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La Comédie humaine - Volume VII. Honore de Balzac
Читать онлайн.Название La Comédie humaine - Volume VII
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Honore de Balzac
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Suzanne trotta de la rue du Cours par la rue de la Porte de Séez et la rue du Bercail, jusqu'à la rue du Cygne, où depuis cinq ans du Bousquier avait acheté une petite maison de province, bâtie en chaussins gris, qui sont comme les moellons du granit normand ou du schiste breton. L'ancien fournisseur s'était établi plus comfortablement que qui que ce fût en ville, car il avait conservé quelques meubles du temps de sa splendeur; mais les mœurs de la province avaient insensiblement effacé les rayons du Sardanapale tombé. Les vestiges de son ancien luxe faisaient dans sa maison l'effet d'un lustre dans une grange, car il n'y avait plus cette harmonie, lien de toute œuvre humaine ou divine. Sur une belle commode se trouvait un pot à l'eau à couvercle, comme il ne s'en voit qu'aux approches de la Bretagne. Si quelque beau tapis s'étendait dans sa chambre, les rideaux de croisée montraient les rosaces d'un ignoble calicot imprimé. La cheminée en pierre mal peinte jurait avec une belle pendule déshonorée par le voisinage de misérables chandeliers. L'escalier, par où tout le monde montait sans s'essuyer les pieds, n'était pas mis en couleur. Enfin, les portes mal réchampies par un peintre du pays effarouchaient l'œil par des tons criards. Comme le temps que représentait du Bousquier, cette maison offrait un amas confus de saletés et de magnifiques choses. Du Bousquier pouvait être considéré comme un homme à l'aise, il menait la vie parasite du chevalier; et celui-là sera toujours riche qui ne dépense pas son revenu. Il avait pour tout domestique une espèce de Jocrisse, garçon du pays, assez niais, façonné lentement aux exigences de du Bousquier qui lui avait appris, comme à un orang-outang, à frotter les appartements, essuyer les meubles, cirer les bottes, brosser les habits, venir le chercher le soir avec la lanterne quand le temps était couvert, avec des sabots quand il pleuvait. Comme certains êtres, ce garçon n'avait d'étoffe que pour un vice, il était gourmand. Souvent, lorsqu'il se donnait des dîners d'apparat, du Bousquier lui faisait quitter sa veste de cotonnade bleue carrée à poches ballottantes sur les reins et toujours grosses d'un mouchoir, d'un eustache, d'un fruit ou d'un casse-museau, il lui faisait endosser un habillement d'ordonnance, et l'emmenait pour servir. René s'empiffrait alors avec les domestiques. Cette obligation que du Bousquier avait tournée en récompense lui valait la plus absolue discrétion de son domestique breton.
— Vous voilà par ici, mademoiselle, dit René à Suzanne en la voyant entrer; c'est pas votre jour, nous n'avons point de linge à donner à madame Lardot.
— Grosse bête, dit Suzanne en riant.
La jolie fille monta, laissant René achever une écuellée de galette de sarrasin cuite dans du lait. Du Bousquier se trouvait encore au lit, occupé à paresser, à remâcher les plans que lui suggérait son ambition, car il ne pouvait plus être qu'ambitieux, comme tous les hommes qui ont trop pressé l'orange du plaisir. L'ambition et le jeu sont inépuisables. Aussi, chez un homme bien organisé, les passions qui procèdent du cerveau survivront-elles toujours aux passions émanées du cœur.
— Me voilà, dit Suzanne en s'asseyant sur le lit en en faisant crier les rideaux sur les tringles par un mouvement de brusquerie despotique.
— Quesaco, ma charmante? dit le vieux garçon en se mettant sur son séant.
— Monsieur, dit gravement Suzanne, vous devez être étonné de me voir venir ainsi, mais je me trouve dans des circonstances qui m'obligent à ne pas m'inquiéter du qu'en dira-t-on.
— Qu'est-ce que c'est que ça! fit du Bousquier en se croisant les bras.
— Mais ne me comprenez-vous pas? dit Suzanne. Je sais, reprit-elle en faisant une gentille petite moue, combien il est ridicule à une pauvre fille de venir tracasser un garçon pour ce que vous regardez comme des misères. Mais si vous me connaissiez bien, monsieur, si vous saviez tout ce dont je suis capable pour l'homme qui s'attacherait à moi, autant que je m'attacherais à vous, vous n'auriez jamais à vous repentir de m'avoir épousée. Ce n'est pas ici, par exemple, que je pourrais vous être utile à grand'chose; mais si nous allions à Paris, vous verriez où je conduirais un homme d'esprit et de moyens comme vous, dans un moment où l'on refait le gouvernement de fond en comble, et où les étrangers sont les maîtres. Enfin, entre nous soit dit, ce dont il est question, est-ce un malheur? n'est-ce pas un bonheur que vous payeriez cher un jour? A qui vous intéresserez-vous, pour qui travaillerez-vous?
— Pour moi, donc! s'écria brutalement du Bousquier.
— Vieux monstre, vous ne serez jamais père! dit Suzanne en donnant à sa phrase l'accent d'une malédiction prophétique.
— Allons, pas de bêtises, Suzanne, reprit du Bousquier, je crois que je rêve encore.
— Mais quelle réalité vous faut-il donc? s'écria Suzanne en se levant.
Du Bousquier frotta son bonnet de coton sur sa tête par un mouvement de rotation d'une énergie brouillonne qui indiquait une prodigieuse fermentation dans ses idées.
— Mais il le croit, se dit Suzanne à elle-même, et il en est flatté. Mon Dieu, comme il est facile de les attraper, ces hommes!
— Suzanne, que diable veux-tu que je fasse? il est si extraordinaire... Moi qui croyais... Le fait est que... mais non, non, cela ne se peut pas...
— Comment, vous ne pouvez pas m'épouser?
— Ah! pour ça, non! J'ai des engagements.
— Est-ce avec mademoiselle de Gordes ou avec mademoiselle Cormon, qui, toutes les deux, vous ont déjà refusé? Écoutez, monsieur du Bousquier, mon honneur n'a pas besoin de gendarmes pour vous traîner à la Mairie. Je ne manquerai point de maris, et ne veux point d'un homme qui ne sait pas apprécier ce que je vaux. Un jour vous pourrez vous repentir de la manière dont vous vous conduisez, parce que rien au monde, ni or, ni argent, ne me fera vous rendre votre bien, si vous refusez de le prendre aujourd'hui.
— Mais, Suzanne, es-tu sûre?..
— Ah! monsieur! fit la grisette en se drapant dans sa vertu, pour qui me prenez-vous? Je ne vous rappelle point les paroles que vous m'avez données, et qui ont perdu une pauvre fille dont le seul défaut est d'avoir autant d'ambition que d'amour.
Du Bousquier était livré à mille sentiments contraires, à la joie, à la défiance, au calcul. Il avait résolu depuis longtemps d'épouser mademoiselle Cormon, car la charte, sur laquelle il venait de ruminer, offrait à son ambition la magnifique voie politique de la députation. Or, son mariage avec la vieille fille devait le poser si haut dans la ville qu'il y acquerrait une grande influence. Aussi l'orage soulevé par la malicieuse Suzanne le plongea-t-il dans un violent embarras. Sans cette secrète espérance, il aurait épousé Suzanne sans même y réfléchir. Il se serait placé franchement à la tête du parti libéral d'Alençon. Après un pareil mariage, il renonçait à la première société pour retomber dans la classe bourgeoise des négociants, des riches fabricants, des herbagers qui certainement le porteraient en triomphe comme leur candidat. Du Bousquier prévoyait déjà le Côté Gauche. Cette délibération solennelle, il ne la cachait pas, il se passait la main sur la tête, et se tortillait les cheveux, car le bonnet était tombé. Comme toutes les personnes qui dépassent leur but et trouvent mieux que ce qu'elles espéraient, Suzanne restait ébahie. Pour cacher son étonnement, elle prit la pose mélancolique d'une fille abusée devant son séducteur; mais elle riait intérieurement comme une grisette en partie fine.
— Ma chère enfant, je ne donne pas dans de semblables godans, MOI!
Telle fut la phrase brève par laquelle se termina la délibération de l'ancien fournisseur. Du Bousquier se faisait gloire d'appartenir à cette école de philosophes cyniques qui ne veulent pas être attrapés par les femmes, et