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qu'il avait l'habitude de regarder pendant ses méditations, de même le bon abbé ne put obtenir le même élan dans ses prières en marchant à travers des allées sans ombre. Du Bousquier avait fait planter un jardin anglais!

      — C'était mieux, disait madame du Bousquier sans le penser, mais l'abbé Couturier l'avait autorisée à commettre beaucoup de choses pour plaire à son mari.

      Cette restauration ôta tout son lustre, sa bonhomie, son air patriarcal à la vieille maison. Semblable au chevalier de Valois dont l'incurie pouvait passer pour une abdication, de même la majesté bourgeoise du salon des Cormon n'exista plus quand il fut blanc et or, meublé d'ottomanes en acajou, et tendu de soie bleue. La salle à manger, ornée à la moderne, remplit les plats moins chauds, on n'y mangeait plus aussi bien qu'autrefois. Monsieur du Coudrai prétendit qu'il se sentait les calembours arrêtés dans le gosier par les figures peintes sur les murs, et qui le regardaient dans le blanc des yeux. A l'extérieur, la province y respirait encore; mais l'intérieur de la maison révélait le fournisseur du Directoire. Ce fut le mauvais goût de l'agent de change: des colonnes de stuc, des portes en glace, des profils grecs, des moulures sèches, tous les styles mêlés, une magnificence hors de propos. La ville d'Alençon glosa pendant quinze jours de ce luxe qui parut inouï; puis, quelques mois après, elle en fut orgueilleuse, et plusieurs riches fabricants renouvelèrent leur mobilier et se firent de beaux salons. Les meubles modernes commencèrent à se montrer dans la ville. On y vit des lampes astrales! L'abbé de Sponde pénétra l'un des premiers les malheurs secrets que ce mariage devait apporter dans la vie intime de sa nièce bien-aimée. Le caractère de simplicité noble qui régissait leur commune existence fut perdu dès le premier hiver, pendant lequel du Bousquier donna deux bals par mois. Entendre les violons et la profane musique des fêtes mondaines dans cette sainte maison! l'abbé priait à genoux pendant que durait cette joie! Puis, le système politique de ce grave salon fut lentement perverti. Le Grand-Vicaire devina du Bousquier: il frémit de son ton impérieux; il aperçut quelques larmes dans les yeux de sa nièce alors qu'elle perdit le gouvernement de sa fortune, et que son mari lui laissa seulement l'administration du linge, de la table et des choses qui sont le lot des femmes. Rose n'eut plus d'ordres à donner. La volonté de monsieur était seule écoutée par Jaquelin devenu exclusivement cocher, par René, le groom, par un chef venu de Paris, car Mariette ne fut plus que fille de cuisine. Madame du Bousquier n'eut que Josette à régenter. Sait-on combien il en coûte de renoncer aux délicieuses habitudes du pouvoir? Si le triomphe de la volonté est un des enivrants plaisirs de la vie des grands hommes, il est toute la vie des êtres bornés. Il faut avoir été ministre et disgracié pour connaître l'amère douleur qui saisit madame du Bousquier, alors qu'elle fut réduite à l'ilotisme le plus complet. Elle montait souvent en voiture contre son gré, elle voyait des gens qui ne lui convenaient pas; elle n'avait plus le maniement de son cher argent, elle qui s'était vue libre de dépenser ce qu'elle voulait et qui alors ne dépensait rien. Toute limite imposée n'inspire-t-elle pas le désir d'aller au delà? Les souffrances les plus vives ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié? Ces commencements furent des roses. Chaque concession faite à l'autorité maritale fut alors conseillée par l'amour de la pauvre fille pour son époux. Du Bousquier se comporta d'abord admirablement pour sa femme; il fut excellent, il lui donna des raisons valables à chaque nouvel empiétement. Cette chambre, si long-temps déserte, entendit le soir la voix des deux époux au coin du feu. Aussi, pendant les deux premières années de son mariage, madame du Bousquier se montra-t-elle très-satisfaite. Elle avait ce petit air délibéré, finaud qui distingue les jeunes femmes après un mariage d'amour. Le sang ne la tourmentait plus. Cette contenance dérouta les rieurs, démentit les bruits qui couraient sur du Bousquier et déconcerta les observateurs du cœur humain. Rose-Marie-Victoire craignait tant, en déplaisant à son époux, en le heurtant, de le désaffectionner, d'être privée de sa compagnie, qu'elle lui aurait sacrifié tout, même son oncle. Les petites joies niaises de madame du Bousquier trompèrent le pauvre abbé de Sponde, qui supporta mieux ses souffrances personnelles en pensant que sa nièce était heureuse. Alençon pensa d'abord comme l'abbé. Mais il y avait un homme plus difficile à tromper que toute la ville! Le chevalier de Valois, réfugié sur le mont sacré de la haute aristocratie, passait sa vie chez les Gordes; il écoutait les médisances et les caquetages, il pensait nuit et jour à ne pas mourir sans vengeance. Il avait abattu l'homme aux calembours, il voulait atteindre du Bousquier au cœur. Le pauvre abbé comprit les lâchetés du premier et dernier amour de sa nièce, il frémit en devinant la nature hypocrite de son neveu, et ses manœuvres perfides. Quoique du Bousquier se contraignît en pensant à la succession de son oncle, et ne voulût lui causer aucun chagrin, il lui porta un dernier coup qui le mit au tombeau. Si vous voulez expliquer le mot intolérance par le mot fermeté de principes, si vous ne voulez pas condamner dans l'âme catholique de l'ancien Grand-Vicaire le stoïcisme que Walter Scott vous fait admirer dans l'âme puritaine du père de Jeanie Deans, si vous voulez reconnaître dans l'Église romaine le potiùs mori quàm fœdari que vous admirez dans l'opinion républicaine, vous comprendrez la douleur qui saisit le grand abbé de Sponde alors qu'il vit dans le salon de son neveu le prêtre apostat, renégat, relaps, hérétique, l'ennemi de l'Église, le curé fauteur du serment constitutionnel. Du Bousquier, dont la secrète ambition était de régenter le pays, voulut, pour premier gage de son pouvoir, réconcilier le desservant de Saint-Léonard avec le curé de la paroisse, et il atteignit à son but. Sa femme crut accomplir une œuvre de paix, là où, selon l'incommutable abbé, il y avait trahison. Monsieur de Sponde se vit seul dans sa foi. L'évêque vint chez du Bousquier et parut satisfait de la cessation des hostilités. Les vertus de l'abbé François avaient tout vaincu, excepté le Romain Catholique capable de s'écrier avec Corneille:

      Mon Dieu, que de vertus vous me faites haïr!

      L'abbé mourut quand expira l'Orthodoxie dans le diocèse.

      En 1819, la succession de l'abbé de Sponde porta les revenus territoriaux de madame du Bousquier à vingt-cinq mille livres, sans compter ni le Prébaudet, ni la maison du Val-Noble. Ce fut vers ce temps que du Bousquier rendit à sa femme le capital des économies qu'elle lui avait livrées; il le lui fit employer à l'acquisition de biens contigus au Prébaudet, et rendit ainsi ce domaine l'un des plus considérables du Département, car les terres appartenant à l'abbé de Sponde jouxtaient celles du Prébaudet. Personne ne connaissait la fortune personnelle de du Bousquier, il faisait valoir ses capitaux chez les Keller à Paris, où il faisait quatre voyages par an. Mais, à cette époque, il passa pour l'homme le plus riche du département de l'Orne. Cet homme habile, l'éternel candidat des Libéraux, à qui sept ou huit voix manquèrent constamment dans toutes les batailles électorales livrées sous la Restauration, et qui ostensiblement répudiait les Libéraux en voulant se faire élire comme royaliste ministériel, sans pouvoir jamais vaincre les répugnances de l'administration, malgré le secours de la congrégation et de la magistrature; ce républicain haineux, enragé d'ambition, conçut de lutter avec le royalisme et l'aristocratie dans ce pays, au moment où ils y triomphaient. Du Bousquier s'appuya sur le sacerdoce par les trompeuses apparences d'une piété bien jouée: il accompagna sa femme à la messe, il donna de l'argent pour les couvents de la ville, il soutint la congrégation du Sacré-Cœur, il se prononça pour le clergé dans toutes les occasions où le clergé combattit la Ville, le Département ou l'État. Secrètement soutenu par les Libéraux, protégé par l'Église, demeurant royaliste constitutionnel, il côtoya sans cesse l'aristocratie du département pour la ruiner, et il la ruina. Attentif aux fautes commises par les sommités nobiliaires et par le gouvernement, il réalisa, la bourgeoisie aidant, toutes les améliorations que la Noblesse, la Pairie et le Ministère devaient inspirer, diriger, et qu'ils entravaient par suite de la niaise jalousie des pouvoirs en France. L'opinion constitutionnelle l'emporta dans l'affaire du curé, dans l'érection du théâtre, dans toutes les questions d'agrandissement pressenties par du Bousquier, qui les faisait proposer par le parti libéral, auquel il s'adjoignait au plus fort des débats, en objectant le bien du pays. Du Bousquier industrialisa le Département. Il accéléra la prospérité de la province en haine des familles logées sur la route de Bretagne. Il préparait ainsi sa vengeance contre les gens à châteaux, et surtout contre les Gordes, au sein desquels un jour il fut sur le point d'enfoncer

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