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pour la mettre plus vite dehors, il ajouta:

      – Voyons, ne vous désolez pas… revenez me voir, nous arrangerons cela.

      Elle voulait le remercier; mais déjà il s'était élancé dans l'escalier.

      Si Flavie avait envoyé chercher son père, c'est qu'elle tenait à lui faire admirer sa toilette nouvelle, que venait de lui envoyer Van Klopen, qu'elle essayait et qu'elle trouvait miraculeuse.

      Il est de fait que le «couturier des reines», outre qu'il avait été d'une rare promptitude, s'était surpassé.

      Le costume de Flavie était un de ces chefs-d'œuvre de mauvais goût, – à la mode, hélas! – qui donnent à toutes les femmes une même et odieuse tournure de poupée, imaginés, croirait-on, pour leur enlever d'un coup grâce, distinction et poésie.

      Ce n'étaient que garnitures, découpures et dentelures, jupes étagées, couleurs désagréables bizarrement assemblées.

      Van Klopen avait été fidèle à son système, car il a un système qu'il résume en deux axiomes forts clairs:

      1º Donner aux robes une coupe telle que, sitôt défraîchies, elles soient absolument inserviables;

      2º Rechercher les étoffes bon marché, ce qui plaît aux maris, et multiplier les garnitures qui sont la bouteille à l'encre des modes.

      Il a trouvé cela, ce Hollandais madré, et il n'est plus une couturière bourgeoise qui ne s'efforce de profiter de sa découverte.

      Seulement, Flavie se souciait infiniment peu de la question économique.

      Debout, au milieu du salon paternel, dont elle venait de faire allumer les lustres, car le jour baissait, elle étudiait quelques effets nouveaux, – c'est-à-dire qu'elle répétait sa toilette.

      Et en vérité, elle était si naturellement jolie, mignonne et gracieuse, que l'œuvre de Van Klopen ne l'enlaidissait presque pas.

      Mais tout à coup, elle se retourna.

      Elle venait d'apercevoir, dans la glace, son père qui entrait tout essoufflé d'avoir grimpé si vite les escaliers.

      – Comme tu as tardé!.. lui dit-elle.

      Certes, il n'avait pas perdu une seconde. Cependant il s'excusa.

      – J'étais avec un client, répondit-il, de sorte que…

      – Eh! il fallait le renvoyer.

      Il allait chercher d'autres explications encore, mais la jeune fille se tint pour satisfaite.

      – Voyons, père, commença-t-elle, ouvre les yeux bien grands, regarde-moi et dis-moi, oh!.. franchement, comment tu me trouves.

      Point n'était besoin de le lui demander. L'admiration la plus parfaite s'épanouissait sur sa physionomie.

      – Charmante, murmura-t-il, divine!

      Si accoutumée qu'elle fut aux parfums de l'encens paternel, Flavie parut enchantée.

      – Alors, reprit-elle, tu crois que je lui plairai?

      Lui!.. c'était Paul Violaine; M. Martin-Rigal ne le savait que trop. Il soupira profondément en répondant:

      – Comment veux-tu ne pas lui plaire?

      – Hélas! fit-elle, devenant songeuse, s'il s'agissait de tout autre, je ne douterais pas de moi, je ne craindrais rien, je ne sentirais pas ces transes cruelles qui me serrent le cœur…

      M. Martin-Rigal était assis près de la cheminée: il attira sa fille par la taille pour lui mettre un baiser au front, et elle, avec des mouvements coquets et onduleux de jeune chatte guettant des caresses, elle s'établit sur les genoux de son père.

      – C'est que, vois-tu, continuait-elle, poursuivant sa pensée, s'il allait ne pas faire attention à moi, si je lui déplaisais!.. Tiens, père, je le sens, j'en mourrais.

      Le banquier détourna la tête pour cacher sa douloureuse impression.

      – Tu l'aimes donc bien? demanda-t-il.

      – Oh!..

      – Plus que moi?

      Flavie prit entre ses mains la tête de son père et la secoua doucement, tout en riant d'un petit rire sonore et pur comme le tintement du cristal.

      – Que t'es bête, pauvre père, disait-elle, que t'es bête!.. Je te demande un peu si cela peut se comparer! Toi, je t'aime, parce que tu es mon père… d'abord. Je t'aime ensuite, parce que tu es bon, que tu veux tout ce que je veux, que tu dis toujours: Oui; je t'aime, parce que tu es comme les enchanteurs des féeries, tu sais, qui sont bien vieux, bien vieux, qui ont des barbes qui n'en finissent plus, et qui réalisent tous les souhaits de leurs filleules. Je t'aime pour cette bonne vie heureuse que tu me donnes, pour ma voiture, pour mes jolis chevaux, pour mes belles toilettes, pour les pièces d'or neuves dont, sans te lasser, tu emplis ma bourse, pour cette parure de perles que j'ai au cou, pour ce bracelet… pour tout enfin.

      L'énumération était désolante. Chaque mot trahissait un égoïsme féroce en sa naïveté. Et cependant le banquier écoutait d'un air riant, ravi, engourdi dans une sorte de béatitude irraisonnée.

      – Et lui? interrogea-t-il.

      – Oh!.. lui, répondit Flavie devenue subitement sérieuse, lui, je l'aime parce qu'il est lui, d'abord; puis, parce que… parce que je l'aime.

      L'accent de la jeune fille trahissait une telle intensité de passion que le pauvre père ne put retenir un geste de colère.

      Elle vit ce geste et éclata de rire.

      – Vilain jaloux! fit-elle de ce ton qu'on prend pour faire honte à un enfant d'une faute légère, fi!.. que c'est laid, monsieur. Vous montrez le poing à cette pauvre fenêtre, parce que c'est de cette fenêtre que j'ai aperçu mon Paul pour la première fois. C'est mal, monsieur, c'est très mal!..

      Comme l'enfant pris en faute et grondé, M. Martin-Rigal baissa la tête.

      – Eh bien! reprit Flavie, je l'aime, moi, cette fenêtre, qui me rappelle les plus fortes et les plus douces émotions de ma vie. Voici pourtant quatre mois de cela. Tiens, père, il me semble que c'était ce matin… J'étais venue me mettre à la fenêtre sans savoir pourquoi… et on dit que nous sommes maîtres de nos destinées! Quelle folie!.. Je regarde machinalement, quand tout à coup, à la croisée de la maison d'en face, je l'ai aperçu. Ça été comme un éclair. Mais cette seconde a suffi pour décider de ma vie. Moi, qui jamais n'avais rien senti là – elle mettait la main sur son cœur, – j'y ai éprouvé une douleur épouvantable, aiguë, la sensation d'un fer rouge.

      Le banquier paraissait être au supplice, mais sa fille ne s'en apercevait pas.

      – Toute la journée, poursuivait-elle, j'ai été comme jamais… il me semblait qu'il n'y avait plus d'air pour respirer, j'avais comme un poids immense, là, au creux de la poitrine, et autour de la tête un cercle de fer. Ce n'était plus du sang qui circulait dans mes veines, mais de la flamme… La nuit, impossible de dormir, je frissonnais et j'étais trempée de sueur. Sans savoir pourquoi, j'avais peur, je tremblais…

      Le banquier secoua tristement la tête.

      – Flavie, murmura-t-il, chère adorée, pauvre folle enfant, que ne t'es-tu confiée à moi, alors?

      – J'en avais envie…

      – Eh bien!..

      – Je n'ai pas osé.

      M. Martin-Rigal leva les bras au plafond. Il prenait le ciel à témoin que si sa fille n'avait pas osé, ainsi qu'elle le disait, elle n'avait pour cela aucune raison, aucune.

      – Tu ne comprends pas cela, fit Flavie. Ah!.. voilà. Tu as beau être le meilleur des pères, tu es un homme. Si j'avais une mère, elle me comprendrait.

      – Eh! qu'aurait fait ta pauvre mère, que je n'aie tenté, essayé? murmura M. Martin-Rigal.

      – Rien, peut-être, tu as raison. Parce que, vois-tu, il y a des jours où je ne

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