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faire un refus: je vois bien que c'en est un. Vous voulez donc que je mène une vie languissante? Eh bien! il faudra vous contenter et vous faire voir que, bien que je sois au-dessus du reste des hommes, j'ai pourtant un cœur susceptible pour les belles choses: j'appelle belles choses cet esprit brillant que l'on voit en vous, cette grandeur d'âme que vous faites paroître jusque dans les moindres choses, en un mot vos perfections, qui m'ont charmé.»

      Il n'en dit pas davantage pour lors, et en sortant il lui fit une profonde révérence, et lui dit: «Songez, songez à ce que je vous ai dit, Mademoiselle.» Elle n'eut pas le temps d'y répondre, parce que le Roi entra chez la Montespan, où son chagrin ne lui permit pas de demeurer longtemps.

      Lorsqu'il fut parti, mademoiselle Scarron repassa toute sa conversation dans son esprit: elle se représentoit la passion avec laquelle le Roi s'étoit exprimé, et ne douta plus qu'elle ne fût aimée. Elle prit néanmoins la résolution de dissimuler encore un peu, afin que son peu de résistance pût augmenter le désir du Roi; en quoi elle réussit fort admirablement bien, car, ayant encore souffert deux de ses visites sans vouloir se déclarer, elle le mit dans une forte passion, et, résolu de la vaincre, il lui écrivit la lettre suivante:

Lettre du Roi a Mademoiselle Scarron

      Je dois avouer, Mademoiselle, que votre résistance a lieu de m'étonner, moi qui suis accoutumé qu'on me fasse des avances, et à n'être jamais refusé. J'ai toujours cru qu'étant roi, il n'y avoit qu'à donner une marque de désir, pour obtenir; mais je vois dans vos rigueurs tout le contraire, et ce n'est que pour vous prier de les adoucir que je vous écris. Au nom de Dieu, aimez-moi, ma chère, ou du moins faites comme si vous m'aimiez. Je vous irai voir sur le soir; mais si vous ne m'êtes pas plus favorable que dans mes précédentes visites, vous réduirez au dernier désespoir le plus passionné des amants.

      Elle eut une joie incroyable de cette lettre, et résolut de se rendre dès ce même soir à ses volontés, afin de ne le point aigrir par une résistance affectée. Madame de Montespan, qui s'aperçut de cette intrigue, en fut, comme l'on peut croire, au désespoir; mais comme elle a beaucoup de politique, elle dissimula son ressentiment et n'en fit rien paroître. Cependant, le Roi arrivant dans sa chambre, elle tâcha de le retenir auprès d'elle par ses caresses; mais il avoit autre chose en tête, il vouloit savoir l'effet qu'avoit fait sa lettre. Il la quitta donc assez précipitamment et courut à l'appartement de sa nouvelle maîtresse. D'abord qu'elle l'aperçut, elle se mit en devoir de pleurer. Le Roi en voulut savoir la cause. «Hélas! Sire, je pleure, dit-elle, ma foiblesse, qui laisse vaincre mon devoir et mon honneur; car enfin il m'est à présent impossible de plus résister à votre volonté: vous êtes mon Roi, je vous dois tout… – Mais non, Mademoiselle, lui dit-il, je ne veux pas que vous fassiez rien par un devoir forcé. Je me dépouille auprès de vous de ma qualité de souverain; dépouillez-vous de celle de cruelle, et agissez par un amour réciproque en aimant celui qui vous aime.»

      Il lui dit ensuite quantité de choses fort tendres, auxquelles elle se laissa gagner, et ainsi le Roi vint dans ce moment à bout de son dessein104; après diverses caresses réitérées, ils se séparèrent. A quelques jours de là, le Roi lui fit meubler un magnifique appartement, qu'il la pria d'accepter; et ne voulant pas qu'elle fût en rien moindre que ses autres précédentes maîtresses, il lui chercha un titre, et enfin il lui donna celui de marquise de Maintenon105; mais comme ce n'étoit qu'un titre honoraire106, le Roi lui acheta cette terre du marquis de Maintenon107, lequel la vendit volontiers, et eut, tant de Sa Majesté que d'elle, de grandes gratifications; car il a eu pendant quatre ou cinq ans une frégate dans l'Amérique, défrayée par le Roi à son profit, et encore la permission de pirater sur les Espagnols; et s'il avoit eu du cœur et eût su ménager sa fortune, lorsque les flibustiers le prirent pour aller avec eux, sans contredit il seroit l'homme de la France le plus puissant en argent; mais, bien loin d'entreprendre rien, il a toujours eu assez de lâcheté pour se dérober de la flotte lorsqu'il a fallu en venir aux coups. Cependant, lors du partage, il n'en faisoit pas de même, car il aimoit bien d'avoir son lot; mais on le chargeoit de confusion, et à présent il est tellement haï de ces gens-là qu'un parti d'entre eux l'ayant saisi dans l'année 1685, qu'il venoit d'Europe à la Martinique, le voulut tuer, lui et sa femme, après les avoir pillés; néanmoins la compassion l'emporta et ils lui laissèrent la vie, et, lui ayant ôté son navire, ne lui laissèrent qu'une petite chaloupe pour se rendre à terre. Mais si jamais il est rencontré une seconde fois, il ne le sera jamais à la troisième. Le Roi, ayant donc fait cet achat, n'épargna rien pour le rendre un lieu agréable108.

      Madame Scarron, que nous nommerons à présent madame de Maintenon, n'oublioit rien pour en marquer au Roi ses reconnoissances: elle étoit assidûment deux heures le jour seule avec lui, et le Roi souvent lui communiquoit des affaires d'importance et suivoit aussi quelquefois ses avis, qu'il avoit trouvés bons en diverses occasions.

      Cependant elle ne s'enorgueillissoit point auprès de madame de Montespan, et agissoit toujours avec elle avec respect et modération, ce qui les a tenues assez longtemps de bonne intelligence ensemble109.

Les révérends pères jésuites110 n'eurent pas plutôt aperçu cette élévation de la Maintenon qu'ils résolurent de la gagner aussi de leur côté. Ils lui rendirent toutes sortes de devoirs et de soumissions, de quoi ils sont assez larges quand il s'agit de leur profit. Ils ordonnèrent aux révérends pères La Chaise111 et Bourdaloue112 d'en louer Sa Majesté, et de lui insinuer qu'il ne pouvoit faire un choix plus digne d'entretenir l'esprit d'un grand prince que celui qu'il avoit fait en elle. Ils s'insinuèrent donc tellement dans son esprit, qu'elle avoit de la joie de les voir chez elle. Et pour témoigner la confiance qu'elle avoit en leur ordre, elle en choisit un pour le directeur113 de sa conscience, se fit du tiers ordre de la Société114, et voulut même porter le nom de Fille de la Société115.

      Mais comme le changement que le Roi faisoit souvent de maîtresse donnoit de la peine à la Société, parce qu'il falloit à chaque fois faire de nouvelles intrigues pour s'acquérir les bonnes grâces de la dame aimée116; [et cette dernière, qui craignoit aussi, de son côté, de tomber du pinacle où elle se voyoit élevée, crut que pour pouvoir s'y maintenir elle devoit s'acquérir les bonnes grâces des révérends pères Jésuites, et en particulier l'amitié du confesseur du Roi, ce qui ne fut pas fort difficile, parce que les révérends pères avoient un même désir. Il y eut pour ce sujet plusieurs assemblées des plus notables du corps au collége de Montaigu; mais enfin], ils ne trouvèrent pas de meilleur moyen pour fixer le Roi à madame de Maintenon et l'attacher entièrement à la Société que de faire trouver bon à ce grand monarque de faire avec elle un mariage de conscience, et de l'épouser secrètement de la main gauche117, puisque c'étoit la seule maîtresse qui lui étoit restée et qui apparemment lui plaisoit le plus. Cet avis ne fut pas rejeté; au contraire, il fut généralement approuvé; et comme il n'y avoit que le père La Chaise, son confesseur, qui pût disposer les affaires pour l'accomplissement de ce mariage, l'on trouva bon, avant toutes choses, de le charger d'en dire quelques mots à cette dame et de lui faire espérer cet honneur, pourvu qu'elle voulût bien se dévouer entièrement à la Société. Le père Bourdaloue (qui avoit l'avantage de lui plaire par ses prédications) fut aussi député de son côté pour faire les mêmes propositions, et il est facile de se persuader qu'elle les reçut avec une grande joie et des témoignages de reconnoissance, et avec une entière soumission; non pas, dit-elle, pour les honneurs, mais pour mettre ma conscience en repos. C'est, lui dirent les révérends Pères, le seul motif qui nous a poussés à travailler à cette grande affaire. Cette bonne dame, pénétrée de joie, baisa plusieurs fois la main du révérend

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<p>104</p>

Rien ne le prouve, au contraire, et ce passage d'une lettre souvent citée de madame de Maintenon est assez clair: «Je le renvoie souvent triste, mais jamais désespéré.»

<p>105</p>

«Il est vrai que le Roi m'a appelée madame de Maintenon, et que je ferois bien autre chose pour lui que de changer de nom.» A en croire Saint-Simon, ce titre ne fut obtenu du Roi qu'à la suite de négociations où le Roi auroit parlé de madame Scarron en des termes fort opposés à l'estime qu'il avoit pour elle.

<p>106</p>

On lit dans Madame de Maintenon peinte par elle-même: «C'étoit à une réponse bien naturelle du duc du Maine que madame de Maintenon avoit dû le premier bienfait de Louis XIV. Le Roi, dit madame de Maintenon, causant et jouant avec cet enfant, lui dit qu'il le trouvoit bien raisonnable. – Comment ne le serois-je pas? dit ce jeune prince, je suis élevé par la raison même. – Allez, lui dit le Roi, allez lui dire que je lui donne cent mille francs pour vos dragées. Sa pension de gouvernante n'étoit alors que de deux mille francs; le Roi la porta à deux mille écus.»

<p>107</p>

Le marquis de Maintenon étoit de la famille d'Angennes, d'où sont sortis les Rambouillet, les Montlouet, les du Fargis, etc. Charles-François d'Angennes, marquis de Maintenon, qui vendit son marquisat à la veuve de Scarron, étoit fils de Louis d'Angennes de Rochefort de Salvert, marquis de Maintenon, baron de Meslay, etc., qui avoit épousé en 1640 Marie Leclerc du Tremblay, nièce du fameux P. Joseph et fille du gouverneur de la Bastille. Louis de Maintenon étoit mort en 1658. Charles son fils fut nommé gouverneur de Marie-Galande en 1679 et conserva son emploi jusqu'au 1er janvier 1685. Il épousa Catherine Giraud, fille d'un capitaine de la milice de l'île Saint-Christophe, et c'est par son fils que se continua, au 18e siècle, cette dernière branche, qui survécut à toutes les autres de la famille d'Angennes.

<p>108</p>

Var.: L'édition de 1754 intercale encore ici quelques lignes. Après avoir dit: Le roi… n'épargna rien pour le rendre agréable à sa vieille», le romancier ajoute:

«Il y fit des dépenses innombrables et prodigieuses; il y fit aller des eaux, que, pour y faire rendre, il a fallu faire monter les montagnes et les traverser; il joignit, pour cet effet, les montagnes ensemble, par des travaux si pénibles à son pauvre peuple, qu'il en coûta la vie à plus de soixante mille âmes, et tout cela pour assouvir l'insatiable passion qui l'a toujours possédé.»

<p>109</p>

Voy. note 101 ci-dessus, p. 130.

<p>110</p>

Le parti religieux eut, à n'en pas douter, une très grande part dans l'élévation, assez peu rapide d'ailleurs, de madame de Maintenon. Ce parti étoit très contraire à madame de Montespan, mais ménageoit encore la favorite en la combattant. C'est seulement lorsque le crédit de madame de Maintenon fut établi d'une manière inébranlable que le refus d'absolution opposé à Louis XIV par son confesseur (carême de 1675, du 27 février au 14 avril) amena une séparation entre les deux amants. Madame de Maintenon étoit alors à Baréges. Le dissentiment qui existoit entre elle et madame de Montespan éclata alors, et alors aussi furent écrites par madame de Sévigné à sa fille les lettres que nous avons rappelées (note 101 ci-dessus, p. 130).

<p>111</p>

Le P. de La Chaise ne succéda au P. Ferrier dans l'emploi de confesseur du Roi qu'en 1675. C'est assez dire qu'il n'arriva à l'oreille du Roi que quand madame de Maintenon étoit déjà en grande faveur. Les lettres de madame de Maintenon montrent de sa part fort peu de goût pour le révérend Père.

<p>112</p>

Le P. Bourdaloue paroît avoir eu peu d'influence sur l'élévation de madame de Maintenon, si ce n'est par les sermons qu'il prêcha à la cour pendant plusieurs carêmes de suite à partir de 1669.

<p>113</p>

Il est faux que madame de Maintenon ait pris pour directeur un jésuite. Son directeur est bien connu: c'est l'abbé Gobelin, après la mort duquel elle prit les conseils de Godet-Desmarets, évêque de Chartres. «Elle avoit bien choisi, comme le remarque M. Walckenaer; ni l'un ni l'autre n'ambitionnoient ni la gloire de l'éloquence, ni les hautes dignités de l'Eglise; ni l'un ni l'autre n'appartenoient à l'ordre trop puissant des Jésuites.» (Mém. sur mad. de Sévigné, 5, p. 430, notes.)

<p>114</p>

Nous ne savons trop ce que veut dire l'auteur quand il parle du tiers-ordre des jésuites, où se seroit fait admettre madame de Maintenon. Il y a en effet trois ordres de jésuites, et le troisième comprend ceux qu'on appelle les écoliers; ils conservent la jouissance et l'administration de leurs biens, et peuvent même, en France, réclamer le partage des héritages de leur famille. Mais nous ne sachons pas qu'on y ait admis des femmes.

<p>115</p>

Var.: Nous reproduisons encore ici tous les développements donnés à cette ridicule calomnie par l'édition de 1754:

«Cela n'étoit encore pas assez au goût des Jésuites, qui, ayant su de son confesseur (car dans de telles occasions ces gens-là ne gardent jamais le secret, parce qu'il y va de l'utilité de l'Ordre) qu'elle étoit fort attachée aux plaisirs de la chair et qu'elle entretenoit un commerce amoureux avec un de ses domestiques, ils le prièrent unanimement, dans une assemblée qu'ils eurent au collége de Montaigu, de travailler à faire pour lui-même cette conquête, afin de l'avoir plus fermement dans leurs rets. Il leur promit de faire tout son possible pour l'avancement de la sainte société, et en effet il ne s'y épargna pas. Pour mieux y parvenir, il s'attacha à mieux découvrir les replis de sa conscience; et, bien loin de la blâmer de son péché favori, il l'assura qu'il n'étoit point punissable, d'autant qu'elle étoit obligée de s'entretenir dans les leçons amoureuses afin de pouvoir se rendre plus utile au fils aîné de l'Eglise. Les pécheurs aiment ordinairement à être flattés dans leurs crimes et à trouver moyen de se damner avec plaisir. C'est là le chemin que tous les nouveaux casuistes font suivre à leurs pénitents, et ils ne se servent de ce sacré tribunal, qui doit être un instrument à sauver les hommes, que pour les damner. Il ne faut donc pas s'étonner si la Maintenon s'abandonnoit à eux, puisqu'ils ont un si rare secret. Mais elle n'eut pas plus tôt goûté les douceurs et les bontés du père La Chaise dans la confession, qu'elle n'en voulut plus d'autre; en effet, elle s'en est toujours depuis servie. Cependant il avoit promis de se faire pour lui-même une conquête d'amour; et, pour en venir à bout, il s'étoit défait, pour des raisons de conscience, de tous les domestiques qu'il avoit vus dans sa maison n'être pas attachés à la Société; et, comme un sage directeur, il employa de ses créatures, et, entre autres, deux sœurs dolentes de la Société, qui avoient l'esprit insinuant, et qui, en peu de temps, eurent gagné les bonnes grâces et les confidences de la Maintenon, qui se servoit aussi, en revanche, d'elles, pour ses affaires amoureuses. Par leur moyen, le père La Chaise étoit éclairé de tout et prenoit ses mesures là-dessus. Un jour le domestique dont elle se servoit dans son exercice amoureux fut pour deux jours à la campagne, avec sa permission; mais soit qu'il y rencontrât quelqu'un de connoissance ou qu'il voulût gagner de nouvelles forces, il y demeura beaucoup plus; et il y avoit déjà six jours qu'il étoit absent quand madame de Maintenon, qui n'étoit pas accoutumée à un si long jeûne, lui écrivit un billet et le donna à sa fille confidente pour le lui faire tenir.

«D'abord cette fille le porta au révérend père La Chaise; ils se renfermèrent tous deux dans sa chambre, et, après l'avoir ouvert, ils y lurent:

«En vérité, mon cœur, tu n'as guère d'amour pour moi, et si tu mesurois ton impatience à la mienne, tu serois retourné dès le premier jour. Pour moi, je t'avoue que je suis au désespoir de t'avoir donné congé, et encore plus de ce que tu ne viens point. Il faut ou que tu ne m'aimes pas, ou que tu sois mort, de rester si longtemps. Reviens donc, mon cher, et ne me laisse pas seule auprès du Roi, que je n'aime pas la dixième partie tant que toi; et si tu ne veux pas me trouver bien mal, ou morte, viens à minuit, droit dans ma chambre; je donnerai ordre que la porte soit ouverte pour te laisser entrer. Adieu, ma vie.

«Eh bien! dit le Père, que vous en semble? – Moi, lui dit-elle, je ne sais, sinon que vous me la rendiez pour la lui faire tenir. – Non, dit-il, pas cela, mais il s'agit ici de me rendre un service.» Elle n'eut pas de peine à le lui promettre. «C'est, continua-t-il, que je m'en vais lui en écrire une sous un nom supposé, afin qu'il ne vienne pas de sitôt, et je me rendrai moi-même dans votre antichambre à l'heure qu'elle marque, d'où vous m'introduirez dans son lit. Je suis de sa taille et je mets sur moi les événements de l'affaire.»

«La chose ainsi résolue, il se hâta d'écrire la lettre, qu'il donna pour faire tenir en place de l'autre. Elle étoit conçue en ces termes:

«Monsieur, j'ai un regret sensible de vous apprendre une méchante nouvelle. Votre père est à l'article de la mort. Je l'ai aujourd'hui confessé et lui ai donné le saint viatique. Il m'a prié par trois ou quatre fois de vous écrire qu'il a quelque chose à vous communiquer avant sa mort; partez donc pour vous rendre ici incontinent la présente reçue, parce qu'il est encore en son bon sens, et si vous ne perdez point de temps, selon que nous pouvons juger par les apparences, vous en aurez encore pour lui parler. Je suis, etc.

«Cochonnet, curé de Lasine.

«Il (le valet) n'eut pas plutôt reçu cette lettre qu'il crut effectivement que la chose étoit ainsi. Il avoit infiniment d'amitié pour son père, et monta incontinent à cheval pour s'y rendre; mais il le trouva en bonne santé, ce qui le réjouit. Cependant ils ne purent trouver le secret de cette lettre; il ne se douta jamais de la vérité, ce qui fit qu'il resta quelques jours auprès de ses parents.

«L'heure approchant, le révérend Père se rendit dans l'antichambre, où il trouva la fille qui l'attendoit. Il s'y déshabilla et prit la robe de chambre et le bonnet qui servoient à l'autre dans ses expéditions; après quoi il fut introduit jusqu'au lit, où il entra doucement et sans parler. Il commença de monter à l'assaut. Quoiqu'elle fût endormie, elle le sentit bien, nonobstant l'avis de certaines femelles; et croyant que ce fust son taureau de coutume, elle l'embrassa avec des étreintes si amoureuses que le pauvre Père pensa expirer dans ce charmant exercice. Le jeu leur étoit trop doux pour y préférer la conversation; aussi ils recommencèrent à diverses fois sans se parler, et auroient peut-être passé la nuit ainsi si le père La Chaise n'eut rompu le silence par un rhume incommode et qui le fit tousser hors de saison. Madame de Maintenon fit un cri et voulut se jeter hors du lit; mais il la retint, il lui fit ses excuses, et, après qu'il eut calmé son esprit, il lui représenta que la chose étoit sans remède et qu'elle devoit considérer que c'étoit la force de sa passion qui l'avoit obligé à le faire, et ne lui découvrit pas néanmoins le véritable sujet. Quoi qu'il en soit, mes Mémoires portent qu'ils se raccommodèrent et poursuivirent le reste de la nuit, et ont toujours poursuivi depuis, et poursuivront encore tant qu'ils auront des forces, si nous en croyons les apparences; car s'il est vrai qu'elle est la mule du Roi, elle est tout autant la cavale de La Chaise et la haquenée de son valet, qui ne fut pas plus tôt de retour qu'il s'excusa de sa longue absence sur la lettre supposée. Mais elle, qui avoit su toute l'affaire du père La Chaise, ne voulut pas approfondir les choses et le reprit en grâce; depuis, elle s'en sert toujours avec beaucoup de satisfaction. Tout cela ne l'empêchoit pas de recevoir l'ordinaire du Roi tant qu'il fut en santé; mais il lui arriva une maladie qui ne provenoit que de l'excès du déduit. Madame de Maintenon en fit beaucoup l'affligée et le fit paroître en public le plus qu'elle pouvoit; enfin, le mal venant à augmenter, on résolut d'y mettre des emplâtres. Cette sainte fille de la Société, sachant bien dans sa conscience qu'elle avoit causé une partie du mal, voulut aussi assister au remède, et, par une espèce d'œuvre de charité dont elle a été fort louée, elle voulut mettre le premier emplâtre sur ce fils de Priape. Elle le mit en effet, et a diverses fois continué, jusqu'à l'entière guérison du Roi. Quand elle le vit en santé, elle voulut le divertir; et comme elle n'a point de cet amour délicat qui ne souffre point de partage, elle lui chercha une des plus belles filles de France. Ce fut la F… qu'elle lui présenta. Le Roi l'estima au double de ce qu'elle faisoit comme un sacrifice d'elle et chérit aussi beaucoup la F… Madame de Maintenon cependant a toujours occupé son esprit; et, quelque autre attache qu'il ait eue, elle n'a jamais été si forte que la sienne. Depuis la F… il a eu encore un présent d'elle; mais cette nouvelle maîtresse mourut en couches, tellement que, bien que depuis elle ait voulu lui en donner d'autres, il ne les a point voulu accepter, et il se tint toujours attaché à elle, qui, de son côté, n'en est pas beaucoup tourmentée, puisque depuis un assez long espace de temps il n'est pas capable de connoître une femme charnellement; mais aussi elle ne s'en soucie pas, et sa faveur lui est plus chère que son amour, puisqu'elle en a d'autres pour assouvir ses infâmes passions, et surtout le révérend Père La Chaise.

«Cependant, lorsque le Roi se porta mieux, elle ne manqua pas de profiter d'un si long temps et de mettre la santé du monarque à de nouvelles épreuves. Et il faut avouer que jamais femme n'a mieux su qu'elle tirer parti de l'amour et ménager les occasions. Elle disoit un jour, en plaisantant, à une de ses amies: «Que les amants vulgaires cherchent tant qu'il leur plaira ce qu'on appelle l'heure du berger; pour moi, je cherche l'heure du Roi. Quand elle se présente, je vous assure que je ne la laisse pas échapper.» Elle avoit raison de parler ainsi: elle a su profiter du fort et du foible de Louis-le-Grand. Aussi ce monarque, qui aime naturellement la gloire et les plaisirs, a été charmé de trouver une maîtresse qui a su si bien flatter son ambition et son amour, qui l'instruit en le divertissant, et qui, dans ses conversations les plus amoureuses, sait mêler les maximes de la fine et de la plus haute politique.

«Un jour qu'elle étoit seule avec le Roi et qu'elle avoit reçu de nouvelles preuves de son amour, elle dit, pour flatter agréablement ce monarque, qu'un prince comme lui ne devoit pas aimer comme les autres hommes; que, comme il étoit né pour régner, il falloit qu'il pratiquât comme il faisoit cet art glorieux au métier même des plaisirs. «Votre Majesté, ajouta-t-elle, brille partout, vous ne la sauriez cacher; amant, ami, en guerre, en paix, à l'armée, au lit, à la table, vous faites tout en roi, et l'on ne peut jamais vous méconnoître; plus grand en cela que le Jupiter des païens, qui quittoit sa grandeur et sa majesté et prenoit les formes les plus chétives pour assouvir son amour; au lieu que Louis-le-Grand ne diminue rien de sa grandeur, quoiqu'il s'abaisse jusqu'à nous.»

«Voilà de quelle manière elle entretient le Roi; et comme la passion de ce prince pour madame de Maintenon est fondée sur l'esprit plutôt que sur la beauté de cette nouvelle marquise, il y a de l'apparence que cette passion durera autant que sa vie.»

<p>116</p>

Le passage compris entre ces deux crochets a été intercalé plus haut dans la première édition, et on l'a déjà vu en note.

<p>117</p>

«Le Roi l'épousa, dit Saint-Simon, au milieu de l'hiver qui suivit la mort de la Reine (morte en 1683).» – «La satiété des noces, toujours si fatale, continue le même écrivain, et des noces de cette espèce, ne fit que confirmer la faveur de madame de Maintenon. Bientôt après, elle éclata par l'appartement qui lui fut donné à Versailles, au haut du grand escalier, vis-à-vis de celui du Roi, et de plain-pied.» Notons que madame de Maintenon, de trois ans plus âgée que le Roi, avoit alors de quarante-huit à quarante-neuf ans. Nous retrouvons ici le P. de La Chaise. Ce fut lui qui offrit, de la part du Roi, un mariage dont madame de Maintenon garda le secret plus fidèlement que le Roi lui-même.