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vous trompez, mademoiselle, prononça-t-il d'une voix grave, et vous me jugez mal. J'ai passé l'âge des déterminations prises à la légère. Si j'ai sollicité votre main, c'est que j'ai su apprécier comme il convient les nobles qualités de votre cœur et de votre esprit. Je crois qu'il sera heureux entre tous, celui dont vous daignerez accepter le nom.

      Mlle de Mussidan ouvrait la bouche pour répondre, mais déjà M. de Breulh poursuivait:

      – En quoi vous ai-je déplu assez pour être ainsi repoussé? Je l'ignore. Seulement, mademoiselle, sachez-le bien, c'est un malheur dont je ne me consolerai de ma vie.

      La sincérité de la douleur de M. de Breulh était si évidente, que Sabine en fut émue.

      – Croyez, monsieur, dit-elle, que je suis touchée plus que je ne saurais l'exprimer. Vous ne m'avez pas déplu, monsieur, et votre recherche m'honore au-delà de mes mérites. J'aurais été heureuse et fière d'être votre femme, si…

      Elle fut obligée de s'interrompre, tant le sang affluait à sa gorge.

      Mais M. de Breulh fut cruel, il insista:

      – Si?.. demanda-t-il.

      Mlle de Mussidan détourna la tête pour dérober le spectacle de sa confusion, et c'est presque défaillante qu'elle répondit:

      – Si je n'avais donné mon cœur et promis ma main à un autre.

      M. de Breulh ne put retenir une exclamation:

      – Ah!

      Intention, hasard ou jalousie, il avait, ce «Ah!» comme une apparence d'ironie qui blessa et révolta Sabine.

      Elle se retourna irritée, et c'est la tête haute, après avoir cherché et rencontré le regard de M. de Breulh, qu'elle reprit:

      – Oui, monsieur, un autre, choisi par moi entre tous, librement, à l'insu de ma famille. Un autre, pour qui je suis tout, de même qu'il est tout pour moi…

      M. de Breulh ne répondit pas.

      – Et ce choix ne saurait vous offenser, reprit la jeune fille. Vous ignoriez jusqu'à mon existence, quand je l'ai rencontré, cet autre. D'ailleurs, est-il une comparaison possible entre vous et lui? Non. Vous êtes, vous, tout en haut de l'échelle sociale: il est, lui, tout en bas. Autant vous êtes noble, autant il est peuple. Vous êtes fier de ne point porter de titre: on dit les sires de Breulh comme on dit les sires de Coucy; lui n'a pas même de nom. Votre fortune dépasse vos fantaisies; lui se débat et lutte obscurément pour le pain de chaque jour. Car il en est là! oui, monsieur. Peut-être est-ce un homme de génie; les difficultés les plus misérables de l'existence enchaînent son essor. Pour conquérir le droit de devenir un grand artiste, il est ouvrier… Et si jamais vous serrez sa main loyale, vous y sentirez les callosités du travail…

      Mlle de Mussidan eût pris à tâche de désoler ce galant homme, dont elle attendait un grand service, un sacrifice plus grand encore, qu'elle n'eût pas parlé autrement.

      Dans son inexpérience, elle faisait tout pour aviver la blessure qu'elle venait de lui faire.

      Et jamais elle n'avait été si belle qu'en ce moment, où elle vibrait tout entière au souffle de la passion. Sa voix avait des sonorités étranges. Son âme même montait à ses yeux.

      – Maintenant, monsieur, reprit-elle, comprenez-vous ma préférence? Plus est large, profond, infranchissable, en apparence, l'abîme qui le sépare de moi, plus je me dois d'être fidèle aux serments échangés. Je sais mon devoir. La femme digne de ce nom doit être, pour qui l'aime, l'espérance et la foi, qui enfantent des miracles. Qu'on me juge insensée, j'y consens. Je sais quels dangers on court à heurter les préjugés. Il se peut que l'avenir me réserve un châtiment terrible… on ne m'entendra jamais me plaindre. Enfin, cet autre…

      Elle hésita un moment, et, enfin, d'un ton simple mais ferme, elle ajouta:

      – Cet autre… je l'aime.

      M. de Breulh écoutait, plus immobile, en apparence, et plus froid que le marbre. En réalité, la plus terrible des passions, la jalousie, grondait au fond de son cœur.

      C'est que s'il avait laissé entrevoir la vérité, il ne l'avait pas dite toute entière.

      Il aimait Sabine, et il l'aimait depuis longtemps. C'était l'édifice entier de son avenir que, sans paraître le remarquer, Mlle de Mussidan renversait. Oui, il était noble, oui, il était riche, mais titres et fortune, il eut tout donné pour être à la place de cet autre qui gagnait son pain, qui était un enfant trouvé, mais qui était aimé.

      Bien d'autres, à sa place, eussent haussé les épaules et expliqué Sabine d'un seul mot: romanesque.

      Lui, non. Il était digne de la comprendre.

      Ce qu'il admirait le plus en elle, c'était cette belle franchise qui va droit au but, sans réticences et sans ambages, cette hardiesse à braver le danger après l'avoir reconnu et raisonné.

      Elle était certes, inhabile et imprudente; mais cela même la grandissait à ses yeux. Ce n'est d'ordinaire ni la prudence ni l'habileté qui manquent aux jeunes demoiselles élevées comme Sabine au noble et moral couvent des Oiseaux.

      Par ce temps de galanteries banales, d'intrigues amoureuses bêtes et plates comme un livre obscène, à une époque où le notaire qui rédige le contrat représente toute la poésie de la moitié des mariages, M. de Breulh se trouvait en présence d'une femme capable d'une grande et vigoureuse passion.

      Cette femme, il avait espéré qu'elle serait sienne, et voici qu'elle lui échappait.

      Il brûlait d'interroger cependant, de savoir, soit qu'il gardât une ombre d'espérance, soit qu'il trouvât comme une âcre volupté à se bien convaincre de son malheur.

      – Mais cet autre, demanda-t-il à Sabine, comment vous est-il possible de le voir?

      Elle comprit qu'elle n'avait rien à cacher.

      – Je le rencontre à la promenade, répondit-elle; je suis allée chez lui…

      – Chez lui!..

      – Oui: je lui ai donné quinze séance pour mon portrait.

      Et fièrement elle ajouta:

      – Une fille comme moi peut aller sans danger chez l'homme qu'elle a choisi: il ne s'y passe rien dont elle ait à rougir.

      M. de Breulh se taisait, il était confondu, abasourdi.

      – Vous savez tout, monsieur… Je me suis fait violence à ce point de vous dire, moi, jeune fille, ce que je n'ai pas osé avouer à ma mère. Que dois-je maintenant espérer?

      Ceux-là seuls qui, passionnément épris, ont trouvé une femme assez loyale pour leur dire:

      – «Je ne vous aime pas, j'ai donné ma vie à un autre, je ne vous aimerai jamais, renoncez à toute espérance.»

      Ceux-là seuls peuvent se faire une juste idée de la situation d'esprit de M. de Breulh et des tortures qu'il endurait.

      Certes, s'il eut appris par quelque voie détournée les amours de Sabine, il ne se serait pas retiré. Il eut accepté la lutte, avec l'espoir de triompher de ce mortel heureux qu'on lui préférait.

      Mais ici, lorsque Mlle de Mussidan se mettait à sa discrétion, abuser de sa confiance était impossible.

      – Il sera fait selon vos désirs, mademoiselle, répondit-il, non sans une cer taine amertume. Ce soir même, j'écrirai à votre père pour lui rendre sa parole. Ce sera la première fois que je ne tiendrai pas la mienne. Je me demande quel prétexte j'imaginerai pour colorer ma retraite; ce qui est sûr, c'est que si précieuse que ma défaite puisse être, M. de Mussidan m'en voudra cruellement. Mais vous l'exigez…

      A l'exaltation de Sabine avait succédé cette prostration physique et morale qui suit inévitablement les dépenses excessives d'énergie.

      – Je vous remercie, monsieur, murmura-t-elle, et du plus profond de mon âme. J'éviterai, grâce à vous, une lutte dont la pensée seule me glaçait d'horreur,

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