous nous y refusons?

      CHATILLON. – L'impérieuse entremise d'une guerre sanglante et cruelle, pour ressaisir par la force des droits que la force seule refuse.

      LE ROI JEAN. – Ici nous avons guerre pour guerre, sang pour sang, hostilité pour hostilité: c'est ainsi que je réponds au roi de France.

      CHATILLON. – Dès lors recevez par ma bouche le défi de mon roi, dernier terme de mon ambassade.

      LE ROI JEAN. – Porte-lui le mien, et va-t'en en paix. – Sois aux yeux de la France comme l'éclair; car avant que tu aies pu annoncer que j'y viendrai, le tonnerre de mon canon s'y fera entendre. Ainsi donc, va-t'en! sois la trompette de ma vengeance et le sinistre présage de votre ruine. – Qu'on lui donne une escorte honorable; Pembroke, veillez-y. – Adieu, Châtillon.

(Châtillon et Pembroke sortent.)

      ÉLÉONORE. – Eh bien, mon fils! n'ai-je pas toujours dit que cette ambitieuse Constance n'aurait point de repos qu'elle n'eût embrasé la France et le monde entier pour les droits et la cause de son fils? Quelques faciles arguments d'amour auraient pu cependant prévenir et arranger ce que le gouvernement de deux royaumes doit régler maintenant par des événements terribles et sanglants.

      LE ROI JEAN. – Nous avons pour nous notre solide possession et notre droit.

      ÉLÉONORE. – Votre solide possession bien plus que votre droit; autrement cela irait mal pour vous et moi; ma conscience confie ici à votre oreille ce que personne n'entendra jamais que le ciel, vous et moi.

(Entre le shérif de Northampton, qui parle bas à Essex.)

      ESSEX.

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