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de liée la veille, un bon dîner donné par quelqu'un, une soirée de jeu, un souper. Philippe vécut alors comme dans son élément. Ce carnaval, qui dura dix-huit mois, n'alla pas sans soucis. La belle Mariette, lors de son début à l'Opéra, en janvier 1821, soumit à sa loi l'un des ducs les plus brillants de la cour de Louis XVIII. Philippe essaya de lutter contre le duc; mais, malgré quelque bonheur au jeu, au renouvellement du mois d'avril il fut obligé, par sa passion, de puiser dans la caisse du journal. Au mois de mai, il devait onze mille francs. Dans ce mois fatal, Mariette partit pour Londres y exploiter les lords pendant le temps qu'on bâtissait la salle provisoire de l'Opéra, dans l'hôtel Choiseul, rue Lepelletier. Le malheureux Philippe en était arrivé, comme cela se pratique, à aimer Mariette malgré ses patentes infidélités; mais elle n'avait jamais vu dans ce garçon qu'un militaire brutal et sans esprit, un premier échelon sur lequel elle ne voulait pas long-temps rester. Aussi, prévoyant le moment où Philippe n'aurait plus d'argent, la danseuse avait-elle su conquérir des appuis dans le journalisme qui la dispensaient de conserver Philippe; néanmoins, elle eut la reconnaissance particulière à ces sortes de femmes pour celui qui, le premier, leur a pour ainsi dire aplani les difficultés de l'horrible carrière du théâtre.

      Forcé de laisser aller sa terrible maîtresse à Londres sans l'y suivre, Philippe reprit ses quartiers d'hiver, pour employer ses expressions, et revint rue Mazarine dans sa mansarde; il y fit de sombres réflexions en se couchant et se levant. Il sentit en lui-même l'impossibilité de vivre autrement qu'il n'avait vécu depuis un an. Le luxe qui régnait chez Mariette, les dîners et les soupers, la soirée dans les coulisses, l'entrain des gens d'esprit et des journalistes, l'espèce de bruit qui se faisait autour de lui, toutes les caresses qui en résultaient pour les sens et pour la vanité; cette vie, qui ne se trouve d'ailleurs qu'à Paris, et qui offre chaque jour quelque chose de neuf, était devenue plus qu'une habitude pour Philippe; elle constituait une nécessité comme son tabac et ses petits verres. Aussi reconnut-il qu'il ne pouvait pas vivre sans ces continuelles jouissances. L'idée du suicide lui passa par la tête, non pas à cause du déficit qu'on allait reconnaître dans sa caisse, mais à cause de l'impossibilité de vivre avec Mariette et dans l'atmosphère de plaisirs où il se chafriolait depuis un an. Plein de ces sombres idées, il vint pour la première fois dans l'atelier de son frère qu'il trouva travaillant, en blouse bleue, à copier un tableau pour un marchand.

      – Voici donc comment se font les tableaux? dit Philippe pour entrer en matière.

      – Non, répondit Joseph, mais voilà comment ils se copient.

      – Combien te paye-t-on cela?

      – Hé! jamais assez, deux cent cinquante francs; mais j'étudie la manière des maîtres, j'y gagne de l'instruction, je surprends les secrets du métier. Voilà l'un de mes tableaux, lui dit-il en lui indiquant du bout de sa brosse une esquisse dont les couleurs étaient encore humides.

      – Et que mets-tu dans ton sac par année, maintenant?

      – Malheureusement je ne suis encore connu que des peintres. Je suis appuyé par Schinner qui doit me procurer des travaux au château de Presles où j'irai vers octobre faire des arabesques, des encadrements, des ornements très-bien payés par le comte de Sérizy. Avec ces brocantes-là, avec les commandes des marchands, je pourrai désormais faire dix-huit cents à deux mille francs, tous frais payés. Bah! à l'Exposition prochaine, je présenterai ce tableau-là; s'il est goûté, mon affaire sera faite: mes amis en sont contents.

      – Je ne m'y connais pas, dit Philippe d'une voix douce qui força Joseph à le regarder.

      – Qu'as-tu? demanda l'artiste en trouvant son frère pâli.

      – Je voudrais savoir en combien de temps tu ferais mon portrait.

      – Mais en travaillant toujours, si le temps est clair, en trois ou quatre jours j'aurai fini.

      – C'est trop de temps, je n'ai que la journée à te donner. Ma pauvre mère m'aime tant que je voulais lui laisser ma ressemblance. N'en parlons plus.

      – Eh! bien, est-ce que tu t'en vas encore?

      – Je m'en vais pour ne plus revenir, dit Philippe d'un air faussement gai.

      – Ah ça! Philippe, mon ami, qu'as-tu? Si c'est quelque chose de grave, je suis un homme, je ne suis pas un niais; je m'apprête à de rudes combats; et, s'il faut de la discrétion, j'en aurai.

      – Est-ce sûr?

      – Sur mon honneur.

      – Tu ne diras rien à qui que ce soit au monde?

      – A personne.

      – Eh! bien, je vais me brûler le cervelle.

      – Toi! tu vas donc te battre?

      – Je vais me tuer.

      – Et pourquoi?

      – J'ai pris onze mille francs dans ma caisse, et je dois rendre mes comptes demain, mon cautionnement sera diminué de moitié; notre pauvre mère sera réduite à six cents francs de rente. Ça! ce n'est rien, je pourrais lui rendre plus tard une fortune; mais je suis déshonoré! Je ne veux pas vivre dans le déshonneur.

      – Tu ne seras pas déshonoré pour avoir restitué, mais tu perdras ta place, il ne te restera plus que les cinq cents francs de ta croix, et avec cinq cents francs on peut vivre.

      – Adieu! dit Philippe qui descendit rapidement et ne voulut rien entendre.

      Joseph quitta son atelier et descendit chez sa mère pour déjeuner; mais la confidence de Philippe lui avait ôté l'appétit. Il prit la Descoings à part et lui dit l'affreuse nouvelle. La vieille femme fit une épouvantable exclamation, laissa tomber un poêlon de lait qu'elle avait à la main, et se jeta sur une chaise. Agathe accourut. D'exclamations en exclamations, la fatale vérité fut avouée à la mère.

      – Lui! manquer à l'honneur! le fils de Bridau prendre dans la caisse qui lui est confiée!

      La veuve trembla de tous ses membres, ses yeux s'agrandirent, devinrent fixes, elle s'assit et fondit en larmes.

      – Où est-il? s'écria-t-elle au milieu de ses sanglots. Peut-être s'est-il jeté dans la Seine!

      – Il ne faut pas vous désespérer, dit la Descoings, parce que le pauvre garçon a rencontré une mauvaise femme, et qu'elle lui a fait faire des folies. Mon Dieu! cela se voit souvent. Philippe a eu jusqu'à son retour tant d'infortunes, et il a eu si peu d'occasions d'être heureux et aimé, qu'il ne faut pas s'étonner de sa passion pour cette créature. Toutes les passions mènent à des excès! J'ai dans ma vie un reproche de ce genre à me faire, et je me crois cependant une honnête femme! Une seule faute ne fait pas le vice! Et puis, après tout, il n'y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent pas!

      Le désespoir d'Agathe l'accablait tellement que la Descoings et Joseph furent obligés de diminuer la faute de Philippe en lui disant que dans toutes les familles il arrivait de ces sortes d'affaires.

      – Mais il a vingt-huit ans, s'écriait Agathe, et ce n'est plus un enfant.

      Mot terrible et qui révèle combien la pauvre femme pensait à la conduite de son fils.

      – Ma mère, je t'assure qu'il ne songeait qu'à ta peine et au tort qu'il te fait, lui dit Joseph.

      – Oh! mon Dieu, qu'il revienne! qu'il vive, et je lui pardonne tout! s'écria la pauvre mère à l'esprit de laquelle s'offrit l'horrible tableau de Philippe retiré mort de l'eau.

      Un sombre silence régna pendant quelques instants. La journée se passa dans les plus cruelles alternatives. Tous les trois ils s'élançaient à la fenêtre du salon au moindre bruit, et se livraient à une foule de conjectures. Pendant le temps où sa famille se désolait, Philippe mettait tranquillement tout en ordre à sa caisse. Il eut l'audace de rendre ses comptes en disant que, craignant quelque malheur, il avait les onze mille francs chez lui. Le drôle sortit à quatre heures en prenant cinq cents francs de plus à sa caisse, et monta froidement au jeu, où il n'était pas allé depuis qu'il occupait sa place, car il avait bien compris qu'un caissier ne peut pas hanter les maisons de jeu. Ce garçon

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