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non, car je crains trop ton courroux véhément.

      Hé! me faudra-t-il donc mourir cruellement,

      Près de la guérison, qu'un baiser me peut rendre?

      Hélas! je crains mon mal en pourchassant mon bien.

      Le dois-je prendre ou non? Hélas! je n'en sai rien!

      Mille débats confus agitent ma pensée.

      Si je retarde plus, j'avance mon trépas.

      Je le prendrai. Mais non, je ne le prendrai pas;

      Car j'aime mieux mourir que te voir courroucée.

      Cette agitation et cette manière respectueuse du marquis achevèrent de faire brèche au cœur de la pauvre Guillemette; elle ne lui en fit pourtant rien remarquer, et ne lui donna que l'aveu qu'elle lui avoit déjà fait savoir, qu'il ne lui étoit pas indifférent.

      Notre marquis fut rendre compte à Agnès de l'issue de son voyage, et visitoit sa Guillemette le plus qu'il lui étoit possible. Il gagna tant qu'à la fin elle lui avoua qu'elle l'aimoit; il ne s'en voulut pas tenir là, il la conjura de répondre à son amour. Agnès, d'autre côté, la poussoit à ne se point ménager envers le marquis et à avoir soin de sa fortune. Ils surent en un mot si bien la persuader l'un et l'autre, qu'elle lui donna rendez-vous à la nuit prochaine dans sa chambre, où ils parleroient de leurs affaires. Mais le malheur voulut qu'une dame de qualité du voisinage ayant perdu par la mort deux de ses filles de service, et sachant que dans la maison où étoit Guillemette il y en avoit plusieurs, elle envoya supplier la dame de lui en envoyer une. Cette dame, qui avoit soupçon de l'intelligence du marquis avec Guillemette, eut de la joie d'avoir trouvé cette occasion pour s'en défaire, et d'autant plus qu'elle savoit que, par une haine invétérée entre le marquis et cette maison, il n'oseroit y fréquenter. Elle ordonna donc à notre amante et à une autre de ses filles de se préparer pour partir le lendemain, et commanda à Guillemette de venir ce soir-là pour la dernière fois coucher dans sa chambre, et qu'elle avoit des avis d'importance à lui donner sur sa conduite à venir. Jamais un coup mortel ne causa plus d'étonnement; ces paroles furent une foudre, ou comme la tête de Meduse, car elle en pensa être changée en pierre. Sa dame, qui s'aperçut du désordre où elle étoit, en voulut savoir la cause. Elle n'eut pas de peine à lui inventer une fourbe, la conjoncture présente lui en fournissoit le moyen; et, pour mieux donner la couleur à son jeu, elle répandit quelques larmes, après quoi elle lui parla en ces termes: «Sans doute, Madame, que mon déplaisir vous est bien connu; mais, puisque vous le voulez encore savoir de ma bouche, je n'ai rien à y contredire. Ainsi, Madame, je crois qu'il ne vous semblera pas étrange qu'après avoir tant reçu de grâces et de bienfaits de vos mains libérales, je n'aie un sensible regret de vous quitter, après la résolution que j'avois faite de vous servir toute ma vie et de correspondre par mes soins à toutes vos bontés. Le seul déplaisir de m'en voir frustrée occupe tellement mon esprit, qu'il m'est impossible de songer à autre chose, et, bien que vos commandements m'aient toujours servi de loi, cependant je n'obéirai à celui-ci que par une grande répugnance. Si mes prières et mes supplications vous pouvoient fléchir à le révoquer! – Je vous éloigne de moi pour votre bien, lui répondit brusquement sa dame; cela n'est pas pour toujours; suivant la manière dont vous agirez, je saurai aussi agir. Allez seulement vous préparer à m'obéir.» Elle sortit et courut d'abord avertir Agnès de l'ordre fatal qu'elle avoit reçu, et lui enjoignit de dire au marquis qu'elle conserveroit toujours pour lui la même amitié, moyennant qu'il n'entreprît rien sur leur chemin: «car, disoit-elle, cela feroit grand bruit et découvriroit toute l'affaire, laquelle je veux tenir autant secrète qu'il m'est possible.» Agnès eut du regret de ce contre-coup, car elle ne fondoit pas une petite espérance sur le succès de ses intrigues. Néanmoins elle lui promit tout ce qu'elle voulut, et courut promptement pour en avertir le marquis, qui déjà goûtoit mille plaisirs en idée. Il tomba dans la plus grande consternation du monde. Cependant il n'y avoit point de remède, et il s'en falloit consoler. Comme la nuit approchoit, il ne jugea pas à propos de partir que le lendemain, afin de ne point donner de soupçon, et aussi pour trouver le moyen de lui parler avant son départ.

      Guillemette, ayant fait son coffre, fut, suivant qu'elle en avoit reçu ordre, dans la chambre de sa dame. Cette bonne personne, qui, ayant passé près de soixante années dans le monde, avoit beaucoup d'expérience, prévoyant qu'un bon arbre se gâte facilement s'il n'est cultivé jeune, voulut, avant que de la faire partir, lui donner de bonnes et solides instructions. Elle commença donc ainsi son discours:

      «Depuis qu'il a plu à Dieu de me retirer mon cher époux et mes enfants, j'ai laissé là toutes ces folles vanités et ne me suis attachée qu'aux choses qui peuvent rendre éternellement heureux ceux qui les suivent; et, comme vous allez être séparée de moi pour un temps, j'ai lieu de craindre pour vous: dans l'âge où vous êtes on court bien des dangers, mais on acquiert beaucoup de gloire à les surmonter. Je veux bien vous faire part de l'expérience que j'en ai, et vous donner ici de petits avis pour votre conduite; et je vous puis assurer que vous ne pouvez être qu'heureuse si vous les suivez.

      «Premièrement, soyez dévote, sans affectation, et vous donnez bien garde de tomber dans l'hypocrisie, car par-là on s'attache directement à la Divinité.

      «2. N'ayez point tant à cœur les plaisirs de la chair, car celui qui préfère les plaisirs du corps au salut de son âme fait ainsi que ceux qui laissent noyer un homme pour courir après son vêtement.

      «3. Ne prenez point trop de plaisirs dans la mondanité; abhorrez-la, et que vos accoutrements soient modestes; ayez toujours plus de soin de parer votre âme que votre corps, sans quoi vous encensez à une idole et abandonnez Dieu.

      «4. Ne commencez jamais rien sans y bien penser, et que d'un jugement mûr; car celui qui commence une affaire sans cela ne doit pas être surpris s'il ne réussit pas.

      «5. N'entreprenez rien au-dessus de vos forces, car tout ce qui s'entreprend ainsi ne sauroit produire des effets qu'au-dessous de l'espérance qu'on en a conçue.

      «6. Ne regardez jamais avec envie le bien d'autrui, car par-là vous vous rendrez indigne de posséder le vôtre.

      «7. Fuyez avec soin ce qu'on appelle amour dans le monde; n'écoutez point les discours flatteurs de tout le monde: tel vous déifie dans ses discours, qui ne tend qu'à vous rendre la plus misérable des créatures. Bouchez donc, à l'imitation de l'aspic, vos oreilles à la voix de ces enchanteurs, et soyez fortement persuadée qu'il n'y a rien qui soit si dommageable à la réputation, et que, de tout ce qui est capable de gâter notre jugement, l'amour est le plus fort et celui dont on s'aperçoit le moins: car il n'allume son feu que pour nous aveugler, et nous troubler le cerveau et l'esprit. Et, pour nous en faire avoir de l'horreur, il nous est dépeint nu, non-seulement pour nous représenter son effronterie, mais encore pour nous apprendre qu'ordinairement il met en chemise ceux qui le suivent.

      «8. Si vous soumettez votre jugement à vos plaisirs, vous vous brûlerez d'un flambeau qui avoit été donné pour vous conduire.

      «9. Fuyez autant qu'il vous sera possible le jeu, car qui l'aime avec excès cherche à mourir dans la pauvreté.

      «10. Pensez plus d'un moment à ce que vous voulez dire, et plus de deux à ce que vous voulez promettre, crainte qu'il ne vous arrive d'avoir du déplaisir de ce que vous aurez promis avec précipitation.

      «11. Obéissez en toute révérence et avec joie à la personne à qui vous servirez, tâchant autant que vous pourrez à vous rendre utile; ne point se laisser commander ce qu'on voit qui est nécessaire d'être fait, et considérer que le plus grand ressort qui fait agir la bonté des maîtres envers les serviteurs, c'est lorsqu'ils s'acquittent bien de leur devoir; et, pour me servir du proverbe, bon valet fait bon maître.

      «12. Soyez contente de votre condition, car qui ne se contente pas d'une honnête fortune se donne souvent bien de la peine pour la rendre moindre en tâchant de l'agrandir.

      «13. Ne vous empressez pas à savoir le secret d'autrui; soyez fort réservée à communiquer les vôtres: vous n'en êtes plus maîtresse dès lors que vous en avez fait confidence à quelqu'un, et votre

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