Скачать книгу

après; et, l'ayant encouragé autant qu'il put, il le vit partir pour cette grande expédition.

      Cependant Marsillac étoit en d'étranges inquiétudes. Tantôt il trouvoit que son carrosse alloit trop vite, tantôt il souhaitoit de ne pas trouver madame d'Olonne à son logis, ou de trouver quelqu'un avec elle; enfin il craignoit les mêmes choses qu'un honnête homme eût désiré de tout son cœur. Cependant il fut assez malheureux pour rencontrer sa maîtresse et pour la trouver seule. Il l'aborda avec un visage si embarrassé que, si elle n'eût déjà su son amour par Sillery, elle l'eût découvert à le voir cette seule fois-là. Cet embarras lui servit à persuader, plus que tout ce qu'il eût pu dire et que l'éloquence de son ami; et voilà pourquoi en amour les sots sont plus heureux que les habiles.

      La première chose que fit Marsillac33 après s'être assis, ce fut de se couvrir, tant il étoit hors de lui-même; un instant après, s'étant aperçu de sa sottise, il ôta son chapeau et ses gants, puis en remit un, et tout cela sans dire un mot. «Qu'y a-t-il, Monsieur? lui dit madame d'Olonne; vous paraissez avoir quelque chose dans l'esprit. – Ne le devinez-vous pas, Madame? dit Marsillac. – Non, dit-elle, je n'y comprends rien; comment entendrois-je ce que vous ne me dites pas, moi qui ai bien de la peine à concevoir ce que l'on me dit? – C'est, je m'en vais vous le dire, répliqua Marsillac en se radoucissant niaisement, c'est que je vous aime. – Voilà bien des façons, dit-elle, pour peu de chose! Je ne vois pas qu'il y ait tant de difficulté à dire qu'on aime; il m'en paroît bien plus à bien aimer. – Oh! Madame, j'ai bien plus de peine à le dire qu'à le faire; je n'en ai point du tout à vous aimer, et j'en aurois tellement à ne vous aimer pas que je n'en viendrois jamais à bout, quand vous me l'ordonneriez mille fois. – Moy, Monsieur, repartit madame d'Olonne en rougissant, je n'ai rien à vous commander.» Tout autre que Marsillac eût entendu la manière fine dont madame d'Olonne se servoit pour lui permettre de l'aimer; mais il avoit l'esprit tout bouché. C'étoit de la délicatesse perdue que d'en avoir avec lui. «Quoi! Madame, lui dit-il, vous ne m'estimez pas assez pour m'honorer de vos commandemens? – Eh bien! lui dit-elle, serez-vous bien aise que je vous ordonne de ne me plus aimer? – Non, Madame, reprit-il brusquement. – Que voulez-vous donc? reprit madame d'Olonne. – Vous aimer toute ma vie. – Eh bien! aimez tant qu'il vous plaira, et espérez.» C'étoit assez à un amant plus pressant que Marsillac pour venir bientôt aux dernières faveurs; cependant, quoi que madame d'Olonne pût faire, il la fit encore durer deux mois; enfin, quand elle se rendit, elle fit toutes les avances. L'établissement de ce nouveau commerce ne lui fit pas rompre celui qu'elle avoit avec Beuvron; le dernier amant étoit toujours le mieux aimé, mais il ne l'étoit pas assez pour chasser Beuvron, qui étoit un second mari pour elle.

      Un peu devant la rupture de Jeannin avec madame d'Olonne, le chevalier de Grammont en étoit devenu amoureux, et, comme c'est une personne fort extraordinaire, il est à propos d'en faire la description.

Portrait du chevalier de Grammont 34

      Le chevalier avoit les yeux rians, le nez bien fait, la bouche belle, une fossette au menton, qui faisoit un agréable effet dans son visage, je ne sais quoi de fin dans la physionomie, la taille assez belle, s'il ne se fût point voûté; l'esprit galant et délicat. Cependant sa mine et son accent faisoient bien souvent valoir ce qu'il disoit, qui devenoit rien dans la bouche d'un autre. Une marque de cela, c'est qu'il écrivoit le plus mal du monde, et il écrivoit comme il parloit. Quoi qu'il soit superflu de dire qu'un rival soit incommode, le chevalier l'étoit au point qu'il eût mieux valu pour une pauvre femme en avoir quatre autres sur les bras que lui seul. Il étoit alerte jusqu'à ne pas dormir; il étoit libéral jusqu'à la profusion. Par là sa maîtresse et ses rivaux ne pouvoient avoir de valets ni de secrets qui ne fussent sçus; d'ailleurs le meilleur garçon du monde. Il y avoit douze ans qu'il aimoit la comtesse de Fiesque, femme aussi extraordinaire que lui, c'est-à-dire aussi singulière en mérites que lui en méchantes qualités. Mais comme, de ces douze ans, il y en avoit cinq qu'elle étoit exilée auprès de mademoiselle d'Orléans, fille de Gaston de France, princesse que la fortune persécutoit parcequ'elle avoit de la vertu et qu'elle ne pouvoit réduire son grand courage aux bassesses que la cour demande, pendant leur absence le chevalier ne s'étoit pas adonné à une constance fort régulière; et, quoique la comtesse fût fort aimable, il méritoit quelque excuse de sa légèreté, puisqu'il n'en avoit jamais reçu de faveur. Il y avoit pourtant des gens à qui il avoit donné de la jalousie; Rouville35 en étoit un, et, comme un jour celui-ci reprochoit à la comtesse qu'elle aimoit le chevalier, cette belle lui dit qu'il étoit fol de croire qu'elle pût aimer le plus grand fripon du monde. «Voilà une plaisante raison, Madame, lui dit-il, que vous m'alléguez pour vous justifier! Je sais que vous êtes encore plus friponne que lui, et je ne laisse pas de vous aimer.»

Portrait de madame la comtesse de Fiesque 36

      Quoique le chevalier aimât partout, il avoit pourtant un si grand foible pour la comtesse, que, quelque engagement qu'il eût ailleurs, sitôt qu'il sçavoit que quelqu'un la voyoit un peu plus qu'à l'ordinaire, il quittoit tout pour revenir à elle. Il avoit raison aussi, car la comtesse étoit une femme aimable; elle avoit les yeux bleus et brillans, le nez bien fait, la bouche agréable et belle de couleur, le teint blanc et uni, la forme du visage longue, et il n'y a qu'elle seule au monde qui soit embellie d'un menton pointu. Elle avoit les cheveux cendrés, et étoit toujours galamment habillée; mais sa parure venoit plus de son art que de la magnificence de ses habits. Son esprit étoit libre et naturel; son humeur ne se peut décrire, car elle étoit, avec la modestie de son sexe, de l'humeur de tout le monde. À force de penser à ce que l'on doit faire, chacun pense d'ordinaire mieux sur la fin que sur le commencement; il arrivoit d'ordinaire le contraire à la comtesse: ses réflexions gâtoient ses premiers mouvemens. Je ne sçais pas si la confiance qu'elle avoit en son mérite lui ôtoit le soin de chercher des amans; mais elle ne se donnoit aucune peine pour en avoir. Véritablement, quand il lui en venoit quelqu'un de lui-même, elle n'affectoit ni rigueur pour s'en défaire, ni douceur pour le retenir; il s'en retournoit s'il vouloit, s'il vouloit il demeuroit; et, quoi qu'il fît, il ne subsistoit point à ses dépens. Il y avoit donc cinq années, comme j'ai dit, que le chevalier ne la voyoit plus, et, durant cette absence, pour ne point perdre temps, il avoit fait mille maîtresses, entre autres Victoire Mancini37, duchesse de Mercœur, et, trois jours après sa mort, madame de Villars38, et ce fut là-dessus que Benserade, qui étoit amoureux de celle-ci, fit ce sonnet au chevalier:

SONNET

      Quoi! vous vous consolez, après ce coup de foudre

      Tombé sur un objet qui vous parut si beau!

      Un véritable amant, bien loin de s'y résoudre,

      Se seroit enfermé dans le même tombeau!

      Quoi! ce cœur si touché brûle d'un feu nouveau!

      Quelle infidélité! qui peut vous en absoudre?

      Venir tout fraîchement de pleurer comme un veau,

      Puis faire le galant et mettre de la poudre!

      Oh! l'indigne foiblesse, et qu'il vous en cuira!

      Vous manquez à l'amour, l'amour vous manquera;

      Et déjà vous donnez où tout le monde échoue.

      Je connois la beauté pour qui vous soupirez,

      Je l'aime, et, puisqu'il faut enfin que je l'avoue,

      C'est qu'en vous consolant vous me désespérez 39.

      Quelque temps après cette affaire ébauchée, la comtesse étant revenue à Paris, le chevalier, qui n'étoit retenu auprès de madame de Villars par aucune faveur, la quitta pour retourner à la comtesse; mais comme il n'étoit pas long-temps en même état, et qu'il s'ennuyoit d'être avec celle-ci, il s'attacha à madame d'Olonne dans

Скачать книгу


<p>33</p>

Bussy n'a pas eu beaucoup à se louer d'avoir introduit dans sa galerie le duc de La Rochefoucauld et le prince de Marsillac, son fils. La rancune qu'ils lui en gardèrent ne s'attendrit en aucun temps, et l'on sait quel crédit gagna et garda sur le maître ce Marsillac, La Rochefoucauld à son tour, lorsqu'il fut devenu grand-maître de la garde-robe, et le canal le plus fréquent des grâces et des disgrâces. On a dit de lui que pendant trente-sept ans il assista quatre fois par jour aux changements d'habit du roi; l'éloge est exagéré, mais il n'est pas sans fondement.

«Jamais valet ne le fut de personne avec tant d'assiduité et de bassesse, il faut lâcher le mot, avec tant d'esclavage.» Cela est du Saint-Simon (t. 7, p. 177, de l'édit. Sautelet), qui a dit encore du grand-maître que «sa figure commune ne promettoit rien et ne trompoit pas.» Voilà donc une affaire réglée du côté de l'esprit, et non sans mille confirmations. Exemple (1656): Couplets d'un Confiteor.

La Roche-Foucault, ce guerrierDans la Fronde si redoutable,Contre la race du TellierEn catimini fait le diable,Et, si ce matois de ligueurNe leur fait mal, il leur fait peur.À la cour, il est soutenuDe la mâchoire formidableDu gros Marsillac, devenuHomme important et fort capable.Las! quand il tournoit son chapeau,On le prenoit pour un nigaud.

La mâchoire de Marsillac se faisoit remarquer de soi.

Il ne déplut pas à Ninon, ce gros garçon plein d'hésitations (Walck., t. 1, p. 242); mais il ne plut à personne plus qu'au roi, et cela dès l'âge de dix-huit ou de dix-neuf ans. En 1657 il est favori avéré, avec Vardes et Vivonne. Son père l'a cloué solidement dans sa faveur. Mademoiselle de Montpensier (t. 3, p. 187) indique je ne sais quelle mauvaise intrigue de ces messieurs à propos de mademoiselle de Mortemart, sœur de Vivonne. Prévoyoient-ils l'avenir de la Montespan? «On les appeloit les endormis, parce qu'ils alloient lentement et sans bruit.» Plus tard (Dangeau, t. 4, p. 180, note de Luynes) le grand-maître de la garde-robe, devenu père, eut la douleur d'avoir un fils beaucoup plus hardi et libertin que lui. Louis XIV dut se montrer sévère. Cette affaire ressemble beaucoup à celle de Roissy, dont nous avons déjà parlé et dont il sera question encore.

Marsillac avoit montré du courage à la guerre: il fut blessé au passage du Rhin. (Sévigné, 17 juin 1672.)

<p>34</p>

Grâce au ciel, l'histoire de celui-là a été couchée tout du long sur le papier! Et quelle histoire! quel historien! Les Mémoires de Grammont sont restés un des chefs-d'œuvre du genre. Nous ne pouvons songer à en donner ici le résumé.

Le chevalier de Grammont étoit frère du maréchal (de la Guiche puis) de Grammont et fils de la sœur du comte de Boutteville. Il avoit aimé bien du monde, mademoiselle de Rohan, d'abord, à propos de laquelle (Tallemant des Réaux, t. 3, p. 434) il appela en duel Chabot, qui l'épousa. Ce fut un duel pour rire. En 1643, le chevalier se faisoit appeler Andoins. Henri Arnauld, dans ses Lettres au président Barillon, citées par M. P. Paris, dit que ce fut à propos de madame de Pienne (plus tard de Fiesque) qu'il attaqua Chabot. Il s'appeloit Andoins parceque sa grand'mère, celle que connut Henri IV (vers 1580), s'appeloit Diane d'Andoins. Grammont s'attacha (1649, Motteville, t. 3, p. 415) à Condé, mais sans rien retrancher de ses liaisons changeantes.

Dans mon Histoire des cartes à jouer (1854, in-16, L. Hachette et Cie), j'ai eu à peindre le joueur dans notre Philibert, chevalier, puis comte de Grammont. Il sut jouer. Battu d'abord à la bassette, qu'il ne connoissoit pas (1685), il se mit à rapporter cinquante ou soixante mille écus de tous les voyages qu'il faisoit en Angleterre. (Sourches, t. 1, p. 311.) Il aima mademoiselle de la Mothe-Houdancourt (La Fayette), puis une autre et une autre. Il se maria par hasard avec la sœur d'Hamilton, charmante femme qui fit les délices de la cour de France lorsqu'elle y parut, et dont Bussy n'auroit pas eu un mot à dire.

Dans l'histoire de Grammont (chap. 6), Saint-Evremont lui dit: «Que de grisons en campagne pour la d'Olonne! que de stratagèmes, de supercheries et de persécutions pour la comtesse de Fiesque! Elle qui peut-être vous eût été fidèle si vous ne l'aviez forcée vous-même à ne l'être pas!» On croiroit lire Bussy lui-même. Grammont, revenu définitivement d'Angleterre, reprit rang à la cour; sa femme l'y aida. Le roi «se plaisoit beaucoup» avec lui (Lettres de Madame, 22 avril 1719). Les courtisans l'aimoient moins (Dangeau, t. 4, p. 206). Lorsqu'il mourut, et il mourut le plus tard qu'il put mourir, Saint-Simon écrivit sur le journal de Dangeau: «Ce fut également le mépris et la terreur de la cour par tout ce que son âge, sa faveur et sa malice lui donnoient le droit de dire. Son visage étoit d'un vieux singe.»

Le Recueil de La Place (t. 4, p. 423), qui le fait mourir en 1707, à quatre-vingt-six ans, a conservé son épigrammatique épitaphe:

Veux-tu des talents pour la cour?Ils égalent ceux de la guerre.Faut-il du mérite en amour?Qui fut plus galant sur la terre?Railler sans être médisant,Plaire sans faire le plaisant,Garder toujours son caractère,Vieillard, époux, galant et père,C'est le mérite du hérosQue je te peins en peu de mots.
<p>35</p>

La maison de Rouville est ancienne en Normandie. Le marquis de Rouville dont il s'agit est le beau-frère de Rabutin et son ami. Il avoit été le second amant de Marion Delorme; il s'étoit battu en duel contre La Ferté-Senneterre; il étoit joueur; il avoit fait toutes ses preuves. Loret le place au nombre de ses saints (29 septembre 1652):

Ce bon seigneur ne connoist mieMademoiselle Économie.
<p>36</p>

Gilonne d'Harcourt, mariée 1º à Louis de Brouilly, marquis de Pienne, tué à Arras en 1640; 2º à Charles-Léon de Fiesque (1643). Son père étoit le frère aîné du père des Beuvron. Le comte de Fiesque, son fils, «étoit une manière de cynique fort plaisant parfois» (Saint-Simon, t. 1, p. 327). La Fontaine a fait des vers pour lui (épitre 19):

Cette main me relève ayant abaissé Gêne.

Le père avoit été de la bande de Condé. Dès 1647 Mazarin l'exiloit (Mott., t. 2, p. 261). Sa mère, la gouvernante de Mademoiselle, étoit Anne Le Veneur (Mott., t. 2, p. 355); elle mourut à Saint-Fargeau en 1653.

Mais qu'importent les généalogies? Gilonne étoit une femme telle que Bussy la peint. On l'appeloit la reine Gilette (Montp., t. 3, p. 428). Elle s'étoit organisé une petite cour particulière, avec un ordre de chevalerie destiné à récompenser les bons vivants. Grammont a mis dans un couplet:

Ma reine Gilette,

Que de la Moquette

Je sois chevalier.

Folle, si l'on veut, jusqu'à oublier son état et à écrire à Mademoiselle: «Je vous ai fait l'honneur» (Montp., t. 3, p. 100), jusqu'à lui dire des choses impertinentes (1657), elle avoit courageusement joué son rôle de maréchale de camp, avec son amie madame de Frontenac, dans les temps guerriers de la Fronde. Elle avoit des accès de gaîté extraordinaires. Quelquefois elle eut des mots heureux. Elle improvisoit; par exemple, elle «cria tout haut l'autre jour chez Mademoiselle (Sév., 17 décembre 1688):

Le roi, que sa bonté soumet à mille épreuves,

Pour soulager les chevaliers nouveaux,

En a dispensé vingt de porter des manteaux,

Et trente de faire leurs preuves.»

Elle est morte en 1699 (Saint-Simon, t. 2, p. 321). «Elle avoit passé sa vie dans le plus frivole du grand monde», vendu une fois une terre pour un beau miroir. «On disoit d'elle qu'elle n'avoit jamais eu que dix-huit ans.»

Mademoiselle, qui eut à s'en plaindre, la maltraite un peu, quoiqu'elles se soient raccommodées; M. Paulin Paris, en preux chevalier, la défend (Tall., t. 5, p. 374). Je ferois volontiers comme M. Paulin Paris. D'ailleurs, Mademoiselle (t. 3, p. 39) l'excuse: «C'est une femme qui vous chante pouille, et un moment après elle en est au désespoir et vous dit rage de ceux qui le lui ont fait faire.»

Madame Cornuel a créé pour elle le sobriquet si répandu de moulin à paroles. (Tallemant des Réaux, t. 9, p. 54.)

«La comtesse maintenoit l'autre jour à madame Cornuel que Combourg n'étoit point fou; madame Cornuel lui dit: Bonne comtesse, vous êtes comme les gens qui ont mangé de l'ail.» (Sévigné, 6 mai 1676.)

Enfin madame Cornuel (Sévigné, t. 3, p. 31, de l'édit. Didot) «disoit que ce qui conservoit sa beauté, c'est qu'elle étoit salée dans sa folie.»

Cette beauté même étoit-elle bien grande? Venant à Paris, Christine de Suède dit: «La comtesse de Fiesque n'est pas belle pour avoir fait tant de bruit. Le chevalier de Grammont est-il toujours amoureux d'elle?» (Montp., t. 3, p. 73.) Et de même don Juan d'Autriche, en 1659: «Elle n'est guère belle pour faire tant de bruit.» (Montp., t. 3, p. 414.)

En tout cas, on voit là qu'elle faisoit bien du bruit.

<p>37</p>

Madame de Motteville (t. 4, p. 387) dit que la reine Christine (en 1656) railla Grammont de la passion qu'il affichoit pour madame de Mercœur. C'étoit une passion ou plutôt une comédie de passion fort ridicule. Jamais femme ne fut plus sage, plus douce, plus simple.

Laure-Victoire étoit l'aînée des cinq filles de madame Mancini. Mercœur (Louis de Vendôme) figure, en 1648, à côté du duc d'Orléans, et inspire même des craintes (Motteville, t. 3, p. 186) à l'abbé de la Rivière, qui tremble qu'il ne crie aussi haut que Beaufort. C'est le duc de Vendôme, son père, homme très tranquille, qui (1649, Motteville, t. 3, p. 277) propose le mariage. Cette proposition fut la première cause de mésintelligence entre Condé et Mazarin (Pierre Coste, p. 8); mais le mariage se fit.

«M. de Mercœur déclara un jour, en plein Parlement, son mariage avec mademoiselle de Mancini, de la plus sotte manière du monde, et telle que je ne m'en suis pas souvenue, parcequ'il n'étoit pas tourné d'un ridicule plaisant.» (Montp., t. 2, p. 137.)

Les pamphlets se mirent à pleuvoir dru sur l'oncle de la mariée et sur l'époux. C'étoit le temps des plus vives Mazarinades.

Le catalogue de la Bibliothèque nationale (t. 2) en indique plusieurs:

Nº 1360. L'outrecuidante présomption du cardinal Mazarin. – Réponse.– Nº 1361. L'antinocier, etc.– Nº 1362. Lettre de M. de Beaufort à M. le duc de Mercœur, son frère.– Nº 1363. Réponse.– Nº 1364. Lettre de la prétendue madame de Mercœur, envoyée à M. de Beaufort.– Nº 1365. Entretien de M. le duc de Vandosme avec MM. les ducs de Mercœur et de Beaufort, ses enfants.

Mercœur n'en fut pas inquiété. Sa femme étoit une conquête dont il ne pouvoit se repentir.

«Le duc de Mercœur fut si passionné pour les intérêts du ministre qu'il fit appeler ce même jour son frère, le duc de Beaufort, pour se battre contre lui; mais il n'en fit rien et ne suivit point son premier mouvement.» (1651. Mott., t. 4, p. 134.)

Au commencement de février 1657 la duchesse mourut subitement. Mazarin «fit des cris». (Mott., t. 4, p. 396.)

«La douleur est universelle, écrit madame de Sévigné le 5 février. Le roi a paru touché et a fait son panégyrique en disant qu'elle étoit plus considérable par sa vertu que par la grandeur de sa fortune.»

«Elle étoit jeune et avoit de l'embonpoint. Le seul défaut qui étoit en elle étoit que, sans avoir la taille gâtée, elle ne l'avoit pas assez belle en ce qu'elle étoit un peu entassée; mais, ce défaut ne se voyant point dans le lit, j'ai ouï dire à ceux qui la virent en cet état qu'elle leur avoit paru la plus belle personne du monde.» (Mott., t. 3, p. 397.)

Mazarin, dans son testament, n'oublia pas les enfants de la nièce qu'il avoit tant aimée. (Mott., t. 5, p. 92.)

<p>38</p>

La mère de Villars, qui sauva la France à Denain. Née vers 1624, fille de Bernardin Gigault de Bellefonds (elle s'appeloit Marie) et de Jeanne aux Espaules de Sainte-Marie; mariée, en 1651, au marquis de Villars, qui mourut en 1698; morte le 25 juin 1706. On a d'elle trente-sept lettres à madame de Coulanges, datées de Madrid et écrites en 1676, 1680, 1681. (Voy. Lemontey.)

Une autre Villars (Julienne-Hippolyte d'Estrées), mariée en 1597 à Georges de Brancas, marquis, puis duc de Villars, vivoit encore en 1657. Elle a été secouée par Tallemant des Réaux. – Escroqueuse et libertine par delà toute créance.

Celle-ci roucouloit comme une colombe. Quoiqu'il eût un frère archevêque d'Alby d'assez bonne heure (Mém. de Choisy, Michaud, 626), Villars n'étoit pas de la première noblesse: il cherchoit fortune; mais il étoit vaillant à outrance, et beau comme un Achille. Au duel fatal de Nemours (Retz, 379), il fit si bien que Conti le voulut à lui. Il avoit été en Fronde commandant des chevau-légers de Sillery. (Lenet, coll. Michaud, 347.) Cette bravoure et cette beauté, partout célèbres (Le Père Berthod, coll. Petitot, t. 48, p. 396) lui valurent le nom d'Orondate. Sa femme, qui «est tendre et sait bien aimer» (Madame de Coulanges à Sévigné, 15 juillet 1671), en fait sa divinité et l'adore toute sa vie.

Villars se poussa dans les ambassades. (Voy. la Corresp. administ. de Louis XIV, t. 4.) Il avoit fait la cour en règle à sa femme. Madame de Choisy le surprit un jour, chez madame de Fiesque, qui sortoit de l'appartement de mademoiselle de Bellefonds.

Saint-Simon (Note à Dangeau, t. 6, p. 315, et Mémoires) n'est pas favorable aux Villars. Il dit de notre marquise: C'étoit «une bonne petite femme, maigre et sèche, active, méchante comme un serpent, de l'esprit comme un démon, d'excellente compagnie, et qui recommandoit à son fils de ne jamais parler de soi à personne et de se vanter au roi tant qu'il pourroit.» Répétons la phrase de madame de Coulanges: «Elle est tendre et sait bien aimer.» C'est là le vrai.

Est-il nécessaire de dire que Grammont en étoit pour ses frais de sentiment?

<p>39</p>

Puisqu'il passe par ici, arrêtons-le un instant. Isaac de Benserade est né en 1612 à Lyons-la-Forêt (Normandie), et est mort le 19 octobre 1691. C'est le Bérodate des Précieuses (t. 1, p. 45, 46). Il avoit ce qu'il falloit pour faire sa fortune à la cour sans se soucier de ses ennemis. MM. les professeurs de rhétorique ont tort de dédaigner Benserade: il avoit l'esprit tourné le plus habilement du monde vers la phrase, vers l'allusion, vers la réticence, vers l'épigramme à pointe émoussée. Que de devises adroites il a semées çà et là! que d'ingénieux ballets il a composés! Il a eu le tort de n'aimer pas La Bruyère, et La Bruyère l'a peint pour le punir (t. 1, p. 271).

Pourquoi ne pas citer l'Arlequiniana quand c'est à décharge? Il y a pour Benserade (p. 188): «C'est l'esprit le plus vif et l'amy le plus ardent que j'aye jamais vû.» Madame de La Roche-Guyon l'entretint à son début; elle étoit vieille, mais très riche (Tallem., t. 8, p. 56). Benserade, avec une maison, un carrosse, trois laquais, de la vaisselle d'argent, s'ennuie du métier. Il étoit un peu parent de Richelieu par on ne sait quels hobereaux; il accompagne Brézé en mer: il s'ennuie encore, n'étant pas un héros. Peu à peu il prend pied à la cour, et il séduit Mazarin, comme il séduira Louis XIV. Il déplut aux subalternes. Il étoit roux et ne sentoit pas naturellement l'ambre (La Place, t. 2, p. 286). Il y a bien des chansons faites sur ce malheur qu'il avoit. Les filles de la reine en chantèrent une qui étoit jolie; Scarron en fabriqua, d'autres aussi.

Benserade étoit plus élégant. On connoît les vers de la satire 12 de Boileau:

Tes bons mots, autrefois délices des ruelles,

Approuvés chez les grands, applaudis chez les belles,

Hors de mode aujourd'hui chez nos plus froids badins,

Sont des collets montés et des vertugadins.

Ceux-ci ont été attribués à madame Deshoulières:

Touchant les vers de Benserade,

On a fort long-temps disputé

Si c'est louange ou pasquinade;

Mais le bonhomme est bien baissé,

Il est passé (bis):

Qu'on lui chante une sérénade

De Requiescat in pace.

(La Place, t. 5, p. 57.)

Senecé a dit aussi quelque chose de notre homme.