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du monde, dont il avoit été jusque là trop occupé.

      Son courage fut toujours au-dessus de ses malheurs. Il les soutint en sujet soumis et en chrétien résigné. Il employa le temps de son exil à se bien instruire de sa religion, à former sa famille et à louer son prince.

      Après avoir été longtemps éloigné de la cour, il y fut rappelé avec agrément et honoré des bienfaits de son maître.

      La mort le trouva dans de saintes dispositions. On le perdit le 9 d'avril 1693, en la soixante et quinzième année de son âge.

      Qui que vous soyez, priez pour lui.

      Louise de Rabutin, comtesse d'Alets, sa chère fille et sa fille désolée, a voulu par cette épitaphe instruire la postérité de son respect, de sa tendresse et de sa douleur.

III Copie d'une lettre écrite au duc de Saint-Aignan par le comte de Bussy 1

      Du 12 novembre 1665.

      «Monsieur,

      «Les témoignages que les gens de bien doivent à la vérité, à leurs amis et à leur réputation, m'obligent aujourd'hui, Monsieur, de vous éclaircir de ma conduite et du sujet de ma disgrâce. Ne vous attendez pas à une justification: je suis trop sincère pour m'excuser quand j'ai tort, et c'est tout ce que je pourrai gagner sur la douleur que j'ai de ma faute, et le dépit contre moi-même, de ne me pas faire devant vous plus coupable que je ne suis.

      «Pour entrer donc en matière, je vous dirai, Monsieur, qu'il y a cinq ans, ne sçachant à quoi me divertir à la campagne où j'étois, je justifiai bien le proverbe que l'oisiveté est mère de tout vice: car je me mis à écrire une histoire, ou plutôt un roman satyrique, véritablement sans dessein d'en faire aucun mauvais usage contre les intéressés, mais seulement pour m'occuper alors, et tout au plus pour le montrer à quelques-uns de mes bons amis, leur en donner du plaisir et m'attirer de leur part quelque louange de bien écrire.

      «Cependant, avec l'innocence de mes intentions, je ne laissai pas de couper la gorge à des gens qui ne m'avoient jamais fait de mal, ainsi que vous allez voir par la suite.

      «Comme les véritables événemens ne sont jamais assez extraordinaires pour divertir beaucoup, j'eus recours à l'invention, que je crus qui plairoit davantage, et, sans avoir le moindre scrupule de l'offense que je faisois aux intéressés, parce que je ne faisois cela quasi que pour moi, j'écrivis mille choses que je n'avois jamais ouï dire. Je fis des gens heureux qui n'étoient pas seulement écoutés, et d'autres même qui n'avoient jamais songé de l'être, et parce qu'il eût été ridicule de choisir deux femmes sans naissance et sans mérite pour les principales héroïnes de mon roman, j'en pris deux auxquelles nulles bonnes qualité ne manquoient, et qui même en avoient tant, que l'envie pouvoit aider à rendre croyable tout le mal que j'en pouvois inventer.

      «Étant de retour à Paris, je lus cette histoire à cinq de mes amies, l'une desquelles m'ayant pressé de la lui laisser, pour deux fois vingt-quatre heures, je ne m'en pus jamais défendre. Il est vrai que quelques jours après l'on me dit qu'on l'avoit vue dans le monde; j'en fus au désespoir, et je suis assuré que celle à qui je l'avois prêtée, et qui l'avoit fait copier, l'avoit fait par une simple curiosité, sans intention de me nuire; mais elle avoit eu pour quelqu'autre la même fragilité que j'avois eue pour elle. Je l'allai trouver aussi tôt, et je lui en fis mes plaintes. Au lieu de m'avouer ingénuement son imprudence et de concerter avec moi des moyens d'y remédier, elle me nia effrontément qu'elle eût jamais tiré copie de cette histoire, me soutenant qu'elle n'étoit pas publique, et que, si elle l'étoit, il falloit que je l'eusse prêtée à d'autres qu'à elle. L'assurance avec laquelle elle me parla, et le désir que j'ai d'ordinaire que mes amis n'ayent jamais tort avec moi, ôtèrent mes soupçons. Cependant je ne sçais comme elle fit, mais enfin le bruit de cette histoire cessa pour quelque temps, après lequel une de ses amies, s'étant brouillée avec elle, me montra une copie de ce manuscrit qu'elle avoit faite sur la sienne. Ce fut alors que le dépit d'avoir été si souvent trompé par une de mes amies, qui me faisoit outrager deux femmes de qualité par sa trahison, me fit emporter contre elle. Et comme on ne se fait jamais assez de justice pour souffrir sans vengeance le ressentiment des gens qu'on a offensés, elle ajouta ou retrancha dans cette histoire ce qui lui plaisoit pour m'attirer la haine de la plupart de ceux dont je parlois. Et cela est si vrai, que les premières copies qui furent vues n'étoient pas falsifiées; mais si-tôt que les autres parurent, comme chacun court à la satyre la plus belle, on trouva les véritables fades, et l'on les supprima comme fausses.

      «Je ne prétends pas m'excuser par là, car, quoi qu'effectivement je n'aie dit que du bien des gens que cette honnête amie a maltraités, je suis pourtant cause du mal qu'elle en a dit: non contente d'avoir empoisonné cette histoire en beaucoup d'endroits, elle en compose en suite d'autres toutes entières sur mille particularités qu'elle avoit sçues de moi dans le temps que nous étions amis, lesquelles particularités elle assaisonna de tout le venin dont elle se put aviser.

      «Cependant, lorsque je sçus qu'une histoire couroit sous mon nom, et que même mes ennemis l'avoient donnée au roi, quoique je n'eusse qu'à nier, j'aimai mieux faire voir l'original à Sa Majesté, et me charger de ma véritable faute, que de me laisser soupçonner d'une que je n'avois pas commise. Vous sçavez, Monsieur, qu'au retour du voyage de Chartres, pendant lequel le roy avoit lu cette histoire, je vous priai de donner à Sa Majesté mon original écrit de ma main et relié. Il prit la peine de le lire; mais, quoiqu'il trouvât une grande différence entre lui et la copie, il ne laissa pas de juger que l'offense que je faisois à deux femmes de qualité, et celle que j'étois cause qu'on avoit faite à d'autres, méritoient châtiment. Il me fit donc arrêter, et, donnant cet exemple au public, il satisfit en même temps au ressentiment des gens intéressés et à sa propre justice.

      «Mes ennemis, me voyant à la Bastille, crurent que, n'étant pas en état de me défendre, ils pouvoient impunément m'accuser: ils dirent donc au roi que j'avois écrit contre lui; mais Sa Majesté, qui ne condamne jamais personne sans l'entendre, les surprit fort en m'envoyant interroger par le lieutenant criminel. Je me disposai, sans hésiter un moment, à répondre devant lui, et sans vouloir faire la moindre protestation, ne croyant pas en être moins gentilhomme, et croyant par là rendre plus de respect au roi. Après qu'il m'eut fait connoître l'original écrit de ma main de l'histoire dont je vous viens de parler, il me demanda si je n'avois rien écrit contre le roi. Je lui répondis qu'il me surprenoit fort de faire une question comme celle-là à un homme comme moi. Il me dit qu'il avoit ordre de me le demander. Je répondis donc que non, et qu'il n'y avoit pas trop d'apparence qu'ayant servi 27 ans sans avoir eu aucune grâce, étant depuis douze mestre de camp général de cavalerie légère, attendant tous les jours quelque récompense de Sa Majesté, je voulusse lui manquer de respect; que pour détruire ce vrai-semblable-là il falloit ou de mon écriture ou des témoins irréprochables; que, si l'on me produisoit l'un ou l'autre en la moindre chose qui choquât le respect que je dois au roi et à toute la famille royale, je me soumettois à perdre la vie; mais que je suppliois aussi Sa Majesté d'ordonner le même chastiment contre ceux qui m'accuseroient sans me pouvoir convaincre. Je signai cela, et, le lieutenant criminel me disant qu'il l'alloit porter au roi, je le priai de dire à sa Majesté que je lui demandois très-humblement pardon d'avoir été assez malheureux pour lui déplaire.

      «Depuis ce temps-là n'ayant vu ni le lieutenant criminel ni aucun autre juge, j'ai bien cru qu'une si noire et ridicule calomnie n'avoit fait aucune impression dans un esprit aussi clairvoyant et aussi difficile à surprendre que celui du roi.

      «Mais, Monsieur, personne ne connoît si bien que vous la fausseté de cette accusation; car, outre que vous voyez, comme tout le monde, le peu d'apparence qu'il y a, c'est que vous avez été plusieurs fois témoin de la tendresse (j'ose dire ainsi), du profond respect, de l'estime extraordinaire, et même de l'admiration que j'ai pour le roi. Je vous ai souvent dit que je le voyois tous les jours, que je l'étudiois, et que tous les jours il me surprenoit par des qualités merveilleuses que je découvrois en lui. Vous pouvez vous souvenir, Monsieur, qu'un jour, transporté de mon zèle, je vous dis que, puisque la paix ne me permettoit plus de hazarder ma

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Cette lettre est fort habilement faite. Elle dit la vérité avec tous les ménagements et tous les adoucissements nécessaires. Bussy va même jusqu'à s'accuser de trop d'imagination. Nous verrons à quoi nous en tenir.