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répondit Earnscliff; retirons-nous, nous ferons mieux de lui envoyer quelque nourriture.

      Ce fut ce qu'ils firent dès qu'ils furent de retour à Heugh-Foot, et ils chargèrent un domestique de porter au Nain un panier de provisions. Celui-ci trouva le Nain toujours occupé de son travail; mais, étant imbu des préjugés du pays, il n'osa ni s'en approcher ni lui parler. Il plaça ce qu'il apportait sur une des pierres les plus éloignées à la disposition du misanthrope.

      Le Nain continua ses travaux avec une activité qui paraissait presque surnaturelle; il faisait en un jour plus d'ouvrage que deux hommes n'auraient pu en faire, et les murs qu'il élevait prirent bientôt l'apparence d'une hutte qui, quoique très étroite, et construite seulement de pierres et de terres, sans mortier, offrait, à cause de la grosseur peu commune des pierres employées, un air de solidité très rare dans des cabanes si petites et d'une construction si grossière. Earnscliff, qui épiait tous ses mouvements, n'eut pas plutôt compris son but qu'il fit porter dans le voisinage du lieu les bois nécessaires pour la toiture, et il se proposait même d'y envoyer des ouvriers le jour d'après, pour les placer: mais le Nain ne lui en laissa pas le temps, il passa la nuit à l'ouvrage, et fit si bien que, dès le lendemain matin, la charpente était en place; il s'occupa ensuite à couper des joncs et à en couvrir sa demeure, ce qu'il exécuta avec une adresse surprenante.

      Voyant que cet être extraordinaire ne voulait recevoir d'aide que le secours accidentel d'un passant; Earnsclilf se contenta de faire porter dans les environs les matériaux et les outils qu'il jugeait pouvoir lui être utiles; le solitaire s'en servait avec talent. Il construisit une porte et une fenêtre, se fit un lit de planches; et, à mesure que ses travaux avançaient, son humeur semblait devenir moins irascible. Il songea ensuite à se fermer d'un enclos. Puis il transporta du terreau et travailla si bien le sol qu'il se forma un petit, jardin. On supposera naturellement, comme nous l'avons fait entendre, que cet être solitaire fut aidé plus d'une fois par les passants qui par hasard traversaient la plaine, et par d'autres que la curiosité portait à lui rendre visite. Il était en effet impossible de voir une créature humaine si peu propre en apparence à un travail si rude et si constant sans s'arrêter pendant quelques minutes pour l'aider. Mais, comme aucun de ces aides ne savait jusqu'à quel point le Nain avait reçu assistance des autres, les rapides progrès de sa tâche journalière ne perdaient rien de ce qu'ils avaient de merveilleux. La solidité compacte de sa cabane, construite en si peu de temps et par un tel être, son adresse supérieure dans le maniement de ses outils, son talent dans tous les arts mécaniques et autres, éveillèrent les soupçons des voisins. On ne croyait plus que ce fût un fantôme; on l'avait vu d'assez près et assez long-temps pour être convaincu que c'était véritablement un homme de chair et d'os; mais le bruit courait qu'il avait des liaisons avec des êtres surnaturels, et qu'il avait fixé sa résidence dans ce lieu écarté pour n'être pas troublé dans ses relations avec eux. Il n'était jamais moins seul que quand il était seul, disait-on, en donnant à cette phrase d'un ancien philosophe un sens mystérieux. On assurait aussi que des hauteurs qui dominent la bruyère on avait vu souvent un autre personnage qui aidait dans son travail cet habitant du désert, et qui disparaissait aussitôt qu'on s'en approchait; ce personnage était quelquefois assis à son côté sur le seuil de la porte, il se promenait avec lui dans le jardin, il allait avec lui chercher de l'eau à une fontaine voisine. Earnscliff expliquait ce phénomène en disant qu'on avait pris l'ombre du Nain pour une seconde personne. – Son ombre serait donc d'une nature aussi singulière que son corps, disait alors Hobby, grand partisan de l'opinion générale; il est trop bien dans les papiers du vieux Satan pour avoir une ombre (allusion à la croyance populaire qui veut que les corps des sorciers ne projettent point d'ombre). Qui a jamais vu une ombre entre un corps et le soleil? Cette chose, que ce soit ce qu'on voudra, est plus mince et plus grande que le corps dont vous dites qu'elle est l'ombre. On l'a vue plus d'une fois s'interposer entre le soleil et lui.

      Ces soupçons, dans d'autres cantons de l'Écosse, auraient pu exposer notre solitaire à des recherches qui ne lui auraient pas été agréables; mais ils ne servirent qu'à faire regarder le prétendu sorcier avec une crainte respectueuse. Il ne semblait pas fâché d'inspirer ce sentiment. Lorsque quelqu'un approchait de sa chaumière, il voyait avec une sorte de plaisir l'air de surprise et d'effroi de celui qui le regardait, et la promptitude avec laquelle il s'éloignait de lui. Peu de gens étaient assez hardis pour satisfaire leur curiosité en jetant un regard à la hâte sur son habitation et sur son jardin; et, s'ils lui adressaient quelques paroles, jamais il n'y répondait que par un mot ou un signe de tête.

      Il semblait s'être établi dans sa hutte pour la vie. Earnscliff passait souvent par-là, rarement sans demander au Nain de ses nouvelles; mais il était impossible de l'engager dans aucune conversation sur ses affaires personnelles. Il acceptait sans répugnance les choses nécessaires à la vie, mais rien au-delà, quoique Earnscliff, par humanité, et les habitants du canton, par une crainte superstitieuse, lui offrissent bien davantage. Il récompensait ceux-ci par les conseils qu'il leur donnait lorsqu'il était consulté, comme il ne tarda pas à l'être, sur leurs maladies et sur celles de leurs troupeaux. Il ne se bornait pas même à des avis, il leur fournissait aussi les remèdes convenables, non seulement les simples qui croissaient dans le pays, mais aussi des médicaments coûteux, produit de climats étrangers. On juge bien que cela ne faisait que confirmer le bruit de ses liaisons avec des êtres invisibles qui étaient à ses ordres: sans quoi, comment aurait-il pu, dans son ermitage et dans son état d'indigence, se procurer toutes ces choses? Avec le temps, il fit connaître qu'il se nommait Elsender-le-Reclus, nom que les habitants du pays changèrent en celui du bon Elsy; ou le Sage de Mucklestane-Moor.

      Ceux qui venaient le consulter déposaient ordinairement leur offrande sur une pierre peu éloignée de sa demeure. Si c'était de l'argent, ou quelque objet qu'il ne lui convînt pas d'accepter, il le jetait loin de lui, ou le laissait où on l'avait déposé, sans en faire usage. Dans toutes ces occasions, ses manières étaient toujours celles d'un misanthrope bourru; il ne prononçait que le nombre de mots strictement nécessaire pour répondre à la question qu'on lui faisait; et, si l'on voulait lui parler de choses indifférentes, il rentrait chez lui sans daigner faire une seule réponse.

      Lorsque l'hiver fut passé, et qu'il commença à récolter quelques légumes dans son jardin, ils firent sa principale nourriture. Earnscliff parvint pourtant à lui faire accepter deux chèvres qui se nourrissaient dans la plaine, et qui lui fournissaient du lait.

      Earnscliff, voyant son présent accepté, voulut aller faire une visite à l'ermite. Le vieillard était assis sur un banc de pierre, près de la porte de son jardin; c'était là son siége quand il était disposé à donner audience. Personne n'était admis dans l'intérieur de sa cabane et de son petit jardin: c'était un lieu sacré; comme le Morui des insulaires d'Otaïti. Sans doute qu'il l'aurait cru profané par la présence d'une créature humaine. Lorsqu'il était enfermé dans son habitation, aucune prière n'aurait pu le persuader de se rendre visible ou de donner audience à qui que ce fût.

      Earnscliff avait été pêcher dans un ruisseau qui coulait à peu de distance. Voyant l'ermite sur le banc près de sa chaumière, il vint s'asseoir sur une pierre qui était en face, ayant en main sa ligne et un panier dans lequel étaient quelques truites; produit de sa pêche. Le Nain, habitué à sa présence, ne donna d'autre signe qu'il l'avait vu qu'en levant les yeux un moment pour le regarder de l'air d'humeur qui lui était habituel; après quoi, il laissa retomber sa tête sur sa poitrine, comme pour se replonger dans ses profondes méditations. Earnscliff s'aperçut qu'il avait adossé tout nouvellement à sa demeure un petit abri pour ses deux chèvres.

      – Vous travaillez beaucoup, Elsy, lui dit-il pour tâcher de l'engager dans une conversation.

      – Travailler! s'écria le Nain; c'est le moindre des maux de la misérable humanité. Il vaut mieux travailler comme moi que de chercher des amusements comme les vôtres.

      – Je ne prétends pas que nos amusements champêtres soient des exercices inspirés par l'amour de l'humanité, et cependant…

      – Et cependant ils valent mieux que votre occupation ordinaire. Il vaut mieux que l'homme assouvisse sa férocité sur les poissons muets que sur les créatures de son espèce. Mais pourquoi parlé-je ainsi? Pourquoi la

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