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rien à vingt-trois ans de ce que les autres font gloire de savoir à cinquante, Monsieur de la Morlière, dont les mœurs sont si belles, et la façon d’obliger si charmante, Monsieur le Comte de Brienne, de qui le bel esprit répond si bien à sa grande naissance, eurent pour lui toute l’estime qui fait la véritable amitié, dont à l’envi ils prirent plaisir de lui donner des marques très sensibles. Je ne particulariserai rien de ce fort esprit, de ce tout savant, de cet infatigable à produire tant de bonnes et si utiles choses, Monsieur l’Abbé de Villeloin, parce que je n’ai pas eu l’honneur de le pratiquer, mais je puis assurer que Monsieur de Bergerac s’en louait extrêmement, et qu’il en avait reçu plusieurs témoignages de beaucoup de bonté.

      J’aurais ajouté que, pour complaire à ses amis qui lui conseillaient de se faire un Patron qui l’appuyât à la Cour, ou ailleurs, il vainquit le grand amour qu’il avait pour sa liberté, et que, jusqu’au jour qu’il reçut à la tête le coup dont j’ai parlé, il demeura auprès de Monsieur le Duc d’Arpajon, à qui même il dédia tous ses Ouvrages; mais, parce que dans sa maladie il se plaignit d’en avoir été abandonné, j’ai cru ne pas devoir décider si ce fut par un effet du malheur général pour tous les petits, et commun à tous les grands, qui ne se souviennent des services qu’on leur rend que dans le temps qu’ils les reçoivent, ou si ce n’était point un secret du Ciel, qui, voulant l’ôter sitôt du monde, voulait aussi lui inspirer le peu de regret qu’on doit avoir de quitter ce qui nous y semble de plus beau, et qui pourtant ne l’est pas toujours.

      Je ferais tort à Monsieur Roho, si je n’ajoutais son nom sur une liste si glorieuse, puisque cet illustre mathématicien, qui a tant fait de belles épreuves physiques, et qui n’est pas moins aimable pour sa bonté et sa modestie que relevé au-dessus du commun par sa science, eut tant d’amitié pour Monsieur de Bergerac, et s’intéressa de telle sorte pour ce qui le touchait, qu’il fut le premier qui découvrit la véritable cause de sa maladie, et qui rechercha soigneusement, avec tous ses amis, les moyens de l’en délivrer; mais Monsieur des Boisclairs, qui jusque dans ses moindres actions n’a rien que d’héroïque, crut trouver en Monsieur de Bergerac une trop belle occasion de satisfaire sa générosité, pour en laisser la gloire aux autres, qu’il résolut de prévenir, et qu’il prévint en effet, dans une conjoncture d’autant plus utile à son ami, que l’ennui de sa longue captivité le menaçait d’une prompte mort, dont une violente fièvre avait même déjà commencé le triste prélude. Mais cet ami sans pair l’interrompit, par un intervalle de quatorze mois, qu’il le garda chez lui, et il eût eu, avec la gloire que méritent tant de grands soins et tant de bons traitements qu’il lui fit, celle de lui avoir conservé la vie, si ses jours n’eussent été comptés et bornés à la trente-cinquième année de son âge, qu’il finit à la campagne chez Monsieur de Cyrano, son cousin, dont il avait reçu de grands témoignages d’amitié, de qui les conversations, si savantes dans l’Histoire du temps présent et du passé, lui plaisaient extrêmement, et chez qui, par une affectation de changer d’air qui précède la mort, et qui en est un symptôme presque certain dans la plupart des malades, il se fit porter, cinq jours avant de mourir.

      Je crois que c’est rendre à Monsieur le Maréchal de Gassion une partie de l’honneur qu’on doit à sa mémoire, de dire qu’il aimait les gens d’esprit et de cœur, parce qu’il se connaissait en tous les deux, et que, sur le récit que Messieurs de Cavois et de Cuigy lui firent de Monsieur de Bergerac, il le voulut avoir auprès de lui. Mais la liberté dont il était encore idolâtre (car il ne s’attacha que longtemps après à M. d’Arpajon) ne put jamais lui faire considérer un si grand homme que comme un maître; de sorte qu’il aima mieux n’en être pas connu et être libre, que d’en être aimé et être contraint; et même cette humeur, si peu soucieuse de la fortune, et si peu des gens du temps, lui fit négliger plusieurs belles connaissances que la Révérende Mère Marguerite, qui l’estimait particulièrement, voulut lui procurer; comme s’il eût pressenti que ce qui fait le bonheur de cette vie lui eût été inutile pour s’assurer celui de l’autre. Ce fut la seule pensée qui l’occupa sur la fin de ses jours d’autant plus sérieusement, que Madame de Neuvillette, cette femme toute pieuse, toute charitable, toute à son prochain, parce quelle est toute à Dieu, et de qui il avait l’honneur d’être parent du côté de la noble famille des Bérangers, y contribua, de sorte qu’enfin le libertinage, dont les jeunes gens sont pour la plupart soupçonnés, lui parut un monstre, pour lequel je puis témoigner qu’il eut depuis cela toute l’aversion qu’en doivent avoir ceux qui veulent vivre chrétiennement.

      J’augurai ce grand changement, quelque temps avant sa mort, de ce que, lui ayant un jour reproché la mélancolie qu’il témoignait dans les lieux où il avait accoutumé de dire les meilleures et les plus plaisantes choses, il me répondit que c’était à cause que, commençant à connaître le monde, il s’en désabusait; et qu’enfin il se trouvait dans un état où il prévoyait que dans peu la fin de sa vie serait la fin de ses disgrâces; mais qu’en vérité son plus grand déplaisir était de ne l’avoir pas mieux employée:

      Iam invenes vides, me dit-il,

      Insteteum ferior œtas

      Merentem stultos preterisse dies.

      «Et en vérité, ajouta-t-il, je crois que Tibulle prophétisait de moi, quand il parlait de la sorte; car personne n’eut jamais tant de regret que j’en ai de tant de beaux jours passés si inutilement.»

      Tu me dois pardonner cette digression, Lecteur, et si je me suis si fort étendu sur le mérite d’un ami, sa mort m’exempte du blâme que j’aurais encouru de l’avoir voulu flatter, outre que de si belles choses ne sauraient jamais déplaire. Pour donc reprendre la suite des autorités sur lesquelles il s’est fondé, je dis que le Démon dont il se fait servir si utilement pendant son séjour dans la Lune n’est pas une chose inouïe, puisque Thalès et Héraclite ont dit que le monde en était rempli; outre ce qu’on a publié de ceux de Socrate, de Dion, de Brutus, et de plusieurs autres. La pluralité des mondes, dont il a parlé, est appuyée sur le sentiment de Démocrite, qui l’a soutenue; de même que l’infini et les petits corps ou atomes, dont il a discouru en quelques endroits après ce Philosophe, Epicure et Lucrèce.

      Le mouvement qu’il donne à la Terre n’est pas nouveau, puisque Pythagore, Philolaus et Aristarque soutinrent autrefois qu’elle tournait autour du Soleil, qu’ils mettaient au centre du monde. Leucippe, et plusieurs autres ont presque dit la même chose; mais Copernic, dans le dernier siècle, l’a soutenue plus hautement que tous, puisqu’il a changé le système de Ptolémée, auparavant suivi de tous les Astronomes, dont la plupart approuvent aujourd’hui celui de Copernic, d’autant plus simple et plus aisé, qu’il met le Soleil au centre du Monde, la Terre entre les Planètes, à la place que Ptolémée y donne au Soleil, c’est-à-dire qu’il fait mouvoir autour du Soleil la sphère de Mercure, puis celle de Vénus, puis celle de la Terre, au bord de laquelle il met un Epicicle, sur lequel il fait tourner la Lune autour de la Terre, et achever sa révolution en vingt-sept jours, outre celle qu’il lui fait faire avec la même Terre autour du Soleil en un an.

      Je te confesserai toutefois, Lecteur, que ce changement m’est indifférent, parce que je ne professe point ces Sciences, qui sont trop abstraites pour moi; et je te proteste que tout ce que j’en sais ne consiste qu’en quelques termes que me fournit la mémoire de quelque lecture des ouvrages qui en traitent. C’est pourquoi je déclare que, par ce que j’ai dit de Copernic, je n’ai point prétendu offenser Ptolémée; il me suffit que Cœli enarrant gloriam Dei, et que leur admirable structure me prouve qu’ils ne sont point l’ouvrage de la main des hommes. Quoi qu’en ait dit Ptolémée, ils ne sont que ce qu’ils ont toujours été; et, quelque changement qu’y ait apporté Copernic, ils sont demeurés dans le même lieu et dans la même fonction que leur a donnés l’Etre Souverain, qui, sans changer, peut seul changer toutes choses. J’ai dit, au commencement de ce discours, le sujet qui me l’a fait entreprendre; et, dans la suite, on peut connaître comment et pourquoi j’ai cité, tous ces Savants. Je te prie, Lecteur, de t’en souvenir, afin de justifier le peu ou point de déférence que j’ai pour tout ce qui peut commettre la vérité

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