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Il y a peut-être un peu de prévention de ma part.

       ORGON.

      Non; elle est parfaite, assurément: mais il se passe quelque chose dont vous n'êtes peut-être pas instruit.

       ARISTE.

      Comment! que se passe-t-il donc?

      SCENE III

      LE MARQUIS, dans le fond, et sans se montrer d'abord; ARISTE,

      ORGON.

      ORGON, à Ariste.

      J'ai un neveu, de par le monde.

       ARISTE.

      Je le sais. Ne se nomme-t-il pas Valère?

       ORGON.

      Tout juste.

       ARISTE.

      Je l'ai vu quelquefois au logis.

      LE MARQUIS, se jetant entre eux deux.

      Oui, monsieur. Je viens vous avouer, et vous expliquer ce que mon oncle ne vous dit que confusément. Il est vrai que Julie…

      ORGON, l'interrompant.

      Eh! que diable! laissez-moi.

      LE MARQUIS, à Ariste.

      Monsieur, excusez; mon oncle ne s'est jamais piqué d'être orateur, et… Vous me voyez, je vous demande grâce pour Julie; je vous la demande pour moi-même. Nous sommes coupables de vous avoir caché… (Voyant qu'Orgon se met en colère.) Mais, je vois que le feu s'allume dans les yeux de mon oncle; je ne veux point l'irriter.

       ORGON.

      Je vous promets que si vous paroissez avant que je vous le dise, je…

      LE MARQUIS, l'interrompant.

      Je ne crois pas que ce que je fais soit hors de sa place.

      N'importe, il faut céder; je me retire.

      (Il sort.)

      SCENE IV

       ARISTE, ORGON.

       ORGON.

      Il est tant soit peu étourdi, comme vous voyez: aussi me suis-je long-temps tenu en garde contre ses discours; mais enfin il m'a parlé d'une façon à me persuader que la pupille et lui ne sont point mal ensemble.

       ARISTE.

      J'en reçois la première nouvelle. Si cela est, je ne conçois pas pourquoi Julie m'en a fait un mystère; car je l'ai vingt fois assurée que je ne gênerois jamais son inclination, et je m'opposerois encore moins à celle qu'elle pourroit avoir pour une personne qui vous appartient. Une si grande réserve de sa part me pique, je vous l'avoue, et me surprend en même temps.

       ORGON.

      Une première passion est un mal que l'on voudroit volontiers se cacher à soi-même.

      SCENE V

      JULIE, LISETTE, se tenant d'abord dans le fond; ARISTE,

      ORGON.

      ORGON, bas, à Ariste, en apercevant Julie.

      La voilà, je crois, qui paroit. Elle est, ma foi, aimable.

      JULIE, bas, à Lisette.

      Ariste parle à quelqu'un. N'avançons pas, Lisette.

       LISETTE.

      Vous êtes la première personne jeune et jolie qui craigniez de vous montrer.

      ARISTE, à Julie.

      Approchez, Julie. (En lui montrant Orgon.) Vous êtes sans doute instruite du sujet qui amène monsieur ici? Il me fait une proposition à laquelle je souscris volontiers, si elle vous touche autant que l'on me le fait entendre.

      JULIE, troublée.

      J'ignore, monsieur, de quoi il est question.

       ARISTE.

      Ne dissimulez pas davantage. J'aurois lieu de m'offenser du peu de confiance que vous auriez en moi. Rassurez-vous, Julie; votre penchant n'est point un crime, et je ne vous reproche rien, que le secret que vous m'en avez fait.

       JULIE.

      En vérité, monsieur… (A Lisette.) Lisette?..

      LISETTE, l'interrompant.

      Eh bien! Lisette? Je gage qu'on veut vous parler de mariage. Cela est-il si effrayant? Il y a cent filles qui, en pareil cas, seroient intrépides.

      ARISTE, bas, à Orgon.

      Elle s'obstine à se taire. Il faut lui pardonner cette timidité. Je fais réflexion que je lui parlerai mieux en particulier. Laissons-la revenir de l'embarras que tout ceci lui cause, et soyez persuadé que je m'emploierai tout entier pour que la chose aille selon vos désirs.

      ORGON, bas.

      Je vous en suis obligé. (Regardant Julie.) Elle a une certaine grâce, une certaine modestie qui me feroient souhaiter d'être mon neveu.

      (Il sort, en saluant affectueusement Julie, et Ariste va le reconduire.)

      SCENE VI

       JULIE, LISETTE.

       LISETTE.

      Vous vous êtes ennuyée au couvent. Vous êtes sourde aux propositions de mariage. Oserois-je demander, mademoiselle, ce que vous comptez devenir? Orgon, que vous venez de voir, est oncle du marquis, qui, selon les apparences, a fait faire des démarches auprès d'Ariste.

       JULIE.

      Ah! ne me parle point du marquis.

       LISETTE.

      Pourquoi donc? Parce qu'il a la tête un peu folle, qu'il est

      grand parleur, prévenu de son mérite, et même un peu menteur?

      Bon! bon! il est jeune et vous aime; cela ne suffit-il pas?

      Le commerce tomberoit, si l'on y regardoit de si près.

       JULIE.

      Je connois quelqu'un à qui on ne sauroit reprocher aucun de ces défauts; qui est humble, sensé, poli, bienfaisant; qui sait plaire sans les dehors affectés et les airs étourdis qui font valoir tant d'autres hommes.

       LISETTE.

      Oui-dà? Cette peinture est naïve. Seroit-ce l'esprit seul qui l'auroit faite?

       JULIE.

      Non, Lisette, puisqu'il faut l'avouer.

       LISETTE.

      Eh! que ne parlez-vous? Quelle crainte ridicule vous a fait garder le silence si long-temps? Vous êtes trop bien née pour avoir fait un choix indigne de vous. Vous avez un tuteur qui porte la complaisance au-delà de l'imagination, et qui ne vous contraindra pas. Quelle difficulté vous reste-t-il donc à vaincre?

       JULIE.

      La difficulté est d'en instruire celui que j'aime.

       LISETTE.

      La difficulté est de l'en instruire? Cette personne-là est donc bien peu intelligente. J'en croirois, moi, vos yeux sur leur parole.

       JULIE.

      Quand mes yeux parleroient beaucoup, je ne sais si on les entendroit encore. Mais j'ai soin qu'ils n'en disent pas trop; car, Lisette, voici l'embarras où je suis. Quoique je sois jeune et que l'on me trouve quelques charmes, quoique j'aie du bien et que celui que j'aime et moi soyons de même condition, je crains qu'il n'approuve pas mon amour, et s'il m'arrivoit d'en faire l'aveu et que j'essuyasse un refus, je mourrois de douleur.

       LISETTE.

      Je vous suis caution que jamais homme, usant et jouissant de sa raison, ne vous refusera. Qui pourroit

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